La réponse à cette question s’impose au calendrier du « post-stockholm » puisque nous atteignons la mi-parcours et le prochain sommet du mois de juin se profile déjà dans son immédiate priorité (cf. autre article dans le présent numéro). Peut-on se contenter comme seul viatique de la déclaration du récent sommet Union Européenne- Afrique ? « Le respect des droits de l’homme fondamentaux des migrants, indépendamment de leur statut juridique, constitue une question transversale de notre coopération » Allons-nous une fois de plus préférer les intentions aux faits.
Les faits sont connus, certains vient d’être rappelés en conclusion de l’article consacré à ce même sommet qui a réuni Afrique et Europe pour la quatrième fois, ces faits ce sont ces lourds et persistants handicaps. La politique migratoire de l’UE reste trop lourdement handicapée par des difficultés qui vont croissantes : difficultés économiques, difficultés à maîtriser les flux migratoires aux frontières, dans un contexte vécu de façon anxiogène, la mondialisation, les élargissements successifs mal gérés, les craintes d’attaques terroristes, le vieillissement démographique. Les politiques migratoires de l’UE restent axées pour l’essentiel sur le contrôle des frontières extérieures, la lutte contre l’immigration irrégulière, l’accueil des demandeurs d’asile, la régulation de l’immigration légale et l’intégration des migrants. A cela s’ajoutent la domination des Etats membres soucieux avant tout de décider souverainement de qui peut entrer et séjourner sur leur territoire, une extrême diversité des politiques et pratiques nationales, des pays qui se sentent diversement concernés par les phénomènes migratoires et enfin une solidarité entre Etats membres qui trouve rapidement ses limites. Enfin des oppositions fortes de nature culturelle qu’on ne peut cacher ou minorer.
Les intentions sont immuables : nous ne pouvons pas tolérer, où que ce soit, que certains soient privés de leurs droits et persécutés en raison de leurs origine, de leur orientation sexuelle, de leur religion, de leur conviction. Un engagement à combattre toutes les formes de discrimination, de racisme, de xénophobie et tous les actes d’intolérance. Il y a encore trop d’hommes et de femmes dans le monde qui doivent se battre pour leur dignité et leurs libertés. Trop de minorités sont méprisées, trop de droits sont déniés. En Afrique comme en Europe comme ailleurs dans le monde.
Mais que faire ?
Combien serait plus forte l’Europe si elle parvenait à surmonter ses interminables querelles intestines et excessives sur l’immigration ! Tout débat sur l’immigration concentre, amplifie les angoisses, les expressions de mauvaise fois, les instrumentalisations politiciennes ou électoralistes où tout est confondu par exemple immigration et droit d’asile (qui lui concerne relativement peu de monde et est solidement encadré par le droit européen et international), sans parler du « tout sécuritaire » et du fonctionnement de la Justice.
L’immigration serait-elle un droit absolu, une chance pour nous, une nécessité pour des raisons démographiques et économiques, voire même bénéfiques en dissolvant des identités trop marquées, les nôtres. Déconstruire les sociétés occidentales va-t-on jusqu’à prôner. Irréalisme de ceux qui n’ont pas encore intégré la réalité du monde, une thèse, un combat de principe, sans nuances, sans chiffres ou estimations évaluant la faisabilité du projet. Un projet à l’opposé de la célèbre formule de Michel Rocard qu’il faut citer dans son intégralité : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre toute sa part ».
L’immigration n’est ni un cauchemar, ni une obligation morale ou une panacée démographique, mais des réalités qui vont perdurer. Il est temps de mettre fin au monopole du discours des deux extrêmes. Qu’est-ce qui empêcherait les européens de s’entendre sur des questions concrètes telles que le nombre d’immigrants légaux autorisés ?et pour quel métier ? sur un seuil de l’immigration légale selon une évaluation des besoins, et faisant l’objet d’une négociation ou d’une concertation avec les pays de départ ou de transit ? Les éléments d’une telle politique préexistent, avec la signature des premiers partenariats pour la mobilité ( Maroc, Tunisie) ,nous assistons à un début de sa mise en œuvre.
Les pays de départ souhaitent, on l’oublie trop souvent, se développer recevoir des investissements employer chez eux les talents et la force de travail de ces migrants. Hubert Védrine, longtemps très proche collaborateur du Président François Mitterrand et ancien Ministre des affaires étrangères, dans son récent livre « La France au défi » se fait le porte- parole de cette approche : on ne peut persister dans ces conduites exacerbées et tétanisant ou bien au contraire choisir une démarche rationnelle qui dédramatise les problèmes. Hubert Védrine cite le sociologue Jean-Pierre Le Goff analyste de cet affrontement qui envahit tout le paysage économique, social, politique ; relationnel : « C’est une opposition sommaire qui s’est mise en place, enfermant le débat dans un faux choix entre un repli nationaliste et xénophobe et une ouverture culturelle qui tend à se représenter le monde comme une vaste société que la morale, les droits de l’homme et l’écologie suffiraient à réguler. La question de l’immigration n’échappe pas à cette représentation angélique qui dénie la spécificité de notre culture et de notre modèle d’intégration ».
Un consensus devrait malgré tout être rechercher, il faut en sortir….sortir de cet affrontement stérile.
Henri-Pierre Legros