Alors que l’étape du démantèlement des armes chimiques en Syrie a été franchie, c’est à un second volet que les députés européens s’attèlent : le volet humanitaire. On doute à leur façon d’aborder la question que ce volet, contrairement au précédent récolte un Prix Nobel. Si la résolution adoptée par le Parlement européen le 9 octobre dernier sur « les mesures prises par l’Union et les Etats membres pour faire face à l’afflux de réfugiés engendré par le conflit en Syrie » concentrera une partie de notre attention, nous verrons également l’issue du Conseil JAI du 7 et 8 octobre ainsi que les déclarations de Georgieva, chiffres à l’appui, souligne, une fois de plus la gravité de la situation.
Afin d’être bien conscient de l’ampleur de la question des réfugiés syriens pour l’Union européenne et les pays limitrophes à la Syrie revenons sur quelques données statistiques. Georgieva mentionne qu’en un an seulement, le nombre de personnes tuées a quadruplé : de 27 000 à 100 000. De même, le nombre de réfugiés a lui été multiplié par huit : il est passé de 270 000 à 2,1 millions d’individus. Et cela ne va sans doute pas s’arrêter lorsque l’on sait que d’ici la fin de l’année, on devrait être à 3,2 millions de réfugiés syriens, et à 5,2 d’ici 2014, selon les projections des Nations Unies. Dans l’Union européenne, c’est pas moins d’environ 52 000 demandes qui ont été reçues. Ayons bien en tête que l’accueil des réfugiés syriens est largement variable d’un Etat à l’autre : environ 18 000 pour l’Allemagne, 14 000 pour la Suède, 2600 pour le Royaume Uni, et nous ne citerons pas les autres Etats ne passant pas la barre des 2000 réfugiés. A l’inverse, au Liban, c’est un million de réfugiés syriens qui se mêlent à une population de pourtant seulement quatre millions d’habitants, sans parler des nombreux réfugiés qui se sont accumulés depuis plus de soixante ans à l’occasion des nombreuses guerres « proche-orientales ». En Jordanie, un demi million de réfugiés circulent également. Au final, 97% des réfugiés seraient dans un pays frontalier ou proche de la Syrie. Le budget est lui aussi inégalement répartit : si le Royaume-Uni a donné pas moins de 203 millions entre 2011 et 2013 pour le budget humanitaire, l’Allemagne en a donné 117, la Suède 39, et la France 25. Trêve de chiffres, attardons nous maintenant sur les actions et paroles prononcées ces derniers jours sur la question syrienne.
Procédons dans un ordre chronologique : Kristalina Georgieva, commissaire européenne à l’aide humanitaire, participait au « UNHCR Executive Committee High Level Segment » le 30 septembre dernier à Genève. Cinq priorités y étaient soulevées : la collecte d’argent, rendue difficile en ces temps de crise ; l’appel à une action substantielle du Conseil de sécurité ; le renforcement d’une approche cohérente et globale et d’une pleine application des textes concernant les réfugiés ; le sauvetage de vies directement ou indirectement en évitant radicalisation de la jeunesse et à terme le phénomène de génération perdue ; enfin, si l’Union a le mérite d’être le plus grand donateur dans le conflit, il lui faut « ouvrir son porte-feuille mais aussi ses frontières ».
Le Conseil JAI des 7 et 8 octobre dernier, dans son communiqué, en appelle lui « à un engagement fort de l’Union européenne ». Il salue le « Programme de protection régionale » (2013-2016) mis en place par la Commission européenne visant à s’attaquer à la question des réfugiés, du développement du Proche-Orient, de la protection et de l’accès aux droits fondamentaux, à l’élaboration de solutions durables, une assistance juridique appropriée, un renforcement de la société civile et enfin au développement socio-économique des pays d’accueil. Le Conseil ne s’est pourtant point trop arrêté sur la question syrienne, sur laquelle il compte s’arrêter plus longuement dans sa prochaine réunion.
Que préconise la résolution votée à la plénière le 9 octobre dernier. La lourde pression que constituent les réfugiés sur les pays voisins y est soulignée : ils sont appelés à poursuivre cet élan de solidarité, l’Union européenne s’engageant à leur fournir toute l’assistance nécessaire. L’Union européenne doit poursuivre selon le texte les efforts financiers et garder sa place de principal donateur dans la crise, et ce, malgré les contraintes budgétaires que l’on connaît. Le mot clé de la résolution est certainement celui de « solidarité » : les Etats membres sont encouragés à manier toutes les procédures à leur disposition (application de la directive sur la protection temporaire) afin de favoriser un accès licite au territoire, de même qu’à évaluer le flux de réfugiés qu’ils seraient capables d’accueillir. Cette solidarité se doit de passer par le dialogue, encouragé par la proposition d’organisation d’une « Conférence humanitaire » où se côtoieraient institutions et société civile. Finalement, sont considérés comme particulièrement répréhensibles les recours à la détention abusive et au refoulement l’une et l’autre contraire au droit international et européen.
Comment ont réagi les députés, la Commission, le Conseil ? Le Conseil a exprimé sa volonté de coordination et de transparence dans l’allocation des aides, et annoncé des mesures portant sur le moyen et long terme. Il a mis l’accent sur la réinstallation. Le Conseil appelle à une solution politique, et c’est un appel qui est également adressé au Conseil de sécurité des Nations Unies, cela étant perçu comme la solution drastique au problème humanitaire. Michel Barnier s’exprime à son tour, au nom, de la Commission européenne. Il appelle à la méfiance : si destruction de l’arsenal chimique syrien il y a, cela ne signifie guère une cessation des hostilités. Il appelle donc tous les acteurs à une coopération accrue « pour une réponse unie ». Si certains Etats comme l’Allemagne, la Hongrie, ou la Suède se sont engagés à accueillir plus de réfugiés en répondant à la requête du HCR, pour d’autres c’est « silence radio » ! Ainsi, le HCR demande à ce que soient satisfaites 10 000 demandes d’admission et 2000 réinstallations. Barnier aborde également la question des routes que doivent emprunter nombre de réfugiés syriens : chemins parsemés d’embûches,et souvent exploités par les réseaux criminels où trop souvent se terminent les parcours des réfugiés. Il encourage donc le recours aux visas humanitaires, soulignant bien là que cela reste du ressort de la souveraineté de chaque Etat membre. D’un point de vue budgétaire, il annonce que ECHO ne dispose plus de ressources pour 2013, il est donc nécessaire de trouver davantage de fonds pour l’année 2014. Il agite également le drapeau de la menace terroriste en évoquant les nombreux combattants étrangers en provenance de l’Union européenne. Finalement, « un tel problème européen doit trouver une réponse européenne ».
Ensuite, tentons de faire ressortir les éléments substantiels du débat. Swoboda (S&D) en appelle à un accueil des réfugiés au nom de « l’expertise » de l’UE que celle-ci est susceptible de leur apporter : ainsi, il est nécessaire d’appréhender la situation comme étant amenée à évoluer, à l’Union européenne donc de former les citoyens syriens de demain. Il propose également la mise en place de couloirs humanitaires pour faciliter l’accès au territoire. Verhofstadt (ADLE) insiste et interpelle même la Commission pour s’assurer de la bonne tenue d’une Conférence humanitaire sur le dossier. Il s’indigne, comme plusieurs autres, de l’hypocrisie régnante face à un encouragement pour les pays limitrophes à maintenir leurs frontières ouvertes alors que l’Union européenne n’en est, elle, pas capable. Il pose également, comme beaucoup, la question de l’activation de la directive sur la protection temporaire. De plus, face aux flots de congratulations mutuelles sur l’accord relatif aux armes chimiques, il ne faut pas oublier que le conflit continue sous d’autres formes, non moins condamnables. Pour lui « d’ici vingt ans dans les manuels d’Histoire, on sera traité de lâches et c’est peut être ce que nous sommes ». Sargentini, (vert-ale) évoque, comme l’avait fait Georgieva, l’importance pour l’Union européenne de ne pas seulement « brandir le porte-feuille », mais d’agir avec le coeur. Un grand nombre de députés comme Stadler (NI) ou Pirker (PPE) demanderont aussi à ce que des pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite prennent leur part de responsabilités et accueillent également des réfugiés. Sylvie Guillaume (S&D) insiste elle quant à la nécessité de fournir une approche qui soit globale et non « une accumulation de réponses nationales » comme la sensibilité du sujet le laisse entendre. De même, si le Parlement a énormément travaillé pour le nouveau Paquet Asile, peut-être est-il temps de montrer qu’il ne s’agit pas d’une coquille vide. Pour Véronique de Keyser (S&D), c’est « là-bas » que notre attention doit être focalisée : un effort diplomatique est nécessaire pour que les ambassades puissent fonctionner à nouveau de même que l’acheminement de l’aide se doit d’être au maximum facilité, comme Pirker (PPE) le soulignera également au travers de la proposition de facilitation de l’acheminement de l’eau notamment. Si pour Millan Mon (PPE), il est tout à fait louable de traiter la question de l’aide, la meilleure façon d’aider ne serait-elle pas de trouver une solution politique pour la fin du conflit ? Costa (S&D) tout comme Landsbergis (PPE) en appellent, eux, à des recours devant la Cour pénale internationale , notamment pour les passeurs, ceux-ci se rendant coupables de crimes contre l’humanité.
En conclusion, face aux chiffres inquiétants, qui tous incluent la question syrienne au coeur de leurs discussions, la perplexité est de rigueur. Ainsi, le Conseil nous pousse au pessimisme : la question humanitaire qui est surtout celle de l’accueil des réfugiés reçoit des réponses hétérogènes. Si les uns sont prêts à faire des efforts ou se retrouvent malgré eux confrontés à l’afflux massif de réfugiés, les autres, plus protégés, préfèrent jouer la carte de l’ignorance. Quant au Parlement, si tous partagent le même sentiment, les propositions concrètes ont été remplacées par de jolies formules, des mots compassionnels qui laissent perplexes. Nous conclurons sur les mots de Louise Carr, représentante du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés : « Tous les pays européens condamnent la violence en Syrie et sont prêts à donner de l’aide humanitaire mais ils rechignent à ce que les personnes puissent venir chez eux ». De donatrice généreuse, l’Union européenne sera-t-elle à la hauteur des valeurs qui constituent son essence même ?
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
-. Europarl, Textes adoptés, « Mesures prises par l’Union et les Etats-membres pour faire face à l’afflux de réfugiés engendré par le conflit en Syrie » – 9 octobre 2013 :(FR) : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0414+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR (EN) : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0414+0+DOC+XML+V0//EN
-. Conseil – Communiqué de presse – 7 et 8 octobre : (EN) : http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/jha/138925.pdf
-. Europa – Communiqués de presse – « The Syrian crisis – humanitarian priorities of the European Commission » – Georgieva : (EN) : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-13-769_en.htm?locale=FR
-. Europarl – « L’UE devrait renforcer ses efforts pour lutter contre la crise des réfugiés syriens, selon les députés de la commission des libertés civiles » : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20131001IPR21212/html/L’UE-devrait-renforcer-ses-efforts-pour-combattre-la-crise-des-réfugiés-syriens
-. Le Monde.fr – « Pour une autre politique migratoire » – 9 octobre 2013 : http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/libre/20131009/index.html?article_id=924590
-. Le Monde.fr – « L’Europe immobile face à l’afflux de réfugiés » – 9 octobre 2013 : http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/libre/20131009/index.html?article_id=924588
-. Libération – « Structures d’accueil : un blocage dissuasif » – 1er octobre : http://www.france-terre-asile.org/component/flexicontent/124-slider/9050-structures-daccueil-un-blocage-dissuasif-
-. Bruxelles 2 – « Les réfugiés syriens, une menace pour la sécurité ? » – 10 octobre : http://www.bruxelles2.eu/zones/syrie/les-refugies-syriens-une-menace-pour-la-securite.html
-. Bruxelles 2 – « L’Europe peine à accueillir les réfugiés, syriens y compris » – 7 octobre 2013 : http://www.bruxelles2.eu/europe-pouvoir-traite-de-lisbonne/leurope-peine-a-accueillir-les-refugies-syriens.html
-. Frontex – « Annual Risk Analysis » – 2013 : http://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Annual_Risk_Analysis_2013.pdf
-. Conseil JAI – Note d’information – 7-8 octobre : http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/jha/138916.pdf