Les « 30 de l’Arctique » détenus en Russie : « Farce » pour la représentante de Greenpeace, l’UE en serait-elle le dindon ? Peut-on jouer « à la roulette russe » avec l’avenir de la planète ?

Le 24 octobre dernier, le Conseil avouait en plénière n’avoir pas encore discuté de la question des militants de Greenpeace détenus en Russie depuis l’opération de « l’Arctic Sunrise » en septembre, qui menait une action contre la plateforme pétrolière de Gazprom dans l’Arctique. Les parlementaires ont interpellé à de nombreuses reprises Commission et Conseil pour leur inaction apparente. Depuis, la situation des militants a évolué, néanmoins, les charges n’ont guère été abandonnées. De ce fait, la question se pose : et l’Union européenne dans tout ça ?

La justice russe a accepté la libération sous caution en ce 19 novembre de quatre nouveaux individus (brésilienne, néo-zélandais, argentin et polonais), après les trois autres individus russes ayant déjà bénéficié de cette mesure. D’autres comme l’Australien Colin Russell ont vu leur détention prolongée jusqu’à l’ouverture de l’audience, en février prochain. La libération de potentiels autres individus sera réglée pour le 24 novembre, période où la détention préventive s’achèvera. Mais pour tous, la situation est la même : les charges sont maintenues. L’ensemble des 30 individus parties à l’opération sont accusées de hooliganisme après avoir été accusées dans un premier temps de piraterie. Les motifs sont relativement bancals. Ainsi, s’agissant de piraterie, le professeur de droit Jean-Marc Thouvenin est clair à ce sujet : « tout d’abord, une plate-forme pétrolière fixe peut difficilement être qualifiée de navire, l’idée de piraterie à son encontre est par conséquent pour le moins étonnante ». De même, la piraterie, implique selon la Convention de Montego Bay d’agir « à des fins privées » or l’ONG défend l’intérêt général en s’opposant des projets de forage dans des réserves naturelles.

 Dès la fin du mois d’octobre dernier, le Parlement européen s’était saisi de la question. Le Conseil a ouvert les débats par un élément aussi sincère qu’inquiétant : le Conseil n’aurait à ce moment pas encore discuté de la question. Ainsi, il affirme que nombreux sont les pays qui souhaitent traiter de cette affaire au niveau consulaire. L’Union européenne a donc décidé de respecter cet élément et de ne pas faire de déclaration publique. Il espère néanmoins que l’équipage sera relâché dans les plus brefs délais.

 La Commission européenne se range du côté des militants « qui ont voulu attirer l’attention sur les répercussions des activités pétrolières sur un environnement fragile ». Ainsi, le soucis est double : pallier au plus vite aux accusations excessives dont les militants sont l’objet et ne pas oublier le problème sur lequel ils souhaitaient attirer l’attention. Pour cela, rangeons nous derrière la Convention du droit de la mer qui éclairera la légalité de l’affaire et demandons la libération des otages en attendant les clarifications juridiques appropriées. La Commission regrette que la Russie n’accepte pas un tel arbitrage.

 Van de Camp (PPE) interpelle le Conseil et la Commission sur une situation « inadmissible ». Ainsi, il s’agit bien ici d’un emprisonnement préventif largement disproportionné dans sa durée et ses motifs. Pour lui, donc, pas question de tourner autour du pot : cette question sera-t-elle abordée lors du prochain sommet ? Que peut faire la Commission pour que la Russie reconnaisse le tribunal du droit de la mer ? N’oublions pas que la liberté d’expression et la liberté d’action pour la protection de l’environnement, affirme-t-il, sont à ériger au rang des droits fondamentaux de l’Union européenne. En ce sens, qu’attendons-nous ?

 Les réactions des parlementaires sont nuancées mais pas divergentes sur le fonds :

       -. certains (Van Dalen, Lunacek) ont justifié l’inaction de l’Union européenne par la dépendance énergétique envers le gaz russe

       -. d’autres (Migalski, Lisek) voient cette crise comme une provocation, une mise à l’épreuve de l’Union européenne par la Russie, une sorte de « test » de Poutine

       – ; certains (Van der Stoep, Fleckenstein, Sonik) souhaitent que l’Union européenne se range derrière son soft power et multiplie les contacts avec les autorités russes

       -. d’autres au contraire veulent que soient mises en oeuvre des sanctions diplomatiques

       -. pour Fleckenstein (S&D) la question est toute autre : « qu’attendons-nous pour parler des actions qui sont pour certaines déjà entreprises par l’Union européenne ? » : ainsi, notre représentation à Moscou est, dit-il, en train de se démener sur le terrain tout comme l’action des Pays Bas ou du Royaume-Uni est également importante.

       -. les Verts/ALE ont bien entendu tous dégagé la même sensibilité dans leurs interventions : l’exploitation des matières premières en Arctique. Ainsi, 500 millions de tonnes de pétrole sont chaque année libérées de façon non contrôlée dans l’environnement. De même, l’Arctique a perdu 40% de son épaisseur à cause de nos émissions à effets de serre. Enfin, un tiers des ressources fossiles connues peuvent être des combustibles. Tous ces chiffres se renforcent l’un et l’autre pour faire de l’action de Greenpeace une action utile. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures concrètes afin de protéger l’Arctique et d’en expliquer les raisons aux russes. Ainsi, il n’est pas question de jouer à la « roulette russe » s’agissant de l’avenir de notre planète : les extractions pétrolières se font sans que des moyens techniques aient été trouvés pour couvrir le risque de fuites. L’Arctique ne peut décemment pas s’ériger en zone de non-droit. Jadot a eu une phrase très pertinente en ce sens : « Gazprom n’est pas le 29ème Etat de l’Union européenne ». Une parole beaucoup plus forte de l’Union européenne est donc attendue.

 La Commission s’est dite une nouvelle fois partisane d’une solution rapide en attendant que les aspects juridiques soient tirés au clair. En ce qui concerne la question de l’Arctique elle-même, l’Union européenne a déjà un ensemble de groupes de travail penchés sur la question, et investit plus de 20 millions par an pour financer la recherche dans ce domaine. De même, la DG environnement a montré la volonté de créer une plate-forme pour les ONG engagées dans ce combat. Le Conseil s’est dit quant à lui déterminé à respecter la volonté des pays souhaitant gérer cette affaire au niveau consulaire. De même, le Service extérieur et de nombreux diplomates sont déjà en contact avec les autorités russes. Il souhaite « voir comment les choses se passent ».

 En conclusion, qu’il est triste ce Conseil quand sa passivité n’a d’égale que son inaction. Libre à lui de se ranger derrière les souhaits exprimés des Etats mais pour autant, ne pourrait-il pas être une force de soutien ? Tout du moins d’avis et de proposition ? Espérons que les forces diplomatiques et les sympathisants de Greenpeace qui manifestent comme le 16 novembre dernier de Londres à New Delhi soient suffisantes. L’Union européenne vient encore de laisser passer une bonne occasion non pas de se taire mais d’agir.

 Bonne nouvelle cependant, le 22 novembre dernier, 29 des 30 membres de l’équipage ont été libérés sous caution. L’australien Colin Russel a été l’exception de cette décision : il s’est vu annoncer une détention provisoire prolongée de deux mois. Cependant, l’ambassadeur australien en Russie avait annoncé la volonté de l’australien de faire appel et ne doutait pas qu’une décision favorable serait rendue. C’est le 28 novembre que ce qui n’était qu’une déclaration a pris des allures de prédiction : Colin Russel a bel et bien été libéré à son tour sous caution. Néanmoins, deux bémols : les militants ne peuvent pour l’instant quitter le territoire russe malgré la demande expresse du tribunal de la mer en ce sens. Ainsi, la Russie rejette l’autorité du tribunal au nom de sa souveraineté. Ensuite, si cette décision réjouit, n’oublions pas que les charges ne sont pour autant pas abandonnées. D’autant plus que le flou persiste : de quoi les militants se sont-ils rendus coupables pour la Russie ? De piratage ou de hooliganisme ? Compte tenu du contexte général qui a précédé et suivi le sommet de Vilnius, certains s’accommoderont de l’issue, la trouvant par certains aspects inespérée.

 Louise Ringuet

 Pour en savoir plus :

       -. Fiche de procédure : « Détention de militants de Greenpeace en Russie » : http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.dolang=fr&reference=2013/2888(RSP)

       -. Libération – « Greenpeace : la justice russe libère douze militants sous caution » – 19 novembre 2013 :  http://www.liberation.fr/monde/2013/11/19/greenpeace-la-justice-russe-poursuit-ses-audiences-sur-la-detention-des-militants_947961

      -. L’Expansion – « Liberté sous caution en Russie pour 9 membres de Greenpeace » – 19 novembre 2013 : http://lexpansion.lexpress.fr/economie/lead-1-deux-militants-etrangers-de-greenpeace-liberes-en-russie_416540.html#R07XsRrqhZSA8dk6.99

       -. Le Monde – « Soutien mondial pour les 30 militants de Greenpeace détenus en Russie » – 16 novembre 2013 : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/11/16/soutien-mondial-pour-les-30-militants-de-greenpeace-detenus-en-russie_3515125_3244.html

       -. Le Monde – « Piraterie : la douteuse inculpation des militants de Greenpeace » – 2 octobre 2013 : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/10/02/piraterie-la-douteuse-inculpation-des-militants-de-greenpeace_3488366_3244.html

       -. Le Monde – « La plupart des 30 de Greenpeace relâchés, la justice internationale réclame qu’ils quittent la Russie » – 22 novembre 2013 : http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/11/22/le-tribunal-de-la-mer-ordonne-la-liberation-de-l-equipage-de-l-arctic-sunrise_3518998_3214.html

      -. Le Nouvel observateur – « La plupart des 30 militants de Greenpeace relâchés » – 23 novembre 2013 : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20131123.OBS6735/russie-la-plupart-des-30-militants-de-greenpeace-relaches.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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