Mise en place par des ONG, le système «Watch the Med» a pour vocation d’identifier tous les bateaux qui ne portent pas assistance aux migrants dans la mer Méditerranée. En réaction au lancement du système européen de protection des frontières, Eurosur, plusieurs ONG de défense des droits de l’homme ont lancé une carte interactive permettant d’identifier les bateaux commerciaux et militaires qui ne portent pas assistance aux migrants en difficulté dans la mer Méditerranée. Watch the Med se propose donc comme une sorte de «contre-Eurosur», composée par des membres de la société civile, avec le but de documenter et dénoncer les décès de migrants et les violations de leurs droits en Méditerranée.
Watch the Med permet de suivre et de connaître le nom, le pavillon et la situation géographique de chaque bateau qui navigue dans les eaux en actualisant en temps réel, la carte interactive du site. Le projet vise à répondre au lancement du système Eurosur, qui prévoit notamment l’échange de photos satellitaires, de données et de fichiers pour renforcer la protection des frontières de l’Union européenne au détriment de la protection et du sauvetage des migrants en mer.
Un de buts principaux que les militants du Watch the Med veulent atteindre c’est celui de développer et d’améliorer la jurisprudence internationale en matière de droit maritime, notamment en sensibilisant l’opinion publique et en attirant l’attention sur la différence entre ce que permet le droit de la mer et ce qu’impose la convention de Genève de 1951 protégeant les réfugiés. Bref, ça veut dire qu’on peut protéger seulement les réfugiés des Pays qui adhèrent à la convention alors que les impératifs généraux imposent le sauvetage et la sauvegarde de toute vie humaine en mer. En plus, le principe de non-refoulement des étranger en situation irrégulière risque, de quelque façon, de porter atteinte à leur intégrité physique et à leur dignité.
Cette nouvelle plate-forme se veut une sorte de «contre-Eurosur», a dit Charles Heller, thésard en géographie à l’université Goldsmith, de Londres. Le but de Watch the Med est d’utiliser une partie des outils d’Eurosur accessibles sur le site afin d’assurer une vraie «contre-surveillance».
En 2011, Watch the Med s’était pour la première fois emparé du cas d’un naufrage d’une embarcation de migrants au large de Lybie. En confrontant le témoignages des survivants aux données numériques maritime, la plate-forme en avait tiré les preuves, selon le responsables du site, que des navires étaient passé à coté sans leur porter secours. (cf. Nea say qui a raconté dans le détail ce triste épisode)
Plus récemment, Watch the Med s’est saisi du cas du naufrage d’un bateau où plus de 200 migrants syriens auraient trouvé la mort, le 11 octobre, au large de Lampedusa. Selon les éléments qu’ils sont pu réunir, plusieurs heures se sauraient écoulée entre le signal de détresse des migrants et l’intervention de garde-côtes italiens.
La réponse donnée par l’UE à la clameur publique causée par cet événement tragique a été, quand même, assez limitée. Au lieu de remettre en question les politiques migratoires qui, au cours des vingt dernières années, ont produit plus de 14 000 morts aux frontières maritimes de l’Europe, l’UE s’évertue une fois de plus à augmenter la niveau du contrôle de ses frontières, notamment avec l’entrée en vigueur d’Eurosur. En outre, Frontex, l’agence européenne chargée du contrôle de ses frontières externes, est maintenant appelée à étendre ses activités à l’ensemble de la Méditerranée.
Eurosur est conçu comme un «système de systèmes» reliant les moyens de surveillance de tous les corps et institutions de contrôle aux frontières. Ceci est essentiellement une plate-forme d’échange d’informations destinée à fournir une «conscience de la situation» la plus précise possible afin que les gardes-frontières puissent « détecter, identifier, suivre et intercepter » les tentatives de traversées de migrants, afin d’empêcher ceux-ci de pénétrer sur le territoire de l’UE et de sauver leurs vies.
Rappelons le contexte bien connu : le 11 octobre 2013, un bateau transportant plus de 400 personnes a coulé après avoir fait l’objet de tirs d’un navire libyen. Bien que l’Italie et Malte aient été avertis de la détresse imminente des passagers, le sauvetage a été retardé et les patrouilleurs sont arrivés une heure après que le bateau ait coulé. Plus de 200 personnes sont décédées, 212 seulement sauvées.
Ce cas démontre que la connaissance de la détresse de migrants qu’Eurosur promet d’améliorer n’est pas suffisante pour éviter une tragédie, ont souligné les responsables du site (WTM). Comme l’enquête à laquelle Watch The Med a contribué le montre, le retard pris dans les opérations de sauvetage est moins un accident que l’effet de la réticence des États de l’UE à accepter les migrants sur leur territoire, et la tentative de se soustraire à leurs responsabilités en matière de sauvetage est tragiquement utilisée de facto comme outil de dissuasion envers les réfugiés. En l’occurrence, plusieurs navires sont restés dans les environs, mais ne sont intervenus que lorsqu’il était trop tard.
Le 5 décembre, le conseil européen Justice et Affaires intérieures s’est réuni à Bruxelles pour discuter de nouvelles mesures pour lutter contre «l’immigration illégale» et les décès de migrants en mer. Eurosur a été officiellement lancé le 2 décembre, après avoir été en opération depuis déjà plusieurs mois. La phase « expérimentale » durera encore un an. On a affirmé qu’Eurosur aidera à sauver des vies, mais vues les conditions de la mort de plus de 600 migrants dans les deux naufrages évoqués ci-dessus les militants de Watch the Med ont leur doutes. C’est pour ces raisons, au moment de l’entrée en vigueur d’Eurosur, que des militants et des chercheurs ont lancé une plate-forme de cartographie en ligne baptisée Watch the Med. Cet outil permet à tous de surveiller les activités des contrôleurs aux frontières et de cartographier avec précision les violations des droits des migrants en mer, et ainsi de déterminer quelles autorités et quels acteurs en mer en ont la responsabilité. Grâce à des interviews de survivants et à certaines des technologies utilisées par Eurosur, notamment technologies de suivi des navires, images satellites, positions géo-référencées à partir de téléphones satellitaires, et avec spatialisation des données qui se dégage de ces sources, Watch the Med est en mesure de poser les questions suivantes: dans quelle zone de «recherche et sauvetage» (zone SAR) se trouvait tel navire en détresse, et qui était responsable des opérations de sauvetage!
Watch the Med fonctionne donc comme une salle de contrôle maritime en ligne participative, mais avec des objectifs opposés à ceux des contrôleurs des frontières: elle vise à permettre de faire pression sur les autorités afin de les obliger à respecter les droits des migrants, à dénoncer les actes de violation de ces droits. Les responsables de Watch the Med veulent ainsi contribuer à mettre fin aux morts de migrants en mer.
Cependant la réponse de l’Union européenne n’a pas trop tardé à arriver et comme promis et annoncé, le 4 décembre la Commission transmettait sa communication, résultat des travaux de la « task force Méditerranée » . La communication vise à clarifier les règles sur l’interception ou le sauvetage en mer de migrants et sur le lieu où ils devraient être débarqués. Ces règles devraient mettre un terme à la confusion qui règne en raison des interprétations divergentes des pays de l’UE concernant le droit international et les différentes pratiques. Elles devraient également rendre les opérations en mer coordonnées par Frontex plus efficaces et aider les États membres à remplir leur devoir d’aide toute personne en détresse. Cette communication propose 38 actions articulées autour de 5 axes, allant du renforcements de la surveillance des frontières communes, de l’assistance aux pays du sud, du développement de voies d’entrée légales et protégées dans l’UE à la coopération avec les pays tiers et de transit, appelés à prévenir tout départ depuis les côtes. Le Conseil européen devrait revenir lors de sa session de fin d’année sur ces propositions (cf. autre article dans Nea say) et les ministres de la Justice et des affaires intérieures ont eu un premier échange de vues lors du Conseil des 5 et 6 décembre derniers.
Les nouvelles dispositions devraient garantir plus facilement que les gardes-frontières respectent l’ensemble des obligations internationales d’aider tout navire ou individu en détresse en mer. Au-delà des différences d’opinions espérons donc que Eurosur et Watch the Med puissent coopérer entre eux afin d’assurer un travail le meilleur possible et veiller efficacement sur la sauvegarde des droits humains et de toutes les vies.
Cesare Tanda
En savoir plus:
Site du Watch the Med:
-. http://watchthemed.net/#
-. Le Monde – Elise Vincent «Bruxelles et des ONG s’opposent sur le sorte des migrants en mer: http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/12/07/bruxelles-et-des-ong-s-opposent-sur-le-sort-des-migrants-en-mer_3527300_3224.html
-. Article de Nea say sur l’adoption de EUROSUR par le parlement européen:http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2949&nea=138&lang=fra&lst=0
-. Portail de la Commission européenne sur EUROSUR:http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/docs/infographics/eurosur/eurosur_en.pdf
-. Système de surveillance des frontières (EUROSUR) (débat):FR): http://www.europarl.europa.eu/eplive/fr/plenary/video?intervention=138134571091 (EN): http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20131007IPR21624/html/EU-border-surveillance-MEPs-approve-Eurosur-operating-rules
-. Surveillance des frontières de l’UE:http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20131007IPR21624/html/Surveillance-des-frontières-de-l’UE-adoption-du-système-Eurosur
-.Communiqué de presse. EUROSUR entre en action: (FR): http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1182_fr.htm (EN): http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1182_en.htm
-. Règlement (UE) N°1052/2013 du Parlement européen et du Conseil: http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:295:0011:0026:FR:PDF
Un projet pour empêcher de nouveaux décès de migrants au large des côtes de l’UE: http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20131202IPR29568/html/Un-projet-pour-empêcher-de-nouveaux-décès-de-migrants-au-large-des-côtes-de-l’UE