Directive retour : un projet de rapport qui tombe mal et sonne creux

Le jeudi 17 octobre a eu lieu un débat (Commission LIBE) portant sur la « Gestion des retours : coopération avec les pays tiers, mise en œuvre effective des accords et application concrète de la directive relative au retour ». Ce débat fait suite à une proposition de rapport du groupe PPE. Nous verrons, au travers des interventions des députés que la remise sur le tapis du débat portant sur la directive retour d’une part tombe mal (le 17 décembre la Commission publiera ses recommandations sur le sujet), d’autre part sonne creux (face à un titre si long, de quoi est-il réellement question?). Nous lierons ce débat avec la conférence sur la routinisation de la rétention administrative des migrants qui prit place le même jour en parallèle à la session en commission.

 Georgios Papanikolaou (PPE) met au centre du débat la bonne gestion des frontières. Ainsi, il faut donner la priorité aux dysfonctionnements du retour. Il importe pour lui de distinguer politique de retour et accueil des demandeurs d’asile. Antonio Vitorino (entretien « Notre Europe ») relève que l’une des difficultés en matière de gestion des flux migratoires est justement « de distinguer ce qui relève des flux de personnes en quête de protection d’une part, ce qui relève d’une immigration économique clandestine d’autre part ». Pour Papanikolaou, le principe de non refoulement doit prévaloir. De même, il est nécessaire de mettre l’accent sur la collecte d’informations quant à l’application des accords de réadmission. Disposer de données permettrait en effet d’être capable de dresser un bilan et de faire la part des choses. La politique étrangère doit quant à elle trouver davantage d’application quant au retour : il est nécessaire d’associer les différents acteurs, de Malmström à Van Rompuy en passant par Ashton. Les retours volontaires sont encouragés tout comme la coopération avec les pays tiers. Il est impérieux de traiter des causes mêmes de la migration, des problèmes auxquels sont confrontés les migrants ainsi que de l’importance du trafic et de la traite d’êtres humains. Les pays tiers doivent également remplir leurs obligations liées aux infrastructures.

Il affirme qu’évidemment, anticipant les allusions à la « directive de la honte », il souhaiterait un monde idéal dans lequel chacun pourrait rester en Europe. Pourtant, le monde est ce qu’il est, et impose de trouver des manières d’être efficace dans le cas de situations irrégulières où toutes les voies de recours ont d’ores et déjà été épuisées.

 La période est cruciale : nous arrivons au terme du mandat de la Commission, au terme du programme de Stockholm et enfin, le Parlement européen sera lui aussi renouvelé en mai prochain. Il est donc impératif de « travailler de concert car le pire serait de ne pas trancher en cette période cruciale » dit-il.

 Sylvie Guillaume (S&D) mentionne la nécessité de procéder à un véritable travail de définition pour cerner au mieux ce qui sera abordé par le rapport ou non. La question financière ne doit également pas être oubliée : il faut relancer le débat sur le fonds asile-immigration. Sur la question du retour volontaire, elle propose de trouver des alternatives à la détention et de procéder à un monitoring des retours forcés. Quant à la question des accords de réadmission, elle regrette le fait que certains Etats membres continuent, en bafouant les règles juridiques à appliquer leurs accords bilatéraux avec les pays tiers alors même que l’Union a légiféré avec eux. L’accent doit être mis sur une récolte de données qui soit tout sauf opaque. Le but serait de relever les manquements dans le secteur des droits de l’Homme : par exemple, il est intolérable que parfois, l’accès à une procédure d’asile ne soit pas garanti, de même que les situations de détentions soient appliquées dans des cas où d’autres solutions pourraient aisément être trouvées. Il faut cesser cette politique du bâton et de la carotte pour que se développe une véritable politique de coopération entre l’Union européenne et les pays tiers, délivrée de toute menace de sanctions et de conditionnalités inutiles. Guillaume estime attendre avec impatiences les pistes qu’offrira le rapport de suivi de la Commission mi-décembre.

 Pour Vergiat (GUE), il est nécessaire de réfléchir à l’opportunité même d’un tel rapport : « Pourquoi le PPE n’a-t-il pas attendu le rapport de la Commission ? ». En ce qui concerne la situation actuelle, elle regrette les disparités quant à l’application de la directive dans les différents Etats membres. Elle dénonce la détention abusive et la vision purement sécuritaire qui prévaut. Pour elle, s’agissant de la thématique de la libre circulation, les marchandises semblent primer sur les personnes.

 Iacolino (PPE) demande une plus grande coordination avec la DG Home et le SEAE tandis qu’Hélène Flautre (Verts/ALE) propose que soient rompus les accords où des risques de violations des droits de l’homme existent dans le cadre du retour d’un individu. Il faut créer une capacité de suivi et insister sur les garanties procédurales telles que l’assistance juridique gratuite.

 La Commission s’interroge aussi sur l’opportunité d’un tel rapport : le 17 décembre sera publié le rapport de la Commission où des recommandations seront faites précisément sur la protection des droits des migrants, les alternatives à la détention,… Pour elle, attendons le rapport plutôt que de « se marcher sur les pieds ».

 En parallèle de la session en commission, une conférence sur la routinisation de la rétention administrative des migrants prenait place dans les enceintes du Parlement : des personnalités, experts étaient invités toute la matinée afin de discuter des alternatives possibles à la politique actuelle en la matière. En guise d’introduction, Hélène Flautre (Verts/ALE), Marie-Christine Vergiat(GUE), Silvia Costa (S&D) ainsi que la présence exceptionnelle de Cécile Kyenge Kashetu, la Ministre de l’Intégration italienne, ouvrirent le sujet en parlant de la directive retour. Plusieurs faits importants ont été rappelés comme la multiplicité des situations dans lesquelles se retrouvent les migrants et que par conséquent, il faut adapter les textes européens en la matière. L’interprétation de la directive retour par les Etats est ainsi remise en cause : la procédure de rétention est aujourd’hui devenue un chemin ordinaire alors qu’elle devrait plutôt revêtir un caractère exceptionnel. De même, le retour volontaire n’est pas assez encouragé et le dialogue avec les pays tiers est trop restreint. Trop souvent ceux-ci sont considérés comme des policiers pour l’Europe et pas assez comme des partenaires dans la gestion des flux migratoires. Silvia Costa (S&D) a par ailleurs rappelé l’importance de la solidarité, qui devrait être le principal moteur dans les politiques d’immigration et d’asile.

 Par après, les deux dernières sessions de la conférence ont examiné les alternatives plus « citoyennes » de la part des différents experts et représentants d’ONG ( Lasciate Cientrare, la campagne Open Access Now, etc.). Ainsi, il faut repenser l’accueil que l’on réserve aux migrants en Europe. Selon Ulrich Stege (IUC Turin), on doit travailler à l’intérieur de la directive retour et changer son langage et fonctionnement. Selon Pietro Soldini (CGIL Migration), développer les ambassades afin de fournir un meilleur travail en avant-garde avec les pays tiers serait un atout : les retours doivent être basés sur la confiance et pas sur l’obligation. Plusieurs autres intervenants ont aussi mis l’accent sur les migrants  eux-mêmes et la façon dont ils sont traités et reçus lorsqu’ils arrivent en Europe : certains centres de rétention s’apparentent à des zones de non-droit où les droits de l’homme s’arrêtent aux portes de certaines pièces de ces bâtiments où la société civile, les médias et le monde politique ne peuvent entrer. Enfin, le débat s’est axé sur la participation de la société civile dans ce domaine. Une plus grande mobilisation passe par une meilleure information de la situation des migrants ainsi que de la manière dont fonctionne le système européen. Selon Conny Reuter (SOLIDAR, Social Platform), une alliance doit être forgée entre la société civile, les syndicats et le monde politique afin de changer la gestion défectueuse des migrants. Nul doute que ces sujets seront débattus en session parlementaire et dans ce cas, le rapport de la Commission sera sûrement le déclencheur de négociations houleuses et hautes en couleur.

 Retenons également que le Conseil européen lors de sa dernière session (24-25 octobre 2013) a appelé de ses vœux une coopération plus étroite dans les pays tiers concernés , soulignant « qu’il importe de s’attaquer aux causes profondes des flux migratoires en renforçant la coopération avec les pays d’origine et de transit, notamment par un soutien approprié dans le domaine du développement et par une politique de retour effective ». Autant dire que l’adoption de la directive retour n’a rien réglé.

 

Louise Ringuet et Thibault Janmart

 Pour en savoir plus :

–          Fiche de procédure : http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?lang=fr&reference=2013/2184(INI)

 –          Notre Europe – « Un problème de décalage, voire de cohérence » – 22 octobre 2013 :http://www.notre-europe.eu/011-16943-Un-probleme-de-decalage-voire-de-coherence.html

 –          Texte « Directive Retour » : (FR) http://eur-lex.europa.eu/Notice.do?val=485802%3Acs&lang=fr&list=485802%3Acs%2C&pos=1&page=1&nbl=1&pgs=10&hwords=&checktexte=checkbox&visu=  (EN) http://eur-lex.europa.eu/Notice.do?val=485802:cs&lang=fr&list=485802:cs,&pos=1&page=1&nbl=1&pgs=10&hwords=&checktexte=checkbox&visu=#texte

 –          Fiche de transposition de la « Directive retour » : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:72008L0115:FR:NOThttp://eur-lex.europa.eu/Notice.do?val=485802:cs&lang=fr&list=485802:cs,&pos=1&page=1&nbl=1&pgs=10&hwords=&checktexte=checkbox&visu=#texte

 –          Dossier « Directive retour » dans Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=directive+retour&Submit=%3E

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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