De Bramshill (Royaume-Uni) à Budapest, le déménagement du Collège européen de police (CEPOL) n’enflamme peut-être pas les débats politiques. Cependant, même un dossier aussi secondaire (du moins à première vue) que celui-ci suscite de vives réactions de la part des eurodéputés. Au-delà des marchandages pourtant présents entre les Etats Membres pour accueillir l’agence, l’enjeu est important sur le plan institutionnel. D’une part, le Conseil persiste à agir selon une logique intergouvernementale désormais obsolète, d’autre part le Parlement Européen exige l’application concrète du Traité de Lisbonne et revendique son rôle de co-législateur.
Ainsi, l’on peut bien comprendre que la décision informelle du Conseil de transférer le siège de CEPOL à Budapest, sans prendre en considération la position du Parlement, ait agacé les députés de la commission LIBE. Il en va de même pour la modification unilatérale de la liste des Etats et organisations tiers avec lesquels Europol peut conclure des accords. En l’absence de grandes oppositions de principes, c’est la procédure par laquelle ces décisions ont été prises qui a constitué l’essentiel des débats à la commission LIBE le 17 octobre dernier.
Après huit ans de séjour à Bramshill, l’agence qui forme les autorités policières des Etats Membres sera « expulsée » de son siège par le gouvernement britannique, en raison – a affirmé M. Kirkhope (ECR) – de contraintes budgétaires.
Suite à cette décision unilatérale, sept Etats Membres ont présenté leur candidature pour accueillir CEPOL dans l’une des leurs villes : Espagne (Avila), Finlande (Tampere), Grèce, Hongrie (Budapest), Irlande, Italie (Rome), Pays Bas (La Haye). Au cours du Conseil JAI à Luxembourg le 8 octobre dernier, la candidature hongroise a été retenue par une décision informelle. De son côté, le Parlement Européen, a dénoncé M. Diaz De Mera (PPE), a été tenu complètement à l’écart de cette décision, n’ayant pas pu s’exprimer sur les sept candidatures.
S’adressant à la Présidence lithuanienne, le représentant des populaires européens(PPE) a rejeté fermement les explications fournies pour justifier une telle procédure. Celles-ci, a-t-il dénoncé, ont été tardives et sont aussi partielles qu’opaques. Ce modus operandi, en outre, contreviendraid à l’art. 294 TFUE relative à la procédure législative ordinaire. Mme Mathieu Houillon (PPE) a invité les sept Etats Membres à présenter leur candidature devant la commission LIBE, qui – a-t-elle insisté – est la seule compétente au sein du Parlement Européen pour se prononcer sur la question. De même, elle a demandé une ébauche de calendrier législatif concernant la décision, pour que l’assemblée puisse suivre le dossier de plus près.
Quant au choix de Budapest en tant que nouveau siège de CEPOL, les députés n’ont pas soulevé d’objections de principe, pourvu que – a déclaré M. Tavares (Les Verts) – les dossiers « droits de l’homme » et « Etat de droit » en Hongrie soient pris en considération. Du même avis a été Mme Göncz, députée socialiste hongroise, qui s’est dite préoccupée par les manquements au respect des droits de l’homme dans son pays, tout en se félicitant de cette candidature.
Le duel institutionnel entre le Parlement et le Conseil se poursuit aussi par rapport au dossier Europol. Dans les mois passés, le Conseil avait en effet esquissé un projet de décision modifiant la liste des pays et des organisations tiers avec lesquels Europol peut conclure des accords, en rajoutant notamment le Brésil, les Emirats Arabes Unis, la Géorgie et le Mexique. Aucune réprimande n’a été formulée par la commission LIBE sur le fond: fin 2012, Europol avait produit un rapport des nécessités opérationnelles très détaillé, dont les députés n’ont pas remis en cause la pertinence.
Sauf quelques soucis liés à la protection des données au sein de ces accords, c’est encore une fois au niveau de la procédure choisie que les critiques ont été adressées. La révision de la liste d’Europol par le Conseil se produit en effet après la proposition de la Commission pour un nouvel règlement sur l’Office Européen de Police, une proposition fondée sur l’art. 88 TFUE et qui consacre la co-décision aussi pour ce dossier. Le Parlement Européen, en d’autres termes, jouera dans ce règlement le rôle de co-législateur à plein titre. D’ailleurs, même les dirigeants d’Europol avaient reconnu, dans la recommandation adressé au Conseil, la difficulté d’amender la liste des pays et organisation tiers par une simple décision au sommet, compte tenu des changements de base juridique en cours.
Contre une telle posture anachronique du Conseil, la commission LIBE a voté à l’unanimité le rapport de Philip Claeys (NI). Celui-ci demande premièrement aux gouvernements de l’Union de ne pas adopter ladite décision et en cas contraire, prie le directeur d’Europol de ne pas entamer de négociations avec les quatre nouveaux pays rajoutés à la liste en question. Le projet de résolution sera voté à la plénière le 19 novembre prochain.
Gianluca Cesaro
Pour en savoir plus :
– Enregistrement de la réunion de la commission LIBE – 17/10/2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20131017-0900-COMMITTEE-LIBE
– Projet de rapport sur le projet de décision du Conseil modifiant la décision 2009/935/JAI en ce qui concerne la liste des États et organisations tiers avec lesquels Europol conclut des accords (Rapport Claeys) – 29/08/2013 – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/pr/1001/1001456/1001456en.pdf – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/pr/1001/1001456/1001456fr.pdf
– Recommandation du conseil d’administration d’Europol au Conseil concernant la nécessité de conclure des accords avec les quatre nouveaux Etats – 04/10/2012 – (EN) – http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/12/st15/st15237.en12.pdf
– Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil sur Europol – 27/03/2013 – (EN) – http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/documents/policies/police-cooperation/europol-cepol/docs/law_enforcement_training_scheme_proposal_en.pdf