Editorial du n° 137 de Nea say: Refaire l’Europe par les Institutions ? (1) . Peut-on tout trouver tout ce dont a besoin dans des textes, fussent-ils des traités ?

C’est une constante dans l’histoire européenne de vouloir sortir des difficultés en modifiant les traités. Dernière tentative en date celle du groupe Spinelli. Dans le dernier éditorial, nous disions que c’était largement une illusion, plus, un alibi pour ne rien faire et nous promettions de revenir sur la question car des ajustements sont nécessaires, utiles  concernant  les pratiques et les comportements : des défaillances et des insuffisances existent. Redonner de la vitalité à l’UE  ne passe pas par un remodelage constant comme si   les innovations institutionnelles pouvaient, par elles-mêmes, produire des politiques adaptées aux exigences du moment. Mais en réalité  les traités en vigueur  comportent tout la flexibilité nécessaire et les bases juridiques requises pour agir.En réalité ce qui est en cause c’est la responsabilité des Etats et tout particulièrement  pour coopérer loyalement : les Etats doivent respecter les institutions comme les traités leur en font l’obligation, une obligation généralement perdue de vue. La règle du jeu n’est pas évidente mais elle doit être respectée et  les institutions doivent remédier à certaines carences de leur fonctionnement (pas nécessairement de leurs textes) et cela à travers un long cheminement. Le président Barroso a pointé du doigt la responsabilité première des Etats membres notamment dans son dernier discours sur l’Etat de l’Union. Cette démarche assez largement inédite est passée  inaperçue et n’a pas recueilli les commentaires auxquels on pouvait s’attendre. Dommage !

Ainsi le Conseil européen  s’il doit définir des orientations stratégiques, il ne doit pas être une chambre d’appel des dysfonctionnements du Conseil. Pour cela il n’est pas nécessaire de toucher aux traités. La crise n’est pas d’ordre institutionnel, elle touche directement les individus : dans leur revenu, leur travail, leurs perspectives d’avenir pour  au moins les  dix ou quinze ans à venir, leurs perspectives et celles de leurs enfants.  L’Union a agi (réagi)  avec lenteur et retard et sous la pression des événements mais elle n’a été ni inerte, ni sans efficacité.

Refaire l’Europe c’est  rendre indissociable la discipline, la solidarité et la bonne gouvernance. La discipline : trop de décisions, d’engagements, de délais ne sont pas respectés dans un enchevêtrement inextricable d’instruments et de procédures. Solidarité : assumer ses responsabilités, toutes ses responsabilités dans un climat de confiance mutuelle enfin restaurée .Bonne gouvernance, c’est-à-dire inspirer confiance dans la clarté : tout formule du « double chapeau » ne va pas dans ce sens. Exemple : le président de la Commission serait aussi le président du Conseil européen, le membre de la Commission en charge des affaires économiques serait le président de l’Eurogroupe. Ce serait mettre gravement en péril le principe fondateur de l’indépendance de la Commission. Il faut distinguer clairement une instance d’initiative et de proposition (la Commission) et une instance de décision (le Parlement européen et le Conseil). Le Parlement peut censurer la Commission, mais par ce fait il censurerait aussi le Président du Conseil européen ? un imbroglio conflictuel dans lequel se plonger avec délices !

Refaire l’Europe, c’est retrouver  les heures glorieuses des politiques communes : politique agricole commune, politique commerciale (Kennedy round) , grand marché intérieur…Or nous devons constater que depuis quelques années, il y a eu simultanément affaiblissement des politiques communes et proliférations , souvent incontrôlée, des domaines d’action les plus divers. Il est  toujours sain de rappeler les grands principes de la subsidiarité, la règle de base qui prévalait à l’origine : l’Union doit agir lorsqu’elle est en mesure de faire plus et mieux que les Etats membres individuellement. Mais la vigueur de l’Union sera mesurée par le succès de quelques grandes politiques : une politique de l’énergie forte, un marché unique achevé, une politique industrielle et de l’innovation enfin mise en œuvre, un système de Schengen modernisé, une politique environnementale exemplaire, par exemple. Toutes ces politiques doivent être bien perçues dans leur globalité par les citoyens avec des priorités claires et une programmation bien articulée, un calendrier précis. Une identité forte. C’est là que se trouvent les ressorts de la croissance économique et de la cohésion politique.

Tous les grands objectifs que  l’Union s’est assignés peuvent être atteints dans le cadre des traités en vigueur, un nouveau traité n’est pas nécessaire dans l’immédiat. Cela peut être un ultime recours, mais pas le premier. Et ce serait aussi apporter de l’eau au moulin du Royaume-Uni qui serait bien tenté de  tirer profit de cette vaste renégociation   pour remettre en cause une grande partie de l’acquis et obtenir des dérogations  à certaines des politiques fondamentales, et aussi discuter de la légitimité de l’action européennes, sans avoir à trancher en décidant de sortir de l’Union .Que le Royaume-Uni quitte une Europe forte, constitue une opération qui n’est pas sans risque pour tout le monde, mais cela vaudra toujours mieux que rester dans une Europe dénaturée, affaiblie.

En résumé : des politiques fortes dans un cadre institutionnel et constitutionnel stable qui supporterait des adaptations de détails, des comportements différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui.

 Le Conseil européen a vu son pouvoir de fait renforcé uniquement en raison de la crise des dettes souveraines et des fragilités bancaires et budgétaire domaines où la compétence principale demeurait celle des Etats membres. Il n’a donc rien pris aux autres institutions (Parlement et Commission) qui de leur côté ont reçu un surcroît de compétences, principalement la Commission mais aussi le Parlement européen qui ne semble pas s’en être aperçu !  Le Conseil européen avec son président permanent a vu son fonctionnement s’améliorer, mais pas au point de mieux collaborer avec les différents Conseil s semestriels à présidence tournante. Nous ne sommes pas en présence de Conseils rivaux ou parallèles, mais de Conseils complémentaires. Faut-il rappeler que c’est le Conseil qui prépare le Conseil européen et que le Conseil européen ne légifère pas. Cela passe chacun le sait par une réforme du Conseil affaires générales : il faut avoir le courage de s’y atteler. Une telle pratique aurait comme conséquence à moyen terme de réduire l’interventionnisme des chefs d’Etat et de gouvernements qui pourraient, enfin, concentrer toute leur attention et leur énergie sur les grands problèmes politiques et les grandes orientations stratégiques et leur réalisation  en fonction des priorités et des calendriers, les uns et les autres à respecter impérativement. Effet secondaire, ce  serait aussi moins  exposer les chefs d’Etat et de gouvernement à leur opinion publique. Ils y trouveraient un surcroit de sérénité  ou d’objectivité dans la prise de décision et de son suivi.

 Quant à la Commission, paradoxalement c’est elle qui semble avoir été affaiblie et alors que ses compétences ont été régulièrement étendues. Paradoxalement aussi c’est Le Parlement européen qui par son contrôle de plus en plus étroit, tatillon même, a entraîné une intervention croissante des Etats dans le processus législatif affaiblissant l’indépendance de la Commission et son droit d’initiative. Mais au passage il faut bien constater que l’attribution d’un  commissaire à chaque Etat membre a été une mesure désastreuse qui a entraîné une « Coreperisation »(2) croissante de la Commission européenne, les Etats membres intervenant régulièrement dans son fonctionnement quotidien, dans une  inflation de portefeuilles et de Directions générale. Une « réforme » utile serait revenir à un fonctionnement purement collégial de la Commission ce qu’il a été dans le passé. La Commission gagnerait beaucoup à ne pas apparaître, c’est la tentation, comme le porte-parole du Parlement européen ou le relai des volontés des Etats membres, tout en restant membre du Conseil européen, ce qu’elle est et dont on ne perçoit pas toujours les conséquences positives. Elle reste ainsi jusqu’au bout du processus législatif et de la prise de décision (si elle en a la volonté politique) la seule garante du bon fonctionnement de la méthode communautaire.

Quant au Parlement européen seront  décisives ses relations avec la Commission. Elles ne peuvent rester ce qu’elles sont même si actuellement et globalement elles sont satisfaisantes. La nouvelle formule ne risque-t-elle pas de fragiliser l’ensemble du l’édifice ? Ni complaisance, ni chantage, ni agressivité inutile à son égard de la part du Parlement européen, dans le seul espoir de redorer à bon compte une image qui viendrait à se dégrader. La priorité est sans doute ailleurs : intéresser les représentations parlementaires nationales aux travaux des institutions européennes à commencer par celle du Parlement européen. Deux mondes qui s’ignorent  largement, chacun croyant pouvoir se passer de l’autre. La démocratie au niveau européen  devra coexister avec les procédures démocratiques de chaque Etat membre qu’elles  soient établies aux niveaux local, régional et national et les compléter. Il ne faut pas chercher à les remplacer dans un saut gigantesque, « révolutionnaire », un « grand soir »  dont  seuls certains fédéralistes rêvent encore. Il s’agit d’établir, d’organiser les communications, les complémentarités, les travaux en commun quasiment au quotidien. Car la réalité de l’actualité européenne est quotidienne : il n’y a pas  (et c’est heureux) que les réunions des sommets de chefs d’Etat ou de gouvernement comme pourrait le croire, naturellement, le citoyen européen. Or il faut bien constater que tel n’a pas été le cas  et il s’en faut de beaucoup. Récemment la commission du Parlement européen des libertés publiques, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) constatait, dans son évaluation du programme de Stockholm actuellement en cours, que le Parlement  avait échoué dans ses tentatives, nombreuses et régulières, pour associer les parlements nationaux à ses travaux. Autre exemple les députés nationaux ne se sont pas encore saisi des nouvelles procédures de surveillance économique déclenchées par le « semestre européen ». Tout récemment le commissaire Michel Barnier, en charge du grand marché intérieur européen, a expliqué à 9 députés,  venant de plusieurs grandes commissions de l’Assemblée nationale française, ce qu’était la nouvelle procédure d’adoption des budgets nationaux. Le prétendu déficit démocratique de l’Union (dont on nous rebat les oreilles) ne prend pas tellement  d’autres formes que cela, il n’a pas son origine dans l’absence d’acteurs politiques identifiables,  ou du manque d’intérêt des citoyens, mais dans le manque d’engagement, de cohérence, de persévérance et de volonté d’agir de la part des acteurs naturels de la vie politique, économique et social.

 L’avenir n’est pas à de nouveaux traités. Mais peut-on tout trouver dans des textes ? Tout ce dont on a besoin, par exemple : le volontarisme politique ? l’ambition collective ? et la capacité d’impulsion à donner à quelques dossiers ?

Les européens se détournent-ils de l’Europe ? Rien n’est moins sûr. Ils se détournent plus certainement de l’absence de perspectives, de l’idéologie partisane, des luttes de pouvoirs internes à l’Union, aux polémiques, aux conflits incompréhensibles entre Etats membres, à la gestion au jour le jour, aux annonces non suivies d’effet. Or il s’agit de bien  prouver aujourd’hui que l’Europe a un sens, qu’elle  est une nécessité et le prouver dans les faits. Une ardente obligation de résultats et maintenant : plus tard risque d’être trop tard.

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(1)    « Réinventer l’Europe », c’est le terme retenu par les organisateurs des « Journées  de l’Europe » à Bruxelles les  10,11,12 octobre derniers

(2)    Coreper : comité des représentants permanents, composé des ambassadeurs de chacun des Etats membres .

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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