Le dossier Google alterne les coups de chaud et le silence tranquille. Heureusement Mathias Döpfner nous réveilleNous, les médias traditionnels, sommes désormais pris au piège, dit en substance le patron de presse nous fournit l’occasion de rompre le silence alors qu’on attendait, enfin, une décision, présentée comme imminente par la commission sur le dossier abus de position dominante qui traîne depuis trop longtemps, montrant et démontrant la pusillanimité des institutions européennes. La Cour de Justice europénne traditionnellement habitué à quelques coups d’Etat vient de montrer le bon chemin (cf. autre article dans Nea say). Döpfner, grand patron de presse,n’hésite pas à le dire : « Nous avons peur de Google, je vous le dit clairement, car peu de mes collègues osent le faire publiquement ». Il y a quelques mois (février 2014) Nea say de Eulogos avait écrit : « Google, attention, danger ! ». Le grand patron de la presse allemande,lui, confesse son impuissance : « nous n’avons pas d’alternative (…) nous n’avons pas d’autres moteurs de recherche pour stabiliser ou développer notre présence on line (…)
« Google n’a pas besoin de nous, mais nous avons besoin de Google ». Google ne se contente pas de privilégier ses propres sociétés dans les résultats qu’il affiche, comme le lui reproche la Commission européenne et les plaignants auprès de la Commission européenne : il peut aussi en changeant ses algorithmes, faire chuter (-70%) très rapidement la visibilité d’un concurrent. C’est arrivé à une de nos filiales, confesse-t-il, « ce n’était pas un hasard ! ».
Döpfner avertit : ce qui se passe aujourd’hui dans la presse-« l’expropriation des contenus »-n’est qu’une première étape « lorsque la même chose se produira avec les données personnelles des gens (…) la question de savoir à qui elles appartiennent sera l’une des principales questions politiques d’avenir »Avons-nous atteint ce stade rêvé par Google : un lieu sans protection des données et sans contrôle démocratique ? s’interroge-t-il
Les critiques à l’égard de Döpfner n’ont pas manqué. Elles concernent une personne qui en raison de ses fonctions et du métier qu’il exerce pouvait difficilement échapper aux critiques. Ses adversaires ont eu beau jeu de faire remarquer que d’un côté, Axel Springer participe à l’action antitrust lancée contre Google auprès de la Commission européenne, et réclame l’application de la loi allemande sur les droits d’auteur, qui interdit le vol de contenu ; d’un autre côté, Axel Springer bénéficie non seulement du trafic qui lui arrive de Google mais aussi des algorithmes de Google pour vendre ses espaces publicitaires disponibles sur Internet. Enfin, un comble, c’est la presse libérale qui en appelle aux gouvernements !
Autre paradoxe : dans sa lettre, Döpfner s’insurge contre le fait que la Commission européenne permette à Google de continuer à gagner de l’argent avec son moteur de recherche et à biaiser ses résultats – « une trahison de l’idée à l’origine de Google ». Quand le patron de Springer défend la neutralité du Net…
Pour diaboliser son partenaire-adversaire, Mathias Döpfner ne fait pas dans la nuance ou le sous-entendu :
•avec la mafia : l’achat de publicité sur le moteur de recherche est comparé au racket : « Si tu ne veux pas que je te tue, paye-moi » ;
•avec Big Brother : « Oubliez Big Brother, Google est encore mieux ! » ;
•avec la Stasi, au moment de commenter une phrase célèbre de Mark Zuckerberg, le patron de Facebook (« Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre ») :
« Une telle déclaration aurait aussi pu venir du directeur de la Stasi ou de toute autre police secrète au service d’une dictature. »
Que Google renonce à ce qui le fait prospérer c’est au fond la motivation profonde de sa démarche fait-on remarquer pour le décrédibiliser,
Le PDG de Springer rappelle aussi les acquisitions récentes de Google (dans les objets connectés, la robotique ou les drones), les projets de ses dirigeants et le la construction de sa plateforme flottante, qu’il rapproche des propos de son fondateur Larry Page, qui rêvait d’un endroit sans lois pour « essayer des choses nouvelles ».
Döfpner demande à Eric Schmidt de :
•dévoiler l’algorithme de Google ;
•cesser de favoriser les sites qui lui achètent de la publicité ;
•ne pas enregistrer les adresses IP ;
•supprimer automatiquement les cookies ;
•ne pas enregistrer le comportement d’un consommateur sans accord préalable ;
•lever le voile sur tous ses projets industriels.
Dans le fond, Döfpner a en grande partie raison. L’accord entre Google et la Commission européenne est inoffensif, voire bénéfique au moteur de recherche. Et Rue89 évoque souvent la puissance de Google et Facebook qui nous interpelle, parfois nous effraie. Que vive le débat sur leur comportement est essentiel.
Döfpner est moyennement crédible, font remarquer ses adversaires : « que le patron du plus grand groupe de presse européen se mette à genoux pour demander à Google de renoncer à tout ce qui fait sa fortune, qu’il ne voie son salut que dans une intervention politique (« IBM et Microsoft en sont les exemples les plus récents ») ou une initiative de Google pour « se restreindre volontairement » est une image frappante, font-ils remarquer de façon sacarstique. Les plus vifs vont jusqu’à dire qu’on peine à le voir aux côtés d’Edward Snowden comme défenseur de la vie privée. Bild ayant fait de l’intrusion dans la vie privée des célébrités son fonds de commerce, Döpfner n’est pas crédible lorsqu’il défend « le droit à la confidentialité et même, oui, aux secrets ». On peine aussi à croire que les journaux et sites internet du groupe ne monnayent pas leurs énormes bases de données d’abonnés et de membres – le modèle économique de Google qu’il dénonce.
C’est tout l’enjeu et l’ambiguïté du combat contre Google qui apparaît ici. Google a encore de beaux jours devant lui.
Pour en savoir plus :
– Article de Nea say Google, attention danger ! ( FR )
– Dossier Google de Nea say : ( FR )