Le 28 mars 2014 aux Halles Saint-Géry à Bruxelles la revue AfricaMediteranneo et la coop. Lai-momo ont organisé la rencontre «Le nouveau Règlement Dublin pour l’asile». Différents acteurs, différents perspectives, un état des lieux de l’application de cet instrument législatif.
Bien que le règlement Dublin III établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile ait été adopté en juin 2013 et soit entré en vigueur en janvier 2014, il est déjà à la croisée des critiques provenant des institutions européennes et nationales et de la société civile. En raison de ce débat ouvert, deux acteurs de l’espace italien engagés sur le terrain des migrations et de la mobilité, la revue AfricaMediterraneo et la coop.
Lai-momo, ont organisé une rencontre le 28 mars 2014 aux Halles Saint-Géry à Bruxelles pour faire un état des lieux de l’application de cet instrument législatif. L’initiative s’est déroulée dans le cadre de l’exposition « Snapshots from the Border » faisant partie du projet européen “Screens – Southern Visions of the Millennium Development Goals” qui met ensemble les personnes concernées par les flux des migrants et des demandeurs d’asile, telles que l’Italie, Malte et la Hongrie.
L’intérêt de la rencontre a été de faire dialoguer des points de vue différents. En effet, ont y participé représentants de la Commission européenne, de la région Emilie-Romagne, du Ministère italien de l’Intérieur, de l’UNHCR et des instances d’utilité publique, telles que le FEDESIL et la même coop. Lai-momo. Le fil rouge qui relit les interventions a été la mise en exergue des deux principales critiques de «Dublin III» et des versions qui l’ont précédé, la privation du demandeur d’asile du choix de l’Etat membre auquel s’adresser et l’absence d’un partage équitable des responsabilités entre les Etats.
Lors de son intervention Laurent Mushel, directeur Migration et Asile de la DG Affaires Intérieures de la Commission européenne, se félicite des importantes innovations introduites par le règlement, notamment le renforcement de la protection des mineurs non accompagnés, l’élargissements de la notion de famille et la limitation de la durée ainsi que des motifs de la rétention des migrants qui sont objet d’une procédure «Dublin». Cependant le directeur met en évidence que certains aspects innovants qui étaient présents dans la proposition de la Commission ont été supprimés lors du compromis entre les Etats du Nord et ceux du Sud au sein du Conseil. En particulier, il s’agit de la suspension automatique des transferts des «dublinès» lorsque l’Etat de destination est soumis à des pressions migratoires exceptionnelles ou bien il y existe le risque de subir des traitements inhumains ou dégradants. A la place «Dublin III» prévoit à l’article 33 une procédure de crise basée sur l’adoption par l’Etat membre concerné d’un plan d’action préventif en coordination avec la Commission. En outre, Mushel fait référence à l’article 17, à savoir la clause de souveraineté, qui vient d’être utilisé par certains Etats (c’est le cas de l’Allemagne) en tant que moyen de solidarité.
Le préfet Riccardo Compagnucci, chef adjoint pour les Libertés civiles et l’Immigration au Ministère italien de l’Intérieur offre un point de vue qui celui d’un Etat membre frontalier faisant face à des fortes pressions migratoires et celui d’un administrateur qui connaît le visage quotidien des procédures de prise en charge des demandes d’asile, ses implications et ses limites. De son point de vue le règlement Dublin fait défaut par manque d’une vision politique commune aux Etats membres et à long terme des migrations qui plus loin qu’une simple « grande redistribution bureaucratique des demandeurs d’asile ». Cette nature découlerait du fait que « Dublin » est né «comme un chapitre des accords des Schengen, c’est-à-dire un accord pour la gestion des frontières extérieures». Or, les critères de «Dublin» devraient être pensés avec la seule tache de garantir la protection du demandeur d’asile. En outre, tout au long de son intervention, Compagnucci se réfère aux mécanismes de partage des responsabilités établies par le règlement Dublin. D’après lui, si les différences profondes entre les systèmes socio-économiques des Etats membres conduisent 20 000 jeunes italiens à quitter leur pays pour aller travailler en Allemagne, il reste incontournable le fait que la plupart des demandeurs d’asile préfère s’adresser à certains pays plutôt qu’à d’autres. De ce fait ce qui faut c’est mettre en valeur la complémentarité entre les politiques nationales puisque « sauver quelqu’un dans la Méditerranée a la même valeur que de lui donner une maison dans les Pays Bas »
Tout au long de son intervention le chef de l’Unité de soutien juridique et politique du Bureau pour l’Europe de l’UNHCR, Philippa Candler, s’est penché sur la nécessité d’améliorer la mise en place des mécanismes prévus par Dublin III. Déjà respecter la hiérarchie des critères prévue pour déterminer l’Etat responsable d’une demande d’asile serait un gros pas en avant en termes de protections des demandeurs. En conclusion elle propose un chemin possible pour diminuer le nombre des arrivées par la mer, c’est-à-dire le renforcement des politiques des regroupements familiaux, des réinstallations et les canaux de l’immigration économique.
Les réflexions exprimées par Nicolas Jacobs, directeur adjoint du service juridique à l’Agence Fédérale pour l’Accueil des Demandeurs d’Asile (FEDESIL) de la Belgique, ont été axées sur les impulsions que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme de Strasbourg et celle de Luxembourg ont fournit à l’évolution de la « procédure Dublin ». Notamment il fait référence aux arrêts MMS c. Grèce et Belgique et Cimade et Gisti c. France qui ont poussé pour la reforme de «Dublin» et remplit les vides du système concernant certains droits fondamentaux. La première a mis fin à la présomption que tous les Etats membres sont pays sûrs et a suspendu les transferts de «dublinés» vers la Grèce. Selon le dispositif de cet arrêt, l’effondrement des capacités d’accueil de ce pays et les rapports des ONGs portant sur les conditions des migrants dans ses centres d’identification et d’accueil montrent le risque réel de subir des « traitements inhumains ou dégradants » auquel le demandeur d’asile serait exposé. Le deuxième arrêt de son coté a clarifié que l’obligation des Etats de fournir assistance matérielle aux demandeurs d’asile qui sont objet d’une «procédure Dublin» persiste jusqu’à l’effective transfert vers l’Etat membre responsable.
Le point de vue des gens de terrain est donné par Silvia Festi, directrice des projets d’accueil des réfugiés pour la coop. Lai-momo. Elle illustre le travail de cet acteur du troisième secteur qui depuis plusieurs années fournit assistance légale et culturelle aux migrants et demandeurs d’asile pour les accompagner dans leur parcours d’intégration dans les réseaux sociaux et le marché du travail. Dans le cadre des mécanismes prévus par « Dublin III », Lai-momo, en coordination avec la préfecture, la questure et les commissions territoriales en Emilie-Romagne a mis en place un système de prise en charge des demandes d’asile performant en termes de temps et procédures. Cependant dans le cadre de ces mécanismes une critique forte a été formulée concernant la persistance d’un des échecs de « Dublin II », à savoir que seuls 25% des transferts prévus a eu lieu. En conclusion elle explique que les demandeurs qui ont fait l’objet d’une «procédure Dublin» tendent à manifester des troubles psychologiques et malaise sociaux liés à leur vécu du drame de la migration forcée. Ainsi il est primordial d’améliorer le fonctionnement de «Dublin III» en mettant en place un système de coordination entre les acteurs concernés dans les différents Etats membres pour assurer « la continuité de la narration du parcours migratoire, sans fractures et déchirements ».
Graziana Galati, membre de la Section Politique sociale, Immigration, Relations internationales du bureau communautaire de la région Emilie-Romagne est intervenue en conclusions. Après avoir résumé le rôle joué par les régions italiennes dans le traitement des demandes d’asile, elle souligne que le règlement ci-dessus n’est pas à même d’assurer le partage équitable des responsabilités entre les Etats membres car il se base sur une hypothèse fausse, à savoir que tous les Etats membres offrent les mêmes perspectives d’accueil et d’intégration. C’est pourquoi elle propose un système axé, d’un coté, sur des critères objectifs tels que la qualité des infrastructures, la perspective de travail et le nombre de réfugiés accueillis et, de l’autre, sur des facteurs plus subjectifs tels que l’existence des liens culturels, familiaux et linguistiques.
Alberto Prioli
Pour en savoir plus:
– Regulation (EU) No 604/2013 of the European Parliament and the Council of 26 June 2013 establishing the criteria and mechanisms for determining the Member State responsible for examining an application for international protection lodged in one of the Member States by a third-country national or a stateless person (recast) : EN / FR
– Web site of the cooperative society Lai-momo : EN