Prix Sakharov : « Moi, Malala, je lutte pour l’éducation et je résiste aux talibans »

C’est officiel, alors que nous vous avons révélé il y a peu les différents nominés au Prix Sakharov (cf.  infra, « pour en savoir plus »), c’est Malala Yousafzai qui a reçu le prix Nous vous avons révélé son nom parmi d’autres nominés. Martin Schultz le justifiait en affirmant que « en décernant le prix Sakhariv à Malala Yousafzai, le Parlement européen reconnaît la force incroyable de cette jeune femme. Malala se bat courageusement pour que tous les enfants aient droit à l’éducation. Ce droit à l’éducation des jeunes filles est trop souvent oublié ». Revenons donc sur l’histoire de cette jeune adolescente qui du haut de ses 16 ans nous offre à tous une belle leçon d’humanité. Elle qui a pour modèle Nelson Mandela, au moins ont-ils un prix en commun, si ce n’est bien plus.

Malala vient de la vallée de Swat au Pakistan où le régime taliban interdit aux filles d’aller à l’école. Elle se fait connaître au travers d’un blog de la BBC où, sous un faux nom, elle raconte son histoire avec une poigne qui attirera l’attention. Ainsi, par exemple, évoquant la nécessité pour les femmes de se cacher derrière la burqa, elle compare le grillage à un volant de badminton. Comparaison enfantine, ses constats, eux, sont empreints d’une maturité à laquelle on se doute que ce sont les épreuves de la vie qui ont aidé à la forger. Il faut dire, Malala avait le combat pour l’éducation dans le sang : son père est un militant anti-talibans, propriétaire de plusieurs écoles de filles. Alors que celui-ci emmène Malala de conférences en conférences, elle s’exclamera lors de l’une d’elle et à l’âge de 11 ans : « De quel droit les talibans m’empêchent-ils d’aller à l’école ? ». Ainsi, elle défend le droit pour les filles d’aller à l’école publique et non coranique. Sa présence dans  un nombre de plus en plus grand de colloques a commencé à gêner le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) qui voyait dans la propagation de ses paroles une trahison envers l’islam. Ainsi, si pour eux « l’islam interdit de tuer des femmes », il n’interdit pas de tuer « celles qui aident les infidèles dans leur guerre et contre notre religion ». Cette phrase fait frémir quand on sait que Malala, punie de son courage, a reçu une balle dans la tête par les talibans. Heureusement, la Providence a épargné celle qui avait encore tant de choses à dire, à faire, et à changer : elle est désormais installée au Royaume-Uni et multiplie les interventions comme celle, mémorable, aux Nations Unies en juin : « nos livres et nos stylos sont nos armes les plus puissantes. Un enseignant, un livre, un stylo peuvent changer le monde ».

Si elle affirme vouloir retourner dans son pays pour y apporter du renouveau une fois ses études terminées, l’opinion publique au Pakistan est sceptique. Pourtant, la tentative d’assassinat dont elle avait fait l’objet avait suscité une vague d’indignation à travers le pays : au point que, certains analystes avaient prédit une rébellion possible contre le mouvement taliban. Pourtant, aujourd’hui, certains sont plus réservés. D’une part, il y a ceux qui se rangent du côté d’une théorie du complot. Pour ceux-là, Malala ne serait qu’une « marionnette de l’Occident » : l’attentat à son égard ne serait qu’un coup-monté par Washington lui ayant donné l’argument de poids qui lui manquait pour forcer l’armée à intervenir dans les sanctuaires extrémistes du Nord-Waziristan. Pour d’autres, l’hyper médiatisation de Malala ne serait pas justifiée : pourquoi ne pas parler plutôt des enfants tués chaque jour par les drones américains ? Nous répondrons aux deuxièmes, que Malala tente d’utiliser sa nouvelle notoriété pour peser sur les décisions américaines : elle a demandé à Barack Obama lors d’une visite à la Maison Blanche de renoncer aux drones. De même, l’hyper-médiatisation dont elle est la cible n’est pas chose aisée pour une jeune fille de 16 ans dont le combat la dépasse parfois : « Ici, en Angleterre, tout le monde me considère comme une bonne fille qui se bat pour aller à l’école, celle sur qui on a tiré. Mais personne ne me considère simplement comme Malala, leur amie, comme une fille normale ». Rallions nous donc à l’avis de la romancière Bina Shah qui appréhende ces phénomènes comme « la manifestation honteuse de la manière dont les Pakistanais tendent à se retourner contre les personnes dont ils devraient être fiers. »

Sur la question à proprement parlé de son combat, évoquons le rapport « Parce que je suis une fille » de 2012 de Plan International. Celui-ci rappelle qu’encore aujourd’hui, 39 millions de filles dans le monde, entre 11 et 15 ans sont déscolarisées. Pourtant, selon un rapport des Nations Unies pour 65 pays à revenu faible, moyen ou en transition, ne pas donner le même niveau d’éducation aux filles qu’aux garçons a un coût économique exorbitant : 92 milliards de dollars par an. L’exemple du Pakistan est d’ailleurs soulevé dans le rapport : là-bas, une année de dépenses pour l’éducation de 1000 filles aurait un coût estimé à 30 000 dollars USD sur les 15 prochaines années pour une économie de 48 000 dollars USD en évitant 60 morts infantiles, 33 000 dollars USD en évitant 5000 grossesses et 7500 en évitant des décès maternels. Finalement, les économies réalisées seraient de trois fois supérieures au coût initial pour leur éducation. Différents facteurs sont avancés relatifs à cette carence de la scolarisation des filles : pauvreté, grossesse précoce (sur les 39 millions de filles déscolarisées, une sur sept est mariée avant d’avoir 15 ans), violence à l’école, responsabilités domestiques. Certains diront que pour pallier à cela, les Objectifs du Millénaire pour le Développement existent : oui, mais nous rétorquerons que ceux-ci  ne se concentrent malheureusement que sur l’éducation primaire. Insuffisant, très insuffisant !

Finalement, inclinons nous devant cette jeune fille qui nous montre que l’âge n’est pas le seul facteur amenant la sagesse. Belle leçon de vie que celle d’être capable de la risquer pour en offrir de plus belles à d’autres. Si Malala n’a pas eu le prix Nobel de la paix, son combat est désormais médiatisé et relayé, et cela, ça n’a pas de prix. Dés aujourd’hui militons pour que le prochain  prix lui soit enfin décerné, à cette très jeune fille.

 

Louise Ringuet

 

Pour en savoir plus :

 

      -. Europarl – « Malala Yousafzai, lauréate du Prix Sakharov 2013 » – 10 octobre 2013  : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20131009IPR21810/html/Malala-Yousafzai-lauréate-du-Prix-Sakharov-2013

      -. Plan international- « Parce que je suis une fille – Apprendre pour la vie » – 2013 : http://plan-international.org/girls/pdfs/2012-report/La-situation-des-filles-dans-le-monde-2012-Apprendre-pour-la-vie.pdf

      -. ActuaLitté – « Les talibans tueront les libraires vendant le livre de Malala Yousafzai » – 17 octobre 2013 :  http://www.actualitte.com/international/les-talibans-tueront-les-libraires-vendant-le-livre-de-malala-yousafzai-45729.htm

      -. Le Figaro.fr – « La bravoure de Malala Yousafzai » – 11 octobre 2013 : http://www.lefigaro.fr/culture/2013/10/10/03004-20131010ARTFIG00580-la-bravoure-de-malala-yousafzai.php

      -. Le Monde.fr – « Malala Yousafzaï inspire des sentiments ambigus au Pakistan » – 11 octobre 2013 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/10/11/au-pakistan-les-theories-du-complot-fleurissent-sur-malala-yousafzai_3494103_3216.html

      – . Le Monde.fr : « Malala interpelle Obama sur l’utilisation de drones » – 12 octobre 2013 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/10/12/malala-interpelle-obama-sur-l-utilisation-de-drones_3494845_3216.html

      -. Le Figaro.fr – « La jeune Malala obtient le prestigieux prix Sakharov » – 10 octobre 2013 : http://www.lefigaro.fr/international/2013/10/09/01003-20131009ARTFIG00363-malala-jeune-passionaria-du-droit-a-l-education.php

      -. Le Figaro.fr – « Les talibans menacent à nouveau la jeune Malala » – 7 octobre 2013 : http://www.lefigaro.fr/international/2013/10/07/01003-20131007ARTFIG00291-les-talibans-menacent-a-nouveau-la-jeune-malala.php

      -. Le Monde.fr – « Comment Malala Yousafzaï est devenue une icône » – 11 octobre 2013 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/10/11/comment-malala-yousafzai-est-devenue-une-icone_3494124_3216.html

      -. Nea Say n°137 – « Nominés pour le prix Sakharov : le courage politique en 7 noms » – 29 septembre 2013 : http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2929&nea=137&lang=fra&lst=0

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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