Le rapport Zuber : un Parlement européen divisé face à des mesures concrètes pour garantir l’égalité femmes-hommes

L’égalité entre femmes et hommes est l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne, qui se soucie d’assurer l’égalité des chances et de traitement entre les genres et s’engage à lutter contre toute discrimination. Thématique présente depuis 1957, avec le Traité de Rome, l’égalité entre les sexes est garantie aujourd’hui par le traité de Lisbonne, qui l’inclut dans les valeurs et objectifs de l’Union (art 2 et 3§3 TUE) et intègre la question du genre dans toutes les politiques de l’UE (art 8 TFUE).

Ce principe constitue aussi la base théorique des quotas, sujet controversé qui revient dans le débat européen. Pour la Commission européenne, et pour la commissaire à la Justice Viviane Reding, les quotas sont en effet l’une des solutions pour renforcer l’égalité hommes-femmes. Cependant, on voit bien que ce thème reste très peu consensuel.

Les partisans des quotas soutiennent qu’ils représentent le seul moyen pour garantir l’égalité entre les genres et disent qu’on devrait les appliquer non seulement en politique, mais aussi dans le monde de l’entreprise. Les opposants de cette idée soulignent d’une part que les quotas pourraient nuire à la dignité féminine, d’autre part, qu’ils entrainent le risque de promouvoir de femmes incompétentes.

Éloquent a été le choix du Parlement italien, qui lors de la votation sur la loi électorale de mars dernier a rejeté tous les amendements qui ont introduit des règles pour faciliter l’entrée des femmes au Parlement. Reste le doute que ces opposants aux quotas sont souvent des hommes apeurés la présence d’une multitude de femmes préparées et compétentes que pourraient prendre leur place.

C’est d’égalite femmes-hommes que parle le rapport Zuber, présenté par la députée portugaise Ines Zuber, qui a été rejeté de justesse (pour 9 voix) et contre toute attente le 11 mars dernier. Ce texte non législatif visait à mettre en place des quotas pour favoriser les places des femmes aux postes de décision. Le rejet de ce rapport est « consternant » pour Najat Vallaud-Belkacem et une « marche arrière incroyable » pour les droits des femmes, selon la députée belge Véronique De Keyser.

Très dense -il contenait 88 propositions- ce rapport demandait aussi à l’Union de « garantir le respect du principe fondamental de l’égalité de rémunération pour un travail égal entre les femmes et les hommes, d’interdire les démissions forcées en cas de maternité et de renforcer la lutte contre les stéréotypes sexistes ».

Le texte de Zuber se concentrait sur l’incidence de la crise économique de 2008 sur les femmes. En effet, la situation des femmes face à l’emploi et à la vie de famille en temps de crise est de plus en plus difficile. Elles représentent la communauté la plus vulnérable, d’autant plus si elles sont sans-papiers, comme l’a réaffirmé Mme De Keyser, déçue après la votation.

Ce rapport essentiel pour réaffirmer la parité de genre en Europe a été rejeté à cause des points des crispations sur l’IVG qui avaient bloqué aussi le rapport Estrela (députée portugaise comme Zuber) sur la santé et les droits reproductifs et génésiques en décembre dernier. Mais surtout n’a pas été voté par les partis de droite à cause de la critique intrinsèque aux mesures de gouvernance économique mises en place par les gouvernements européens dont il était porteur. De plus, une partie des Verts – apparemment insatisfaite avec la définition de la prostitution comme forme de violence à l’encontre de femmes – a décidé de s’abstenir du vote.

Nous avons interviewé Ines Zuber dans son bureau, lors de la dernière assemblée plénière du Parlement européen à Bruxelles au début d’avril. Membre du Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne, elle semble être encore très bouleversée par l’échec de l’adoption de son rapport.

Mme Zuber, pourquoi l’adoption de votre rapport a divisé le Parlement?

D’abord, mon rapport se concentrait principalement sur des questions économiques, thèmes qup normalement divisent les groupes politiques au sein du Parlement européen. Mais j’ai fait ce choix parce que le rapport de 2012 de la Commission européenne a souligné l’influence négative de la crise et des mesures d’austérité sur l’achèvement de la parité des genres.

En effet, les groupes ont voté différemment : les conservateurs, le parti populaire et (partiellement) les libéraux ont voté contre. Parti socialiste et gauche ont voté pour. Et une bonne partie de verts s’est abstenue.

Cependant, nous ne devons pas mélanger les votes des verts avec celui des opposants au rapport. Les partis de droite sont les partis au gouvernement dans les pays européens où les plus strictes mesures d’austérité ont été mise en place, donc soutenir ce rapport aurait signifié pour eux d’accepter aussi des critiques à l’activité de leurs gouvernements.

En plus je crois qu’aujourd’hui ils essayent de convaincre une partie de l’électorat plus radicale. Ainsi, leur agenda politique est clair : ils veulent voir les femmes revenir au foyer et à leur rôle de mère.

Dans cette perspective, quel est le thème qui a été le plus controversé pendant le débat ?

Le thème le plus controversé n’a pas été celui des quotas, mais les questions des droits génésiques et aussi les mesures pour combattre la discrimination factuelle des femmes envers les hommes dans le monde de travail  et pas seulement en ce qui concerne l’écart salarial. En termes de droits du travail, par exemple, populaires et conservateurs défendent le travail à temps partiel pour les femmes, car cela permet, selon eux, de mieux concilier vie active et vie familiale. Cependant, ils ne considèrent pas que l’Etat devrait intervenir, construire des écoles maternelles, aider les femmes à être indépendantes et à mener leur carrière tout en étant de bonnes mères.

On ne peut pas détacher cette tendance du vote qui a permis d’interdire l’avortement en Espagne, promu par un parti qui fait partie du PPE. Avec l’excuse de la crise les conservateurs et le parti populaire sont en train de faire reculer les droits des femmes en Europe.

Apparemment les verts  se sont abstenus à cause de la définition de la prostitution comme violence faite aux femmes ?

Le point sur la prostitution comme violence contre les femmes n’est pas le plus important dans le rapport, mais il est quand même central. Le problème est qu’un des effets de la crise est l’augmentation de la prostitution en Europe, due à la pauvreté croissante et aux strictes mesures d’austérité. Mon rapport était centré sur les effets négatifs de la crise sur l’égalité femmes-hommes. Les organisations qui travaillent avec les prostituées disent que il y a un nouveau profil de femmes qui sont obligés de se prostituer, des femmes de quarante, cinquante ans, de femme mariées, des mères qui ne réussissent pas à soutenir leur famille différemment. Je ne pouvais pas ne pas inclure un point sur les problèmes auxquelles une multitude des femmes font face et qui les obligent à se prostituer.

Certains parmi les verts ont choisi de s’abstenir à cause de ce paragraphe sur la prostitution, car ils ne voient pas la prostitution comme une forme de violence.

Votre rapport parle de la crise et de combien les difficultés économiques touchent à l’égalité femmes-hommes. Le mois dernier à l’ONU on a discuté de « femmes et développement ». Pensez-vous que l’égalité femmes-hommes devrait être traitée dans une perspective plus générale d’égalité sociale ?

Je crois que les revendications des droits de femmes devraient être intégrées dans toutes les politiques, économique, sociale, culturelle. Car la question c’est que les femmes n’ont pas les même droits que les hommes ni sur le plan politique, ni sur le plan économique, ni sur le plan sociale.

Pour moi l’égalité d’un point de vue économique est centrale. Si les femmes n’ont pas les mêmes possibilités sur le plan économique, elles n’auront pas les mêmes opportunités.

Donc, vous pensez qu’une commission dédiée aux droits des femmes sera nécessaire dans le prochain Parlement ?

Oui. Je pense que en tout cas nous avons besoin de rendre visibles les problèmes des femmes et pour cela une commission dédiée est nécessaire. Cependant, il faut aussi une approche intégrée, transversale, il faut parler d’égalité dans toutes les commissions.

Et pour finir, quelles sont les défis majeurs pour le prochain Parlement en termes de droits des femmes ?

C’est une question difficile, il en a beaucoup!

En premier lieu, sans doute l’indépendance économique des femmes, car elle est lié à tout : à la participation politique, au recul de la violence à l’égard des femmes…

Ensuite l’écart salarial entre femmes et hommes. Et enfin le rôle des Etats dans la garantie de conditions de vie dignes pour les femmes.

Le moment historique qu’on vit n’est pas un moment de progrès en termes de droits, c’est une période de résistance. Alors, si les femmes réussissent à garder les droits que leurs mères avant elles ont su conquérir, c’est déjà un succès !

 

Elena Brolis

 

Pour en savoir plus :

–                     Rapport Zuber FR

–                     Ines Zuber dans l’analyse de VoteWatch EN

–                     Interview de Terrafemina à l’eurodéputée Véronique de Keyser FR

–                     Explication de votes, Verts FR

–                     Lobby Européen des Femmes, commentaire du rejet du Rapport Zuber EN

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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