Après une réunion conjointe des commissions parlementaires LIBE et FEMM à la mi-septembre, le dossier rom revient à la plénière de Strasbourg. Hélas, sous le coup de l’émotion. L’inclusion tardive de ce débat à l’ordre du jour le 10 octobre dernier ne semble pas étranger à la chronique récente en Suède. D’après les révélations du journal Dagens Nyheter, en effet, la police de Lund (dans le sud de la Suède) aurait constitué ces dernières années un fichier sur base ethnique de quelques 4000 roms, indépendamment de tout soupçon d’activité criminelle. La nouvelle a eu d’autant plus de répercussion après les propos controversés du Ministre français de l’Intérieur Manuel Valls, (voire autre information) qui avait accusé les roms de ne pas vouloir s’intégrer dans la société.
Pris entre les différents feux des accusations mutuelles, les députés européens piétinent toujours à dégager une volonté politique capable de concrétiser de stériles déclarations de principes.
La nouvelle du fichage ethnique en Suède tombe dans un moment particulièrement sombre pour les roms d’Europe, destinataires malgré eux de discours de haine raciale et d’expulsions forcées dans différents Etats Membres. Leur usage est de nature purement politique et politique intérieure on l’a vu lors des débats concernant l’ouverture de l’espace Schengen à la Bulgarie et la Roumanie, deux pays qui comptent le plus haut pourcentage de roms dans leur population totale. Créé en 2012 par la police locale de Lund, le fichier incriminé implique plus de 4000 personnes, dont un milliers de mineurs, indépendamment de leur casier judiciaire. Dans ce sinistre catalogue, qui retrace aussi les liens familiaux entre les individus, apparaissent des artistes, des écrivains, des enseignants et des journalistes. Le seul élément commun entre toutes ces personnes est bien manifestement l’appartenance à la communauté rom. Le fichage ethnique est illégale dans nombre de pays, dont la Suède, et contrevient au droit à la vie privée, tel que déclaré, entre autre, par la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
Celui de Lund n’est pas le seul recensement illégal à avoir eu lieu en Suède. Le 27 septembre dernier, Dagens Nyheter a révélé l’existence d’un classement similaire tenu à Stockholm entre 1959 et 1996. Comme dans le cas précédent, les informations collectées sont à la disposition de la police criminelle et d’autres agences répressives. La députée suédoise Maria Corazza Bildt (PPE) a défendu énergiquement son gouvernement, en affirmant que la responsabilité de ces actes n’étaient pas dans le chef de l’institution policière suédoise, mais dans celui de certains individus. Sa compatriote Cecilia Wikstrom (ALDE) a parlé en revanche d’un « grand scandale » qui met en péril l’implémentation des stratégies d’intégration.
Bien que le débat ait été suscité par les faits intervenus en Suède, la plénière a été une occasion complémentaire pour traiter du cadre européen pour les stratégies nationales. En tant que représentant du Conseil, le Ministre lithuanien des Affaires Etrangères Vytautas Leškevičius a rappelé que l’intégration des roms est avant tout une question de justice sociale, qui défie la crédibilité internationale de l’Europe quant à la promotion des droits de l’homme. Deuxièmement, a-t-il ajouté, il s’agit d’un enjeux économique qui n’est pas anodin, compte tenu que la population rom s’élève à pas moins de 6 millions d’individus dans l’UE (12 millions en Europe, Turquie incluse) et que la stratégie Europe 2020 vise à éradiquer la pauvreté pour quelques 20 millions de personnes.
Les difficultés ne manquent pas. Mme Viviane Reding, Commissaire à la Justice et aux Droits Fondamentaux, en a épinglé les trois majeures : la faible (voire nulle) participation des roms dans les enceintes censées les représenter ; le manque de coordination entre les parties prenantes de l’intégration de ces communautés ; l’absence de volonté politique à l’échelle nationale et locale. Si pour les deux premiers points, la Commission peut faire entendre sa voix, par exemple en subordonnant l’octroi des fonds européens à la présence de représentants roms dans les projets à financer ou en créant un réseaux des points de contacts nationaux, le manque de volonté politique des Etats Membres ne peut pas être réglé par les dispositions d’une directive.
En faisant l’écho aux propos de la Commissaire, les rapporteures des commissions LIBE et FEMM sur ce dossier, Mmes Lívia Járóka et Kinga Göncz, ont dénoncé le manque d’engagement politique des capitales européennes, ainsi que le comportement de certains groupes politiques qui ne feraient que s’accuser mutuellement. Le dossier rom risque en plus de creuser un clivage dangereux entre pays occidentaux et pays orientaux. Certains députés (comme Dimitar Stoyanov, parlementaire bulgare non inscrit) ont reproché à la France de déclarer de beaux principes et de critiquer les pays de l’Est, tout en choisissant au niveau national la « voie facile », celle des rapatriements forcées ; d’autres, au contraire, ont pointé du doigt les pays de l’Est les accusant de ne pas empêcher l’émigration des roms vers l’ouest. Et pour jeter de l’huile sur le feu, les interventions de Philip Claeys (non inscrit, leader du Vlaams Belang belge), Dimitar Stoyanov (non inscrit) et Claudio Morganti (ELD) n’ont pas manqué de provoquer de vives réactions de la part des autres députés. « J’ai eu honte d’être dans cet hemicycle et d’entendre certains propos» a dit Mme Reding à propos de certaines déclarations prononcées dans la salle.
Véronique Mathieu Houillon (PPE) a quand même rééquilibré le débat en faisant entendre une voix qui appelle à la « tolérance et la responsabilité », les mots d’ordre qu’elle a évoqué pour faire face aux défis posés par l’intégration des roms. Surtout, a-t-elle affirmé, il faut suivre de près l’utilisation des fonds européens pour qu’ils soient effectivement utilisés en faveur des communautés roms, compte tenu des allégations selon lesquelles seul 10% des financements bénéficient réellement à cette population.
Malgré ces propos, théoriquement partagés par la plupart des députés, la crainte est celle de voir l’intégration des roms en Europe tomber à nouveau dans l’oubli, une fois l’émotion suscité par les faits de Lund épuisée. C’est surtout au niveau des Etats Membres, que se trouvent – le rappelle M. Leškevičius – les principaux responsables de la mise en œuvre des stratégies d’intégration. A ce propos, elle a également exprimé son espoir quant à l’approbation des recommandations proposées par la Commission européenne d’ici décembre 2013. Par ailleurs, la Commission prévoit une rencontre au printemps 2014 avec les maires des villes européennes pour débattre de la question.
Gianluca Cesaro
Pour en savoir plus :
– Enregistrement du débat sur la situation de roms à la plénière de Strasbourg – 08/10/2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/plenary/video?debate=1381324002656
– Article de Euractiv sur le fichage ethnique en Suède – 27/09/2013 – (EN) – http://www.euractiv.com/socialeurope/swedish-police-illegal-database-news-530655
– Article de EU Logos sur la réunion conjointe LIBE-FEMM traitant des stratégies nationales d’intégration des roms et de la condition des femmes roms – 29/09/2013 – (FR) – http://europe-liberte-securite-justice.org/2013/09/29/lagenda-rom-entre-discrimination-et-egalite-de-genre-les-commissions-libe-et-femm-en-premiere-ligne/
-. Dossier Rom de Nea Say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=rom&Submit=%3E