Un arrangement à l’amiable s’annonce entre Google et la Commission européenne pour la création d’un marché sain et ouvert à la concurrence dans le monde. Une seconde batterie de mesures sur le bureau du commissaire. Ce premier octobre 2013, le Commissaire à la Concurrence, Joaquin Alumnia s’est adressé aux parlementaires européens sur son désir de clôturer pour le printemps 2014 (soit avant la fin du mandat actuel de la Commission) son enquête pour pratiques anticoncurrentielles de Google initiée depuis novembre 2010.
Afin de trouver une issue à son différend avec Google, premier moteur de recherche mondial incontesté, et en raison d’améliorations substantielles, le commissaire pense que « la voie d’un accord négocié à l’amiable fondé sur le respect à court terme d’engagements légalement contraignants » serait préférable au lancement d’une procédure d’infraction punitive qui se traduirait par une amende pouvant atteindre les 10 % du chiffre d’affaires mondial de Google.
Ainsi le choix « d’une mesure coercitive » n’est pas encore totalement à exclure.
Il s’agit pour la Commission de prendre une mesure efficace et proportionnelle à l’infraction commise permettant de neutraliser les effets des pratiques commerciales anticoncurrentielles et par conséquent d’opter pour la solution la moins contraignante que constituent les mesures correctives décourageant ainsi Google de recourir à des comportements illégaux.
Joaquin Alumnia, sait ô combien le potentiel d’un procès antitrust dont la longueur n’a d’égal que le coût, peut être destructeur et il est tout simplement primordial de tirer des leçons du passé concernant ces longues et complexes batailles juridiques dont la société Microsoft a fait l’objet à plusieurs reprises dans les années 2000 pour abus de position dominante. Un bras de fer avec le groupe Bill Gates qui s’était étalé sur plus d’une décennie et soldé par de lourdes sanctions. Le quotidien du géant du logiciel n’a fait que se nourrir de longues procédures judiciaires sans fin accompagnées d’effets néfastes pour l’économie (figeant l’innovation qui pourtant maintient les firmes actives et dynamise la croissance économique) ainsi que pour le consommateur.
A l’opposé, un accord négocié à l’amiable permettrait selon le commissaire de « résoudre plus rapidement et plus concrètement le problème en question avec un impact instantané sur les marchés et une vision anticipant la façon dont ils doivent fonctionner, tout le monde y serait gagnant».
Le vice-président de la Commission européenne avait textuellement ajouté que « en matière de recherche et de publicité en ligne, les Européens exigent une concurrence non biaisée et du choix ; qu’ils le veulent directement et méritent de l’obtenir le plus rapidement possible et non pas après des années de procédure. »
Aussi en réagissant au discours de Joaquin Alumnia, Kent Walker (porte-parole de la société américaine) a clairement signalé que « au sein d’un contexte de très vive concurrence en ligne, nous avons pris la décision difficile d’accéder aux exigences de la Commission européenne dans l’idée de parvenir dans les plus brefs délais à un accord »
Pour rappel, l’enquête s’est ouverte il y a maintenant trois ans suite à de nombreuses plaintes officielles et officieuse, accusant le groupe internet d’avoir biaisé les marchés compétitifs de la recherche dont Google détient environ 90% du marché et de la publicité en ligne : le géant du net avait tout particulièrement été dénoncé pour avoir donné une place privilégiée à ses propres services de recherche spécialisés en modifiant son algorithme de recherche et ce au détriment de ses concurrents, notamment dans l’univers de la restauration, du commerce en ligne ou encore de la géolocalisation. Cela a conduit la Commission européenne à finalement examiner de plus près les pratiques de Google dans l’ensemble de l’écosystème en ligne.
En mars 2013, la Commission avait émis certaines craintes au sujet des pratiques commerciales mises en œuvre par Google, celles-ci étant susceptibles d’entraver les règles antitrust de l’Union interdisant formellement tout abus de position dominante et ce conformément à l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) mais aussi par crainte d’un préjudice vis-vis du consommateur lui-même, en réduisant le choix disponible et en amortissant l’innovation dans le domaine des services de recherche spécialisés et de la publicité en ligne. Ces derniers pensent avoir à faire à des classements de référencement naturel alors que ces mêmes résultats sont pour la plupart faussés par Google qui favorise discrètement ses propres services en usant de sa nouvelle interface baptisée « recherche universelle ».
En réponse aux quatre préoccupations exprimées par la Commission en termes de concurrence, la firme de Mountain View voulant éviter une coûteuse bataille juridique, aurait dorénavant offert de nouveaux engagements jugés encore jusqu’ici insatisfaisants dans le monde des restaurants, des voyages, des hôtels et du shopping en ligne en décidant sur une période de cinq ans :
· d’opérer une distinction claire et nette de ses propres services verticaux des autres offres concurrentes, il s’agirait selon les dires d’Alumnia d’une « labellisation » de ses services concernant les résultats de recherche. Une pratique d’affichage que certains concurrents ont estimé de contre-productive car favorisant encore davantage les services Google. Sur ce point l’Europe ne gagnerait pas grand chose;
· en outre, la société s’engagerait à ce que les liens de ses principaux rivaux soient davantage visibles en leur accordant un droit d’y adjoindre leur logo ainsi que l’affichage de leurs liens sur la page de recherche et d’éviter que le prix par clic des liens sponsorisés appartenant à des services de recherche verticale concurrents augmentent ;
· Google donnerait la possibilité aux différents sites web de s’opposer à l’utilisation sans accord préalable de l’ensemble de leurs contenus originaux tel que l’avis des consommateurs dans les services de recherche propres de la société qui éviterait aussi d’exercer toutes mesures de rétorsion affectant indûment les sites recourant à cet « opt-out ». Il s’agirait de ne plus pratiquer ce que l ‘on nomme aussi plus familièrement la duplication de contenu s’appropriant les bénéfices des investissements des concurrents;
· de fournir davantage de garanties aux éditeurs de presse leur permettant de mieux contrôler l’affichage de leur contenu dans Google News, page web après page web. Cela inclut de ne plus recourir aux clauses d’exclusivité avec certains partenaires publicitaires ;
· enfin, Google se dit prêt à ne plus imposer de restrictions contractuelles sur les développeurs de logiciels, notamment en évitant de limiter la portabilité des campagnes publicitaires Google Adwords vers d’autres plateformes concurrentes. Les annonceurs devraient pouvoir ainsi gérer leurs campagnes publicitaires contextuelles sur les différents moteurs de recherche concurrents.
Les dernières propositions esquissées par Google voici trois semaines annoncent un changement significatif et laissent augurer une clôture des pourparlers: En résumé, il s’agirait d’aménager un nouvel espace aux sites concurrents, de faire en sorte qu’ils aient plus de visibilité sur les pages Google avec possibilité d’informer sur leur contenu et d’y greffer leur logo.
De même serait mis à disposition des utilisateurs un système d’enchères amélioré (par ce système, l’annonceur paye à chaque clic de l’internaute sur la publicité) pour l’ensemble des concurrents permettant l’affichage de leurs liens sur la page de recherche.
Cela n’empêche qu’un tel accord n’est pas au goût des adversaires de la firme américaine qui ne peuvent se contenter d’engagements de bonne conduite et s’agacent de voir Monsieur Alumnia agir telle une marionnette cherchant à tout prix d’atteindre un compromis.
Bon nombre s’inquiètent de n’avoir à présent aucuns résultats sur le fait que Google puisse laisser ses compétiteurs accéder selon des conditions « justes, raisonnables et non discriminatoires » à une série de technologies de la communication et aux clients potentiels. Rien ne prouve, actuellement, que la société ait cessé de tirer profit de sa situation de monopole sur l’écosystème en ligne.
Monique Goyens du BEUC, une association européenne de défense des consommateurs a souligné lors de l’audition au Parlement, qu’il s’agissait d’une « occasion ratée » comme quoi un règlement du conflit à l’amiable ne saurait à lui seul assurer le principe de non-discrimination. Il serait préférable d’opter pour des remèdes structurels comme mesures plus appropriées aux effets anticoncurrentiels de certains comportements surtout lorsqu’on sait que Google ne s’est pas contenté de ravager les marchés mais qu’il a surtout mis à mal la plate-forme en ligne dans sa globalité.
Des solutions structurelles ne viendraient pas seulement contrôler un comportement monopolistique quel que ce soit mais pourraient de manière plus générale pallier au déséquilibre concurrentiel latent sur le marché en ligne.
Dave Heiner, directeur adjoint chez Microsoft a renforcé ces propos lorsqu’il a spécifié « qu’un tel arrangement reste extrêmement faible, trop coulant et du moins très surprenant». Un accord qui serait beaucoup moins exigeant que les engagements que le département américain de la Justice (DOJ) avait arraché à Microsoft et Apple il y a plus d’un an.
Nombreux concurrents ont par ailleurs jugé que « l’absence d’un réelle sanction ne ferait qu’encourager Google à répéter ses abus de position dominante ».
Alors guerre des brevets sous laquelle se cache une rude compétition économique ou volonté légitime de défendre ses propres intérêts et celui des consommateurs ?
Il semblerait ces derniers temps que les diverses sociétés high-tech les plus importantes du monde ( Apple, Microsoft, Google…) et leurs filiales se soient enlisées dans une bataille coriace des brevets portant sur les conditions d’utilisation de ceux-ci et ce en ne faisant que s’accuser réciproquement de violation à la propriété intellectuelle selon le principe même de l’arroseur arrosé. Dans le monde de l’industrie innovante, les litiges abusifs en matière de brevets deviendrait monnaie courante. Si autrefois les brevets permettaient d’innover, il ne seraient plus aujourd’hui que l’objet d’un grand nombre de procès considérés comme des « armes stratégiques » permettant de revendiquer jusqu’à la paternité d’un modèle économique. Source d’inventivité, le brevet d’usage ne devient plus qu’un actif économique.
Le Commissaire soumettra sous forme de questionnaire, les diverses propositions faites par Google qu’il juge satisfaisantes aux experts du marché, en ce compris les plaignants (la plupart des autres acteurs du web) et aux autres parties prenantes (notamment la coalition FairSearch regroupant Microsoft, Oracle, TripAdviser, Nokia…) en vue d’aboutir à une décision formelle pour le printemps prochain. Pour vérifier l’efficacité des nouveaux remèdes proposés, les tester sur le marché semble être aujourd’hui indispensable avant de rendre toute proposition juridiquement contraignante.
Alors que le géant Californien échappe d’une part à une éventuelle procédure de sanction à Bruxelles, parallèlement en France, la pression grandit sur l’autre dossier et la Commission française de l’informatique et des libertés (Cnil) a mis la société en demeure lui imposant de revoir sa politique de confidentialité concernant le traitement de données personnelles de ses internautes, une prise de position qui fait suite aux confidences d’Edward Snowden. Ici Google risque une amende bien plus conséquente, à l’image de ce que Microsoft a déjà expérimenté dans le passé. (cf.Nea say n° 137)
Géraldine Magalhães
Pour en savoir plus :
-. Bulletin Quotidien Europe N°10933 – « Un accord à l’amiable avec Google au printemps 2014 ? », Bruxelles 1er octobre 2013 (Agence Europe) ;
-.Le Monde – « Avec Google, Bruxelles parie sur la négociation » (Bureau européen), 3 octobre 2013 , http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/10/02/avec-google-bruxelles-parie-sur-la-negociation_3488428_651865.html
-. Commission Européenne – Communique de presse-« Antitrust : la Commission demande un retour d’information sur les engagements proposés par Google pour résoudre ses inquiétudes en matière de concurrence », 25 avril 2013, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-371_fr.htm
-. ( Press Release, « Antitrust : Commission seeks feedback on commitments offered by Google to address competition concerns)
ITespresso – P.Guerrier« Dossier Antitrust Google : la Commission européenne tempère a nouveau, 1er octobre 2013, http://www.itespresso.fr/dossier-antitrust-google-commission-europeenne-tempere-nouveau-68527.html
-. Numérama- L.Julien « Antitrust : Bruxelles évoque des « améliorations significatives » venant de Bruxelles », 1er octobre 2013, http://www.numerama.com/magazine/27133-antitrust-bruxelles-evoque-des-ameliorations-significatives-venant-de-google.html
-. Economie & Société – V. Lorphelin, « L’onde de choc de la guerre des brevets révolutionne la stratégie des sociétés High-tech », 17 septembre 2012, http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/recherche-innovation/innovation/221154380/londe-choc-guerre-brevets-revolutionne-st
-. Dossier Google de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=google&Submit=%3E