« Il faut définir la meilleur manière de poursuivre maintenant (…) une formule acceptable politique ment et économiquement par les deux parties» a déclaré le président de la Confédération ,Didier Burkhalter, mais comment ? La Suisse n’a sans doute pas mesuré l’ampleur de l’onde de choc provoquée au sein de l’Union européenne (UE) par le oui à l’initiative de l’UDC. Peut-être a-t-elle-même caressé l’idée que les Européens allaient tirer des leçons de ce vote en questionnant à leur tour le bien-fondé de la libre circulation des personnes. Nombreux sont ceux qui, au sein de l’UE, ont cultivé et continueront à cultiver de telles perspectives : populistes de tout acabit, mais aussi des partis de gouvernement : les droites en France comme au Royaume-Uni, souvent moins par conviction que par opportunisme électoral. Erreur ! Il s’agit là de l’un des principes fondateurs de l’UE. Il est intouchable, quasi sacré. A ce jour, par exemple les attaques contre Schengen ont fait long feu. Même chose concernant David Cameron qui devra renoncer à son ambition de jeter à bas la libre circulation, ou quitter l’Union. Comme l’a fait remarquer Viviane Reding : c’est un tout, pas un fromage de gruyère, c’est-à-dire avec des trous !Les européens de l’UE ne sont pas exempts de réactions excessives : expulser les 430 000 résidents suisses (mais un million de citoyens de l’Union), sanctions économiques etc . Mais ils ont eu raison de marquer le coup : une chose est sûre pour eux, les Suisses n’ont pas simplement rejeté une quelconque politique ou une norme établie par des bureaucrates, à Bruxelles, ils y voient à tort ou à raison mépris, ignorance et arrogance. Ce n’est pas la première fois que la Suisse nous réserve cette avanie, alors que patience et bienveillance ( surtout en matière bancaire et autres intérêts en matière sonnante et trébuchante)n’ont pas manqué en de nombreuses occasions, deux vertus que l’UE dispense habituellement avec beaucoup de parcimonie. La déception est grande. Le dépit aussi, ils auraient préféré et de beaucoup que la Suisse rejoigne la grande famille européenne. Tel n’a pas été le cas malgré plusieurs tentatives engagées de longue date. Une ligne rouge a été franchie. Or les intérêts suisses en jeu sont importants : 78% de ses importations,, 57% de ses exportations en marchandise).Au Parlement européen, au Comité des régions où les maires les représentants des collectivités, réunis à Bruxelles, ont rappelé que le principe de libre circulation était non négociable. La Confédération européenne des syndicats estime que ce scrutin porte en lui des conséquences multiples et l’UE devrait apporter une « réponse ferme » à toute décision issue de cette votation. Le porte-parole de Angela Merkel a souligné pose des « problèmes considérables »,Au Parlement européen, le principal groupe politique, le PPE, prévenait que la libre circulation ne serait pa négociable : « la Suisse est liée par un accord bilatéral avec l’Union. A ce titre elle doit garantir et accepter la libre circulation de tous les citoyens de l’UE (…) Nous regrettons que le gouvernement suisse doive changer la position de son pays sur cette question (…° Mais il n’y a pas de place pour la négociation. Les règles ne peuvent être changées uni latéralement ». Guy Verhofstadt pour les libéraux (ADLE) a réagi : » Nous pensons que si ce texte référendaire acquiert force de loi, non seulement l’accord avec l’UE sera violé, mais la haute performance actuelle de l’économie helvétique ainsi que le niveau de vie des Suisses seront gravement affectés ». Autre réaction significative : celle du président de la Confédération, Didier Burkhalter, « c’est un vote contre les autorités politiques, contre les milieux économique qui avaient préconisé le rejet » et logiquement il a appelé les partis politiques à s’interroger « pourquoi leurs partisans ne les ont pas suivis ». A ce stade que dire d’autre si non que le gouvernement a l’obligation de transposer en loi la votation populaire, comment peut-il la contourner ? La balle est dans le camp suisse et c’est à lui de donner une réponse à ce clash législatif.
Un plan d’ici à la fin juin et un projet de loi pour la fin de l’année en vue de mettre en œuvre le résultat de la votation du 9 février. C’est ce qu’a annoncé, le 12 février, le gouvernement avec l’obligation dans les trois ans à instaurer des quotas de travailleurs étrangers. »Le Conseil fédéral a fixé les premières étapes concernant la législation d’application de l’initiative sur l’immigration ; Un plan de mise en œuvre sera élaboré d’ici la fin juin, puis un projet de loi suivra pour la fin de l’année. Parallèlement les discussions sont engagées sans délai avec l’Union européenne » a indiqué le communiqué. L’ UE n’a pas eu les clarifications qu’elle demandait et attendait. Une telle attente était-elle raisonnable ? En Conseil des affaires générales de l’UE, les ministres ont signalé qu’ils étaient prêts à signer le protocole permettant la libre circulation pour la Croatie : une question à régler au préalable ou dans le cadre d’une renégociation globale ? Bien d’autres questions surgissent. Certes le Conseil confédéral a promis de clarifier « une à une les questions qui se posent » et de parvenir « aux meilleures solutions possibles tant au plan intérieur qu’extérieur » déclaration de bonne volonté mais qui ne fait pas avancer la solution. Attendons , début mars, la réunion du comité mixte sur la libre circulation le même jour où se réuniront les ministres de l’UE sur la justice et les affaires intérieures. Le Conseil de l’UE a confirmé la participation de la Suisse au Bureau d’appui européen en matière d’asile (EASO). Là encore il reviendra à la Suisse de dire si elle poursuit sa participation aux dispositifs en vigueur de l’EASO.
Et maintenant ?
La Commission a tenu un discours mesuré mais ferme quelques représailles comme le gel des discussions en cours au niveau technique concernant l’échange d’électricité, report de réunions sur le mandat de négociation permettant de négocier l’accord institutionnel avec la suisse en vue de simplifier les relations qui reposent essentiellement sur des accords bilatéraux. Manifestement sur ce point les positions de part et d’autre ne sont pas claires. Qu’en est-il de l’extension des accords avec l’UE aux citoyens croates etc, tout cela prendra du temps, dans l’immédiat les frontaliers (chaque jour 230 000 frontaliers traversent la frontière pour aller travailler en Suisse) .
Des conclusions, très provisoires !
Il faut souligner que ce référendum est passé à seulement 50,3% et que les grandes villes suisses étaient contre, comme la Suisse romande à la différence de la Suisse alémanique comme d’habituse et à l’exception de Zurich. Beaucoup n’ont pas pris conscience de l’importance de ce vote, des nombreux enjeux : par exemple, la Suisse est membre des accords de Schengen, accords de contrôle communs des frontières européennes, ils sont donc aussi des accords concernant les frontières de libre circulation intérieure de l’Europe. Ces accords seront-ils dénoncés et avec quelles conséquences ? S’ils ne le sont pas quel est le sens de cette votation ?Les électeurs n’ont également pas pris conscience du risque économique qu’ils prennent. C’est une dénonciation, pas seulement de l’immigration, mais de la dimension économique des échanges dont bénéficie la Suisse. Ce pays est démographiquement et économiquement dépendant de l’immigration. Ceux qui ont voté veulent préserver leur tranquillité, disons leur identité. Ils ont, sans s’en rendre totalement compte, qu’ils choisissaient « leur identité », leur pseudo sécurité au détriment de leur prospérité qui est aussi due (là comme ailleurs, mais plus ici qu’ailleurs) à la mondialisation de l’économie et à la présence de frontières ouvertes aux étrangers.
Une nouvelle consultation est-elle possible face à une défiance aussi grave à l’égard de l’Europe ?
Mauvais présage pour les élections européennes ? Face à ces discours d’un autre âge, on a parfois l’impression de retourner avant la signature du traité de Rome. Il y a un retour du souverainisme, que l’on constate en Europe un peu partout, et la volonté de surveiller les frontières. Mais désormais le peut-on tout seul ? Que de fantasmes et d’ignorance dans la tête des gouvernants et des gouvernés. La France a voulu fermer ses frontières avec l’Italie pour parer aux hordes de réfugiés face aux « révolutions arabes ».Or elle a dû faire face, très provisoirement, à quelques milliers de réfugiés. Les flux, importants, étaient ailleurs et le restent aujourd’hui encore.
Depuis le début des années 1970 et récemment encore, toutes les études économiques faites sur l’immigration montrent que l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte.
Henri-Pierre Legros
Pour en savoir plus :
-. Liberté de Circulation Suisse : qu’est-ce que cela signifie ? comment sera-t-elle appliquée en pratique ? Guide EURES https://ec.europa.eu/eures/main.jsp?acro=free&lang=fr&countryId=CH&accessing=0&content=1&restrictions=1&step=1
-. Portail avec une documentation complète sur les relations ente la Suisse et l’UE établi par le gouvernement fédéral. Il donne une bonne idée de l’extrême complexité qui préside aux relations entre l’UE et la Suisse http://www.europa.admin.ch/themen/00500/index.html?lang=fr
-. Fiches d’information sur les accords bilatéraux CH-UE http://www.europa.admin.ch/themen/00500/index.html?lang=fr
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