Où sont les femmes ? celles qui portent le blazer noir? Viviane Reding appelle à une féminisation des Conseils d’administration des grandes entreprises. Puisse la proposition de directive être le moteur d’une réelle avancée sociale dans l’équilibre Homme/Femme ? Alors que la grande majorité des diplômés sortis de l’enseignement supérieur en 2012 sont des femmes, à peine 13,7 % d’entre elles accèdent aux conseils d’administration des principales sociétés cotées de l’UE. Majoritaires dans la fonction publique, elles ne sont que trop faiblement représentées aux postes à haute responsabilité.
Suite à ce constat et dans l’objectif de réajuster la répartition des sexes, la Commissaire à la Justice, Viviane Reding lançait en novembre 2012, un projet de directive proposant aux entreprises européennes cotées en bourse de porter à 40% la proportion des femmes dans les s métiers d’affaire d’ici 2018-2020. Une proposition qui s’appliquerait à quelque 5000 sociétés publiques de l’UE, servant ainsi d’exemple. Une proposition législative très attendue qui néanmoins manque encore d’envergure aux yeux de certains.
Pour commencer, il est regrettable de constater la totale discrétion laissée aux Etats membres dans la façon de déterminer des sanctions (amendes, suppression des subventions d’Etat et des offres de contrats publics, nullité de nominations…) pour chaque entreprise se mettant en infraction. Permettre aux Etats-membres d’adapter à leurs spécificités les détails de la directive, notamment celui d’instituer leur propre régime de sanctions contribuerait à des déséquilibres allant à l’encontre de l’objectif initialement énoncé.
Certains ont même évoqué la proposition comme étant une directive légèrement « décaféinée » ou « à géométrie variable » concernant l’application de sanctions déterminées librement par la loi nationale, si bien qu’elles varieraient d’un pays à l’autre, devenant un vrai casse-tête pour les entreprises de l’UE. C’est là tout le problème des sanctions indicatives et non pas obligatoires, comme prônées initialement par la Commission.
Le récent rapport des commissions du Parlement européen JURI et FEMM, responsables toute deux du pilotage de la proposition au sein du Parlement, retient des sanctions davantage contraignantes, à savoir : une possible exclusion des marchés publics ou soit une exclusion partielle du financement des Fonds structurels européens.
De même, l’idée que les petites et moyennes entreprises (de moins de 250 salariés) ainsi que les entreprises non cotées en bourse de moindre importance économique soient exclues d’un tel dispositif, reflète bien la timidité du texte de la Commission. Elargir l’application de cette mesure aux PME, se range parmi les prochaines étapes, a affirmé la commission FEMM (droits de la femme et égalité des genres).
C’est ainsi que Astrid Lulling (PPE), députée luxembourgeoise et membre de la commission parlementaire Droits de la Femme et égalité des genres est venue animer le débat en suggérant d’étendre cette initiative à tous les niveaux de toutes les grandes entreprises impliquant toujours plus de femmes. Elle a présenté une « alternative », « une voie médiane » à ce que proposait Reding, soit un nouveau texte contenant 71 amendements.
Par voie de presse, elle soutient, « qu’une telle directive ne doit pas uniquement se rapporter à quelques milliers mais bien à des centaines de milliers voir des millions de femmes à tous les niveaux dans les entreprises des 28 Etats Membres ». Elle ajoute qu’il serait fort recommandé de penser à une politique innovante accompagnée d’actions positives fondées sur de vrais résultats, visant à atteindre une égalité de fait entre toutes les femmes.
De plus, nombreux sont d’avis que il ne faut guère « prendre des femmes pour prendre des femmes, sachant que des quotas suivis bêtement, selon un calcul purement mathématique sont sans limites ». Elles pourraient par ce nouveau système, se sentir jugées moins compétentes que leurs homologues masculins, désireuses par conséquence, d’être élues à l’aide de leurs propres appuis, sur base du mérite. C’est une des raisons parmi tant d’autre pour laquelle il faut en user intelligemment, de sorte que ces quotas ne deviennent pas un plafond plutôt qu’un plancher. La principale question qui demeure est de s’assurer que les femmes ne seront pas moins respectées si l’on crée l’illusion qu’elles n’ont pas été promues selon leurs qualifications. Une égalité oui mais pas au détriment des hommes.
Nous ne voulons point d’une « suspicion de non-légitimité, fissurons plutôt le plafond de verre empêchant les femmes d’accéder aux échelons supérieurs », nous dira Christiane Taubira (ministre française de la Justice). Une solution plus adaptée serait ainsi de laisser les entreprises se fixer leurs propres objectifs internes, si bien que les déséquilibres se combleraient naturellement avec le temps. Par exemple, ces dernières pourraient suggérer davantage de compromis favorables aux familles : des horaires flexibles, des crèches et autre structures d’accueil, des occasions de travailler depuis la maison, soit concilier des responsabilités familiales et professionnelles… Avant de penser à tout prix « quotas », certains plaideront pour un remodelage complet de l’organisation du travail et/ou de la politique familiale. L’intention étant de promouvoir des femmes à la fois mères et citoyennes actives.
Viviane Reding se dit néanmoins heureuse que la Communauté puisse aller au-delà de simples recommandations du Conseil sans valeur législative ou autres Codes de conduite dans le domaine social, en s’imposant à elle-même d’utiliser un outil juridique bien plus contraignant: une Directive nécessitant un acte de transposition en droit interne et sanctionnant l’Etat qui ne s’y conformerait pas.
Par cela, l’Union assoit sa politique de promotion des femmes sur une base plus solide. Les appels à l’autorégulation avec un engagement volontaire des Etas membres n’ayant pas suffi à donner des résultats convaincants, une proposition d’harmonisation minimale se révèle indispensable pour faire progresser durablement la présence féminine dans les instances de décision économique de l’ensemble de l’Union. Seulement 24 sociétés avaient adhéré à la déclaration d’engagement qu’elle leur avait présenté en mars 2011.
Même si une meilleure représentation homme-femme peine à progresser, le quota légal est au moins représentatif d’une impulsion au niveau de l’UE et d’une conception plus forte du problème de sous-représentation, induisant d’agir rapidement. En dépit de la mauvaise volonté de neuf pays membres (Royaume-Unis, Allemagne et plusieurs autres) réfractaires à l’imposition d’un quota obligatoire, signant leur refus dans une lettre adressée à Reding, la vice-présidente de la Commission continuera à persévérer dans son combat, une vertu qu’on ne peut lui nier.Elle y croit fermement, sachant qu’à l’inverse, onze Etats ont d’ores et déjà pris des mesures nationales pour une meilleure représentation des femmes dans les conseils d’administration. Reding insiste comme quoi, dans une société vieillissante, les entreprises ou marchés pionniers en la matière auront sans incertitude aucune, un avantage compétitif sur les plus frileux. D’autant plus qu’un Conseil diversifié est source d’innovation, de créativité et rend plus performantes certaines entreprises et l’Europe dans son ensemble. Ces mêmes sociétés auraient tort de considérer ces évolutions comme une pure contrainte, elles auraient tout intérêt à se positionner sous l’angle de la création de valeur, a-t-elle souligné. « Le vivier de talents existe, c’est maintenant aux entreprises d’aller y puiser. »
Elle argumente en précisant que « l’exemple le plus persuasif sont des pays comme la Belgique, la France, l’Italie, tous ayant adopté une législation récente en matière de quotas et commençant à en recueillir les fruits ; ce qui démontre comme quoi une intervention réglementaire circonscrite dans le temps peut faire toute la différence ».La preuve en est que les statistiques nous ont démontré un nombre croissant d’administratrices dans ces entreprises, grimpant de 22 à 28 % entre 2012 et juin 2013. La vice-présidente en charge de la Justice n’a jamais prétendu être favorable aux quotas rigides, ce qu’elle apprécie ce sont les résultats qu’ils engendrent !
Une Base de données lancée par les écoles de commerce européennes, intitulée « Global Board Ready Women » (traduit directement de l’anglais comme « femmes prêtes à siéger ») ne cesse de s’allonger en noms (8000 à ce jour), témoignant du nombre important de femmes hautement qualifiées prêtes à accéder aux sièges d’administrateurs.
Aussi, dernièrement, la récente constitution française du gouvernement Jean-Marc Ayrault (Premier Ministre) a en quelque sorte déconstruit les stéréotypes sexistes en ayant respecté une stricte parité numéraire (17 femmes pour 34 postes, actuellement 19 sur 38) parmi ses ministres et ministres déléguées. Une rénovation politique, une promesse faite par François Hollande lors de sa campagne, qui constitue un signal fort à l’ensemble de l’Union, incitant à poursuivre une politique de suppression des inégalités toujours plus audacieuse.
La thématique de la mixité au sein des conseils des sociétés nous a rappelé la problématique plus générale de l’égalité Homme-Femme. Il est à présent plus que temps d’espérer pouvoir dépasser un jour cet ancien modèle outre Rhin des trois K : kinder, Kirche, Küche (Enfants, Eglise, Cuisine) encore très prégnant au sein de la société allemande, fortement épinglée par l’Europe à ce sujet. Une fausse idée du 19ème siècle qui pèse sur l’émancipation des femmes et qui vient petit à petit gommer les lettres d’or de sa puissance économique. Un tel blocage culturel dans des pays tel l’Allemagne, nous empêche quelque peu d’espérer des avancées formelles rapides.
Notons d’ailleurs que mis à part la présence d’Angela Merkel au poste le plus important du gouvernement, l’exécutif allemand, lui, reste très masculin, les fonctions clés ( Economie, Finance, Intérieur, Défense…) étant tenues surtout par des hommes en puissance.
Pour conclure, Astrid Lulling a fait remarquer : « Les femmes doivent beaucoup à l’intégration européenne puisqu’elles sont après tout une préoccupation majeure du droit communautaire, mais elles doivent à présent en profiter ». Il est pour cela crucial de maintenir une position dure et ferme à l’égard de tous les Etats membres refusant d’entendre parler d’une stratégie constante en faveur des quotas ou de toute autre forme de discrimination positive en faveur des femmes.
A la fin de la discussion le projet de directive a été validé à une très forte majorité le 14 octobre 2013 par les commissions JURI et FEMM du Parlement européen (40 voix pour, 9 contre, 2 abstentions), Viviane Reding veut croire en cette directive sur la pratique des quotas provisoires car une fois le mouvement lancé, celui- ci pourrait bien se perpétuer naturellement, au vu des résultats obtenus.
Géraldine Magalhães
Pour en savoir plus:
-. Bulletin Quotidien Europe n° 10912- Agence européenne- « Femmes: voie médiane pour les quotas dans les conseils d’administration », 3/09/2013
-. Parlement Européen- « Assurer l’égalité des sexes dans le monde des affaires », 17/10/2013, http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20131015STO22324/html/Assurer-l’%C3%A9galit%C3%A9-des-sexes-dans-le-monde-des-affaires
-. European Parliament- « Giving women equal opportunities in the business world”, 17/10/2013, http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20131015STO22324/html/Giving-women-equal-opportunitie
-. Parlement Européen- Communiqué de presse- Groupe PPE- « Quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises : l’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling propose une alternative à la proposition de la Commission européenne », 29 /08 /2013, http://www.eppgroup.eu/fr/press-release/Quotas-de-femmes%3A-l’alternative-d’Astrid-Lulling
-. European Parliament- Press Release- « Quotas for women on boards of directors of companies: the Luxembourg MEP Astrid Lulling (EPP, LU) offers an alternative to the proposal from the European Commission, 29/08/2013, http://translate.google.be/translate?hl=fr&sl=fr&tl=en&u=http%3A%2F%2F136.173.161.107%2Fsv%2Fpress-release%2FQ
-. Commission européenne- « Equilibre entre les sexes dans les postes à responsabilité », 11/10 /2013, http://ec.europa.eu/justice/gender-equality/gender-decision-making/index_fr.htm
-. European Commission- « Gender balance in decision-making positions”, 14/10/2013, http://ec.europa.eu/justice/gender-equality/gender-decision-making/index_en.htm
-. Commission européenne- Communiqué de Presse- « Présence des femmes dans les organes dirigeants des sociétés: le pourcentage de femmes a progressé à 16,6 %, au moment où les commissions du Parlement européen votent leur soutien à la proposition de la Commission. », 14/10 /2013, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-943_fr.htm
-. European Commission- Press release- « Women on Boards: Share of Women up to 16.6% as European Parliament Committees back Commission proposal, 14/10/2013, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-943_en.htm
-. La Croix- « l’Allemagne rejette les quotas de femmes dans les postes de haut niveau dans l’entreprise », 19 /04/2013, http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/L-Allemagne-rejette-les-quotas-de-femmes-dans-les-postes-de-haut-niveau-dans-l-entreprise-2013-04-19-9
-. Le Figaro- Quotas, Femmes, Entreprises- Faut-il des quotas de femmes dans les entreprises ?, 20/07/2009, http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/07/20/01016-20090720ARTFIG00449-faut-il-des-quotas-de-femmes-dans-les
-. Promessomètre- « Le premier gouvernement Ayrault est dévoilé », 17 /05/2012, http://www.promessometre.fr/news/le-premier-gouvernement-ayrault-est-devoile/
-. IledeFranceEurope- « Les députés européens en faveur des quotas de femmes dans les conseils d’administrations », 15/10 /2013, http://www.iledefrance-europe.eu/actualites-europeennes/detail-actualites-europeennes/article/les-deputes-europeens-en-