La question du regroupement familial est particulièrement délicate en vertu des conceptions différentes de la famille coexistantes. De plus, les membres d’une famille ne sont pas forcément les immigrés que les Etats souhaitent attirer en priorité. Ici donc, la sélection se fait en fonction de la famille.
L’apport majeur de cette directive est le droit subjectif à l’admission qu’elle comprend. L’idée est de protéger le droit à la vie familiale, compris dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La question qui se pose est la suivante : ce droit sacré implique-t-il le regroupement familial à tout prix ?
Champ d’application
L’article 3 nous présente un champ d’application assez restreint puisque: « la présente directive s’applique lorsque le regroupant est titulaire d’un titre de séjour délivré par un Etat membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an, ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent, si les membres de sa famille sont des ressortissants de pays tiers, indépendamment de leur statut juridique».
Selon l’article 8, les Etats membres peuvent exiger que le regroupant ait séjourné légalement sur leur territoire pendant une période ne pouvant aller au-delà de deux ans avant de pouvoir recourir au regroupement familial. La Cour a été à ce sujet très prudente : sur l’expulsion d’un membre d’une famille déjà constituée, la Cour a reconnu le droit à l’individu de rester. Cependant, les intérêts en présence doivent être mesurés (par exemple, si cet individu se révélait être un criminel). D’ailleurs, dans sa dernière jurisprudence, la Cour tient compte de la gravité des infractions pour une rupture du droit à la vie familiale.
Attention cependant, le droit à la vie familiale n’implique pas le droit de choisir librement l’endroit où celle-ci va se réaliser, il faut pour cela tenir compte des règles relatives à l’immigration. Ainsi, le droit à la vie familiale implique un droit au regroupement familial uniquement dans le cas où la vie ailleurs sera impossible. Par exemple, si un réfugié angolais s’installe en Belgique car il était persécuté dans ce pays et qu’il était marié là-bas, il peut une fois installé demander le regroupement familial. Par contre, si celui-ci se marie avec une angolaise une fois installé en Belgique, alors ce droit ne lui est pas reconnu puisqu’il peut tout à fait aller la rejoindre.
Lorsque la directive 2003/86/CE relative au regroupement familial a été adoptée, elle a été soumise à un flot de critiques. Parmi elles, le fait que celle-ci harmonisait faiblement les droits des Etats membre tout en ne protégeant pas suffisamment les étrangers. D’ailleurs, alors qu’au début des années 2000, la moitié de l’immigration légale concernait la venue de la famille sur le territoire, en 2011, seule un tiers de l’immigration légale se fait dans le cadre du regroupement familial. Presque dix ans plus tard, cette directive est au contraire considérée comme un rempart contre la volonté des Etats d’être de plus en plus restrictifs. Ainsi, si la Commission a envisagé de la réviser en 2011, elle préfère désormais se ranger derrière la jurisprudence de la Cour et une meilleure application de ses dispositions, de peur qu’un nouveau texte soit plus restrictif.
Qu’est-ce qu’une famille au sens de la directive ?
Sont visés par la directive les membres de la famille suivants (article 4) :
– le conjoint du regroupant (le mariage polygame n’est pas reconnu)
– les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint y compris les enfants adoptés
– les enfants mineurs du regroupant lorsque celui-ci en a le droit de garde et la charge
Ces éléments n’étaient pas faciles à unifier car n’oublions pas que le droit familial n’est en aucun cas une compétence de l’Union européenne. Les Etats membres étaient ainsi particulièrement inquiets d’une harmonisation indirecte de leur conception de la famille par le biais de la politique de libre circulation. Du coup, on a inclut dans le texte de la directive des dispositions juridiquement non contraignantes, chose assez étonnante dans une directive qui est par essence juridiquement contraignante. C’est ainsi, que dans la deuxième partie de l’article 4, on observe que « les Etats membres peuvent » accepter d’autres catégories d’individus dans le cadre du regroupement familial : il s’agit notamment des ascendants et des enfants majeurs qui ne pourraient subvenir à leurs besoins en raison de leur état de santé.
De même, au §3, les Etats membres « peuvent » accepter le partenaire non marié du regroupant si celui-ci a une relation durable et stable prouvée ou/et les partenariats enregistrés. Par ce §3, on observe que les nouvelles formes de vie familiale sont couvertes par la directive avec le bémol de ne pas être juridiquement contraignant, cela relève donc plus de la littérature que du droit. De ce fait, si l’on pourrait prendre cette directive pour un texte particulièrement ambitieux, l’harmonisation réelle ne se fait qu’au niveau du noyau de la famille traditionnelle.
Quelles sont les conditions requises par la directive ?
En son article 7, la directive prévoit quatre conditions pour le regroupement familial, là encore non juridiquement contraignantes :
– le logement : celui-ci se doit d’être considéré comme normal pour une famille de taille comparable dans la même région et correspondre aux normes générales de salubrité et de sécurité en vigueur dans l’Etat membre concerné – une assurance maladie pour le regroupant et sa famille
– des ressources stables, régulières et suffisantes pour ne pas avoir recours au système social de l’Etat d’accueil (la question se pose de la signification réelle de « stables, régulières et suffisantes »?)
– des mesures d’intégration
Cet article 7, ne comprenant que des aspects juridiquement non contraignants pose lui aussi question : ainsi, cela signifie que sur base de ces dispositions, un Etat pourrait décider de ne vérifier que l’existence du lien familial et un autre pourrait décider de vérifier l’ensemble des conditions énumérées ici. Ainsi, la directive censée harmoniser permet des traitements tout à fait différents. Par exemple, en France, pour bénéficier du regroupement familial, une famille de quatre ou cinq personnes doit avoir un revenu mensuel égal au SMIC auquel est ajouté un dixième du montant global de ce revenu minimum. De plus, afin de bénéficier de ce regroupement familial à Paris, la personne doit disposer d’un logement de 22 mètres carrés pour deux personnes. En ce qui concerne les mesures d’intégration, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont mis en place la participation à des cours de langues, qui ne constituent pas pour autant une restriction au regroupement familial.
Quelle est la procédure à suivre ?
Durant cette procédure, les membres de la famille souhaitant bénéficier du regroupement familial doivent se trouver à l’extérieur de l’Union européenne. Un ensemble de pièces justificatives prouvant le lien familial doivent être fournies, celles-ci devant être examinées dans les six mois après le dépôt de la demande. Des raisons d’ordre public, de sécurité intérieure et de santé publique ou de fraude peuvent provoquer un refus de la part de l’Etat compétent. Une telle décision peut bien sûr être contestée en justice.
L’arrêt Chakroun (Affaire C-578/08)
M.Chakroun est un individu de nationalité marocaine, vivant aux Pays Bas depuis 1970 qui détient un permis de séjour pour une durée indéterminée. Celui-ci percevait depuis 2005 une allocation. Mme Chakroun, mariée avec lui depuis 1972, a demandé à pouvoir rejoindre son mari, élément refusé au titre que M.Chakroun percevrait alors une réduction d’impôt qualifiée par les Pays-Bas d’avantage social. Or cet avantage ne lui est attribué qu’en fonction de dispositions relatives à la commune, pas à une loi néerlandaise. De plus, les Pays-Bas jugeaient que M.Chakroun n’avaient pas des revenus suffisants pour accueillir son épouse. Enfin, le fait que son mariage ai eu lieu deux années après son installation aux Pays-Bas est une raison suffisante pour ceux-ci de refuser l’entrée de son épouse.
Le raisonnement de la Cour fut le suivant :
– En ce qui concerne l’avantage social dont bénéficierait M.Chakroun, il est entendu par la Cour que l’article 7 dispose que seules les aides sociales pour un individu ne bénéficiant guère de ressources stables, régulières et suffisantes font de l’individu quelqu’un qui constitue une charge sociale pour l’Etat membre d’accueil. Ici ce n’est guère le cas puisque M.Chakroun dispose de telles ressources et que cet avantage ne vient que comme surplus.
– La Cour insiste sur le fait que l’article 7 « n’établit aucune distinction selon les circonstances et le moment au cours desquels se constitue une famille ». On peut donc observer que la Cour constitue une force importante dans l’interprétation des textes puisque le dernier mot sur le sens des dispositions de la directive lui revient. Ainsi, la Cour considère les dispositions de l’article 7 comme des exceptions plutôt que comme des acquis.
Quels sont les droits octroyés par la directive ?
Selon l’article 14, les membres de la famille du regroupant ont droit également à un accès à l’éducation, à un emploi salarié, à l’accès à l’orientation et à la formation. Cependant, un délai de 12 mois est possible avant la garantie d’un tel accès, si l’Etat membre juge que la situation sur son marché du travail exige un tel temps d’adaptation. Après cinq années de résidence sous le regroupement familial, les membres bénéficiaires peuvent obtenir un titre de séjour autonome.
Développements récents
En mai 2012, EU-Logos relayait la demande de Caritas Europe d’un plein-respect du regroupement familial. Parmi les mesures demandées :
– éliminer les obstacles pratiques au regroupement familial
– alléger le plus possible les temps d’attente et la durée des procédures
– évaluer la proportionnalité et l’accessibilité aux mesures d’intégration pour le regroupement familial
– transformer l’égalité et la proportionnalité en principes phares de toute condition matérielle ou d’habitation
– les bénéficiaires d’une protection subsidiaire doivent pouvoir profiter des mêmes normes favorables que pour les réfugiés
– clarifier que la limite d’âge minimum pour les époux devrait être la majorité et revoir la manière de lutter contre les mariages forcés
– clarifier la définition des « membres de la même famille » et de « parents à charge» qui ont droit au regroupement familial sur la base de la proportion et non de la discrimination – garantir l’accès au permis de séjour pour travail autonome/indépendant