Le 5 février le Parlement européen a approuvé, en première lecture, la directive établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants des pays tiers aux fins d’un emploi saisonnier. Le 17 février le Conseil l’a adopté sans débat.. Bien que la tache de cet instrument législatif soit d’offrir aux travailleurs saisonniers un ensemble de droits et garanties de procédure, il contient des contradictions internes non négligeables.
Un petit rappel historique :en janvier 2010 les émeutes de Rosarno, dans la province italienne de Reggio de Calabre, ont révélé au public la présence dans les champs de Gioia Tauro d’environ 2000 travailleurs saisonniers provenant du Ghana, du Maroc, de la Cote d’Ivoire, du Soudan, du Mali, la plupart des irréguliers, employés au noir, sous-payés, logés dans des espaces communs réduits, sans accès à l’eaux et à l’électricité, soumis aux violences et aux vexations du patronat local. On peut bien croire qu’une des conditions de possibilité de ce défaut de l’état de droit et de création d’un espace d’économie parallèle a été l’absence d’une régulation juridique du travail saisonnier. Ce vide a été rempli par la directive du Parlement européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi saisonnier. La directive a été approuvée par le PE en première lecture le 5 février par 498 voix pour, 56 contre et 68 abstentions et par le Conseil sans débat le 17 février.
Cet instrument s’inscrit dans le cadre des initiatives législatives menées par la Commission concernant la mise en place d’une approche globale de l’immigration telle que définie par le programme de La Haye. Les impulsions de cette programmation stratégique ont abouti à l’adoption de la « directive permis unique » (2011/98/UE) et à la proposition des trois complémentaires relatives à l’entrée et au séjour des travailleurs hautement qualifiés et des stagiaires rémunérés (rapport Wikström approuvé en première lecture par le PE le 25 février), des personnes transférées au sein de leur entreprise (rapport Iacolino, approuvé par la commission LIBE le 10 mars) et des travailleurs saisonniers. Le paquet « immigration du travail » vise à régler la condition juridique des différentes catégories et à renforcer leurs droits et garanties procédurales. Il s’agit quand même de fournir le marché du travail grâce à des procédures d’admission qui permettent de «réagir rapidement à une demande de main-d’œuvre étrangère en constante mutation»*.
En ce qui concerne les pivots de la directive, ils ont été bien résumés par l’article « La proposition de directive sur les travailleurs saisonniers s’offre de beaux jours à venir en commission LIBE » de Louise Ringuet et celui de Jérôme Gerbaud « Directive ʺtravailleurs saisonniersʺ: toujours pas d’accord entre le Parlement et le Conseil ». En voici une synthèse : Le saisonnier est défini comme celui qui conservant son domicile légal dans un pays tiers, séjourne temporairement sur le territoire d’un Etat membre aux fins d’un emploi dans un secteur dont l’activité est soumise au rythme des saisons, tel que l’agriculture et le tourisme. Les états membres peuvent appliquer les règles de cette directive à d’autres secteurs soumis au rythme des saisons. Ce travailleur ne peut être admis que pour une période comprise entre cinq et neuf mois par année civile.
En ce qui concerne les démarches administratives, si le séjour sur le territoire européen est inférieur à 90 jours, sont délivrés au travailleur saisonnier soit un visa de courte durée soit ce dernier est accompagné par un permis de travail dans le cas où le ressortissant est soumis à l’obligation de visa. Si le séjour dépasse les 90 jours, lui seront délivrés soit un visa de longue durée soit un permis de travail saisonnier soit ce dernier pourra être accompagné par un visa de longue durée dans le cas où la législation nationale le prévoit. A fin d’être reconnue, la demande de travail saisonnier doit préciser le lieu de travail, le type de travail, la durée d’emploi, la rémunération et le nombre d’heures de travail, la souscription d’une assurance-maladie, l’accès à un logement adéquat. Des standards minimaux et contraignants relatifs à ces informations sont listés par la directive. Cependant, elle fait le silence sur qui relève la responsabilité de fournir la documentation, le demandeur ou l’employeur ?
La directive oblige les Etats membres à informer d’une façon adéquate les demandeurs sur les conditions d’entrée et de séjour, les droits et les obligations et les garanties de procédure.
Quant à l’égalité de traitement avec les travailleurs ressortissants de l’État membre d’accueil, elle est reconnue aux migrants saisonniers, notamment en matière de conditions de travail, de salaire, de licenciement, d’horaires de travail, de droit de grève, d’exigibilité de paiements des arriérés de salaires impayés, de formation, de reconnaissance des diplômes, etc. Les États membres pourraient toutefois prévoir des limites à l’égalité de traitement, particulièrement en matière d’accès à certaines prestations sociales. En outre, pour que ces droits soient effectifs, les Etats sont appelés à mettre en place un système de control, d’évaluation et d’inspection des conditions de travail et de logement du saisonnier, ainsi que des mécanismes efficaces lui permettant de porter plaintes contre l’employeur.
Finalement, la directive ne touche pas le droit des Etats membres de fixer eux-mêmes les volumes d’admission de ressortissants de pays tiers.
Bien que la directive offre un catalogue de droits et de garanties procédurales importants aux travailleurs saisonniers, elle contient des contradictions et insuffisances non négligeables : un communiqué de AEDH du 6 février 2014 le montre bien (cf.infra). Tout d’abord, elle poursuit la flexibilisation du marché du travail. Certes, cela représente une route pour sortir de la crise économique et restructurer l’espace européen, il en demeure pas moins vrai que cela entraîne aussi une précarisation de la vie des migrants. Deuxièmement, l’approche de l’immigration légale telle que prévue par le programme de La Haye conduit inévitablement à une segmentation et du cadre juridique et du marché du travail, car il envisage une hiérarchie des travailleurs migrants, basée sur leurs différentes offres de savoir-faire et de connaissances, à laquelle correspond une hiérarchie des droits et des garanties de procédure.
Il s’agit d’une dynamique que la théoricienne américaine et malaisienne Aihwa Ong désigne comme une « capitalisation de la citoyenneté », à savoir la reconnaissance du droit de libre circulation aux migrants selon leur capital économique, cognitif et humain. Troisièmement, tout en étant une des catégories sociales parmi les plus démunies, les travailleurs saisonniers restent « exclus du champ d’application de la « directive permis unique » qui était censée garantir des règles et droits communs à l’ensemble des ressortissants des pays tiers occupant un emploi et ne bénéficiant pas du statut de résident de longue durée »**. Finalement, la directive ne fait pas référence à un acteur fondamental en pratique dans les réseaux des trafics des migrants saisonniers , l’intermédiaire entre l’employeur et le saisonnier. Compte tenu de la nécessité de présenter un contrat de travail ou une offre d’emploi à l’appui de la demande d’admission, les intermédiaires «verront ainsi leur pouvoir s’accroître »*** , les textes étant totalement silencieux à cet égard.
Il est vrai que la directive garantit plusieurs droits fondamentaux et est le premier instrument législatif disciplinant d’une façon systématique les conditions d’entrée et séjour des ressortissants des pays tiers à fin d’un emploi saisonnier, mais elle n’est pas suffisante par rapport aux enjeux particuliers et aux dangers d’exploitation de ces candidats travailleurs saisonniers. Par ailleurs, les lacunes,contradictions ses apories, telles qu’elles viennent d’être présentées, risquent d’encourager le travail clandestin et le pouvoir discrétionnaire des intermédiaires. Il reste à voir son application concrète au travers des lois nationales de transposition.
(Alberto Prioli)
Pour en savoir plus :
* Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi saisonnier, Commission européen, p.2 : (FR)
** Emploi des travailleurs saisonniers de pays tiers : une directive pour rien!, AEDH, 06 février 2014, (FR)
*** Emploi des travailleurs saisonniers de pays tiers : une directive pour rien!, idem.
– Proposal for a directive of the European Parliament and of the Council on the conditions of entry and residence of third-country nationals for the purposes of seasonal employment, report Moraes, LIBE committee : (EN) / (FR)
– Directive of the European Parliament and the Council on the conditions of entry and stay of third-country nationals for the purpose of employment as seasonal workers : (EN) / (FR)