« La Charte devrait être le Bill of Rights de l’Europe »

Ce sont les mots de la Vice-présidente de la Commission européenne et Commissaire en charge de la Justice, Viviane Reding, qui viennent conclure la conférence de presse du 14 avril 2014 relative au 4ème rapport annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après Charte).

La Charte est une codification à droit constant, elle reprend les valeurs communes de l’Union et son héritage constitutionnel, forgé notamment sur les principes généraux du droit. Son élaboration est née d’un processus entamé depuis longtemps et notamment, inspiré de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme tout en la modernisant. Cet instrument juridique particulier prend toute son ampleur avec le traité tel que modifié à Lisbonne. Celui-ci accorde à la Charte un statut constitutionnel en ce qu’elle a la même valeur juridique contraignante que les traités. Suite à cette consécration, les Institutions de l’Union n’auront de cesse de rendre effective l’application de la Charte et ce, encore aujourd’hui.

Ce rapport annuel est une vue globale sur la matière dont est mise en œuvre la Charte en particulier sur l’année dernière. Viviane Reding fait le constat que la Charte gagne en importance et en visibilité au sein de l’Union européenne. De même, elle ne cesse d’être bénéfique aux citoyens européens. Egalement, quatre ans après que la Commission ait établit sa stratégie pour la mise en œuvre effective de la Charte – basée sur une liste de contrôle des droits fondamentaux permettant d’évaluer les effets de toute nouvelle proposition législative, mesure d’exécution ou norme sur les droits fondamentaux tels que garantis par la Charte – Viviane Reding se félicite du renforcement de la culture des droits fondamentaux au sein des Institutions et de la place cardinale de la Charte dans toute politique de l’Union.

Le rapport fait un état des lieux de l’application de la Charte et celui-ci est positif. Concrètement, la Charte est devenue la boussole de toutes loi et politique nouvelle. Ainsi, tant la Cour de justice que les juridictions nationales utilisent la Charte ce qui est un progrès indéniable. Les Institutions de l’Union font en sorte que la Charte soit au cœur des politiques puisqu’elles prennent en considération les droits fondamentaux lorsqu’elles présentent de nouvelles mesures. De même, l’un des pas les plus impressionnants est l’intérêt des citoyens européens aux droits fondamentaux. Alors que les citoyens européens en grande majorité ne se sentent pas européens, jugent l’Union trop éloignée de leur considération, en 2013, ceux-ci se sont vivement intéressés aux questions relatives à la liberté de circuler et de séjour, aux droits des consommateurs, à la coopération judiciaire, la citoyenneté, le principe d’égalité de traitement ou encore la protection des données à caractère personnel, lors de leur contact avec les structures Europe Direct notamment et on dénombre pas moins de 4000 pétitions en rapport avec les droits fondamentaux. On peut désormais parler de Charte pour les citoyens européens.

Egalement, le rapport annuel met en évidence deux moyens pour rendre effective l’application de la Charte. Il s’agit dans un premier temps de l’action de la Commission pour promouvoir la Charte.

En effet lorsqu’un domaine est de la compétence de l’Union, la Commission peut proposer des actes législatifs qui préservent les droits et principes tels qu’énoncés dans la Charte. La Commission promeut et renforce les droits conférés aux citoyens et en cela, elle rend réel l’application de la Charte. En 2013, la Commission a adopté des mesures législatives pour accroitre les garanties des citoyens dans le cadre des procédures pénales ; pris des mesures de promotion des droits fondamentaux notamment en matière d’égalité des sexes pour améliorer l’équilibre entre homme et femme au sein des Conseils d’administrations des entreprises ou encore, inclut les Roms dans les discussions tout au long du processus décisionnel en faveur de leur intégration socioéconomique. De même, ce sont toutes les Institutions, surveillées par la Cour de justice, qui vont renforcer les droits fondamentaux comme ce fut le cas cette année en matière de protection des données à caractère personnel, suite aux révélations sur des programmes de surveillance à l’échelle mondiale.

Le second moyen, pour faire de la Charte une réalité, est l’invocation de la Charte dans les décisions judiciaires. La Cour de justice n’a pas attendu que la Charte ait une valeur contraignante pour la citer, ce fut tout d’abord les avocats généraux qui dans les arrêts Schmidberger et Omega, font une référence explicite à la Charte. Ce que la Cour de justice se permettra de faire par la suite. En 2013, la Charte est citée dans pas moins de 114 décisions de la Cour de justice, soit trois fois plus qu’en 2011. De même, les juridictions nationales ont pris conscience de la portée de la Charte et l’utilisent dès qu’elles adressent une question préjudicielle à la Cour.

On ne peut nier l’évolution du champ d’application de la Charte. Dans son arrêt A. Fransson, la Cour de justice vient orienter les juges nationaux quant à l’applicabilité de la Charte et son article 51, selon lequel les dispositions de la Charte s’adressent aux Etats membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Cet arrêt a suscité beaucoup de débat puisqu’il élargit le champ d’application de la Charte. La Cour a jugé que, «[l]es droits fondamentaux garantis par la Charte devant (…) être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent ainsi du droit de l’Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s’appliquer. L’applicabilité du droit de l’Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la Charte.». Ainsi, il est suffisant pour un Etat membre de poursuivre effectivement un objectif prévu dans les traités ou le droit secondaire pour déclencher l’application de la Charte au niveau national. Cette décision a été confirmé par l’arrêt Texdata. Dans ce sens, la Commissaire espère qu’un jour tous les citoyens de l’Union pourront invoquer directement la Charte sans qu’aucun lien de rattachement clair au droit de l’Union soit nécessaire, comme c’est le cas en Autriche qui a intégré la Charte dans son ordre constitutionnel.

Cette invocation de la Charte par les juridictions européennes et nationales tend à rendre le système de protection des droits fondamentaux plus cohérent et applicable de la même manière dans tous les Etats membres. Il va sans dire que l’application de la Charte connait de beaux jours qui, selon le rapport, n’est qu’un début. En vue de l’adhésion de l’Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui présenterait une grande avancée en matière de protection effective des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union européenne. Une demande d’avis a été déposé à la Cour par la Commission en avril 2013, la Cour de justice devrait statuer prochainement (les 5 et 6 mai).

Pour conclure, la Charte est bel et bien devenue un élément de référence auquel les commissaires prêtent serment et qui permet un contrôle par la Cour de justice de la conformité des actes adoptés par les Institutions par rapport aux droits fondamentaux. Elle est cœur de l’Union européenne.

 

(Audrey LENNE)

Pour en savoir plus :

–        Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des Régions : Rapport 2013 sur l’application de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne : (FR) / (EN)

–        Communiqué de presse : Droits fondamentaux: la Charte de l’UE gagne en importance, pour le plus grand bénéfice de ses citoyens : (FR) / (EN)

–        Dossier de presse: Rapports sur les droits fondamentaux et sur l’égalité entre les femmes et les hommes : (EN)

–        Discours de Viviane Reding : Presentation of the Fundamental Rights report and the progress report on Gender Equality : (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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