Bien que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) protège le droit à la vie en son article 2, elle n’accorde pas pour autant un droit à mourir. La question relative à la fin de vie fait débat depuis des années en Europe : faut-il ou non autoriser l’euthanasie et le suicide assisté ? C’est une question sociétale et éthique délicate sur laquelle les juges européens peinent à se prononcer clairement et accordent une large marge de manœuvre aux Etats partis au Conseil de l’Europe. C’est un sujet qui réapparait au moment où le gouvernement a chargé le député UMP, Jean Léonetti et le député PS Alain Claeys, de proposer des aménagements d’ici le 1er décembre 2014 sur la loi Léonetti afin de la réformer. Le gouvernement semble vouloir indiquer que sa promesse de réformer la loi sur la fin de vie n’est pas tombée aux oubliettes.
En France, plusieurs affaires viennent actualiser ce débat :
– L’affaire du Docteur Nicolas Bonnemaison, actuellement devant la Cour d’Assises des Pyrénées Atlantiques, ce médecin accusé de l’empoissonnement de 7 patients en fin de vie ;
– Bientôt devant la Cour d’Assises de l’Hérault, une ancienne enseignante de français va comparaitre pour avoir tenté d’abréger les souffrances de sa mère, atteinte d’Alzheimer ;
– Et plus particulièrement, l’affaire Vincent Lambert, actuellement à 18 mois de procédure judiciaire.
En 2008, Vincent Lambert est victime d’un accident de voiture, diagnostiqué dans un coma profond, il est actuellement dans un coma « pauci-relationnel » c’est-à-dire dans un état végétatif chronique. « Le traitement dont il bénéficie n’a pas d’autre effet que de le maintenir artificiellement en vie, emmuré dans sa nuit de solitude et d’inconscience » a ainsi déclaré le rapporteur public, vendredi 20 juin 2014, lors de l’audience publique de l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat. La décision du Conseil d’Etat était attendu ce mardi 24 juin 2014, il devra se prononcer sur la légalité d’une décision médicale prise dans le cadre de la loi Leonetti – loi qui autorise l’arrêt des traitements – d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielle de Vincent Lambert. Le rapporteur public du Conseil d’Etat est en faveur de l’arrêt des traitements, le Conseil d’Etat quant à lui suit généralement l’avis du rapporteur public mais n’est pas tenu de le faire. De plus, précédemment en février 2014, les magistrats du Palais-Royal ont décidé que l’alimentation et l’hydratation étant considéré comme un traitement selon la loi Leonetti, ceux-ci peuvent être arrêtés s’ils s’inscrivent dans le champ d’une obstination déraisonnable, ce que le rapporteur public a d’ailleurs soulevé vendredi 20 juin 2014 devant les magistrats. La décision du Conseil d’Etat doit mettre en balance le droit fondamental de droit à la vie, le principe constitutionnel français de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation avec le principe de ne pas subir de traitement conduisant à une obstination déraisonnable, cette décision était donc attendue avec impatience tant par la famille que par les médias et professionnels.
L’affaire Vincent Lambert oppose les membres de sa famille concernant son maintien en vie. Le corps médical, sa femme, son neveu et une partie de ses frères et sœurs souhaitent continuer le processus de fin de vie tel qu’établi par l’hôpital de Reims alors que ses parents s’y opposent fermement. Ceux-ci ont d’ailleurs saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ce lundi 23 juin 2014, en prévention, pour s’opposer à la décision du Conseil d’Etat si celui-ci infirme le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et par conséquent, autoriserait l’arrêt des traitements. En vue de cette perspective, l’affaire Vincent Lambert risque de réanimer le débat tant en France qu’en Europe.
Quel pourrait être le résultat d’une saisine de la CEDH ?
Un recours au fond devant la CEDH ne permettrait pas à lui seul d’empêcher l’hôpital de Reims d’arrêter le traitement de Vincent Lambert, de ce fait, les parents devraient invoquer l’article 39 du Règlement Intérieur de la CEDH par lequel la Cour peut indiquer des mesures provisoires envers un Etat parti.
Article 39 du Règlement intérieure de la CEDH – Mesures provisoires
« 1. La chambre ou, le cas échéant, son président peuvent, soit à la demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée, soit d’office, indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure.
2. Le cas échéant, le Comité des Ministres est immédiatement informé des mesures adoptées dans une affaire.
3. La chambre peut inviter les parties à lui fournir des informations sur toute question relative à la mise en œuvre des mesures provisoires indiquées par elle ».
En quoi consistent les mesures provisoires ?
Ce sont des mesures d’urgence qui trouvent à s’appliquer lorsqu’il y a un risque imminent de dommage irréparable. Ces mesures sont toujours demandées lors d’une procédure au fond mais ne présagent pas de la décision ultérieure de la Cour quant à la recevabilité et au fond de l’affaire. Lorsqu’elles sont demandées, un juge unique statuera dans les 24h à 48h.
L’octroi de ces mesures provisoires permet de suspendre l’exécution d’une décision étatique. Généralement, ces mesures sont accordées pour des affaires d’extradition ou de renvoi d’une personne vers un pays où le requérant serait exposé, en l’absence de telles mesures, à un risque réel de dommages graves et irréversibles. Ainsi la décision de la CEDH d’indiquer des mesures provisoires à la France dans l’affaire Vincent Lambert, est une première en la matière.
Concernant le fond, l’affaire sera traitée prioritairement si les mesures provisoires sont accordées, au lieu d’un délai de 2 à 3 ans de procédure, celui-ci serait réduit à 1 ou 2 ans. Une formation collégiale de la CEDH examinera le fond de l’affaire. Au regard des affaires antérieures, la CEDH pourraient se baser sur l’article 2 (Droit à la vie), l’article 3 (Interdiction de la torture, traitements cruels, inhumains et dégradants) et l’article 8 (Respect de la vie privée et familiale) de la Convention. La Cour européenne devrait alors examiner si l’Etat français a violé ces articles et si la législation française – à savoir la Loi Leonetti du 22 avril 2005 – est assez précise concernant la fin de vie et l’euthanasie.
Où en est-on en Europe concernant la fin de vie et l’euthanasie ?
Tout comme le mariage accordé aux couples de personnes de même sexe, la question de l’euthanasie et de la fin de vie en ce qu’elle est une question de société touchant à la morale, la religion et la politique, divise les Européens.
L’Union européenne ne dit pas un mot sur ce sujet même si certains Etats membres tentent de forcer le pas au Parlement européen. La Cour européenne des droits de l’Homme quant à elle a déjà eu à traiter de cette affaire.
Dans l’Union européenne, ont légalisé l’euthanasie sous conditions :
– les Pays-Bas : depuis le 1er avril 2002 le pays a légalité l’euthanasie active directe c’est-à-dire l’administration d’un médicament provoquant la mort lorsque le patient en fait la demande en pleine possession de ses moyens et subit des souffrances insupportables et interminables dues à une maladie diagnostiquée par un médecin comme incurable avec avis d’un second médecin.
– la Belgique en septembre 2002 légalise partiellement le suicide assisté si le patient est majeur capable et conscient qui a formulé sa demande de façon volontaire, réfléchie et répétée. Désormais elle l’autorise aussi pour les mineurs.
– le Luxembourg depuis mars 2009 pour les patients en situations médicale sans issue mais non mineurs.
Pays autorisant ou tolérant une forme d’aide à la mort :
– La Suisse où l’euthanasie active indirecte et l’euthanasie passive sont autorisées ainsi que le suicide assisté s’il ne répond pas à un acte égoïste ;
– La France avec la loi Leonetti qui autorise le droit au laisser mourir avec les soins palliatifs ;
– La Suède avec l’euthanasie passive en 2010 ;
– La Grande-Bretagne autorise depuis 2002 l’interruption des soins dans certains cas et depuis 2010, les personnes aidant un proche, qui a clairement exprimé sa volonté, à se suicider par compassion sont de moins en moins poursuivis ;
– L’Allemagne autorise l’euthanasie passive si le patient en a fait la demande ;
– En Autriche de même qu’en Allemagne ;
– Le Danemark, chaque citoyen peut déclarer par écrit, dans le registre central, sa volonté de refuser tout acharnement thérapeutique ;
– La Norvège autorise l’euthanasie passive à la demande du patient ou d’un proche s’il est inconscient ;
– La Hongrie et la République tchèque autorisent les malades incurables à refuser leur traitement ;
– L’Espagne également autorise les malades à refuser d’être soignés ;
– Le Portugal quant à lui condamne l’euthanasie active ou passive sauf cas désespérés admis par le Conseil d’éthique ;
Enfin, les pays où l’euthanasie et le suicide assisté sont interdits :
– L’Italie qui considère cet acte comme un homicide volontaire même avec accord du patient pour une peine de 5 ans ;
– La Grèce et la Roumanie condamne d’une peine de 7 ans de prison ;
– La Croatie interdit pénalement l’euthanasie ;
– La Pologne condamne à une peine de 3 mois à 5 ans de prisons ;
– En Irlande condamne à une peine de 14 ans de prison
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme
La Cour européenne des droits de l’Homme a eu à connaitre de ces questions d’euthanasie et de suicide assisté. Son article 2 prévoit que toute personne a le droit à la vie. Outre la peine de mort, cette rédaction suscite de nombreuses questions quant à l’euthanasie mais également l’avortement. D’ailleurs lors de la rédaction de l’article 2 CEDH, des amendements avaient été proposés pour préciser que toute personne bénéficie du droit à la vie jusqu’à sa fin naturelle, pour éviter tout cas d’euthanasie. C’est donc bien un sujet lourd de conséquence qu’il est difficile d’harmoniser, notamment en ce que certaines religions condamnent cet acte.
Toutefois au plan régional, on perçoit des avancées du coté de la Cour européenne des droits de l’Homme, elle utilise une interprétation extensive de l’article 8 CEDH.
En 2002, dans son arrêt Pretty une patiente atteinte de sclérose en plaque invoquait l’article 2 en l’interprétant comme un droit à choisir sa mort. La Cour européenne reconnait pour la toute première fois et ce, de manière assez prudente que l’article 8 de la Convention concernant le respect de la vie privée contient le « droit à l’autodétermination », lequel permet à toute personne de décider quand et de quelle manière elle souhaite mettre fin à sa vie. En ce sens, il en résulte que le fait pour un Etat d’avoir une législation interdisant le suicide assisté peut constituer une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée même si cette ingérence peut être justifiée au regard des dispositions du §2 de l’article 8. En l’espèce, la Grande-Bretagne ne sera pas condamnée. Elle n’octroi pas de droit à mourir sur le fondement de l’article 2.
Plus tard, dans un arrêt du 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, la Cour européenne confirme l’application de son article 8 à la question de la fin de vie volontaire et fait écho à la jurisprudence Pretty : « la Cour estime que le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu’il soit en mesure de former librement sa volonté à ce propos et d’agir en conséquence est l’un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention » (§ 51 de l’Arrêt Haas). Ici la Cour européenne donne une précision concernant sa jurisprudence Pretty. Toutefois, cet arrêt ne consacre pas l’obligation positive pour les Etats partis de mettre en œuvre la pratique du suicide assisté. La Cour européenne accorde toujours une grande marge de manœuvre aux Etats partis.
Egalement, dans l’arrêt du 19 juillet 2012 Koch où l’Allemagne a été condamné pour manquement au droit au respect de la vie privé. Suite à une chute en 2002 une femme fut affectée d’une tétraplégie complète et placée sous assistance respiratoire à 52 ans, les médecins lui donnent au moins 15 ans à vivre dans cet état, et elle souhaite mettre fin à sa vie qu’elle juge indigne et réclame une aide médicale et l’accompagnement de son époux. Après une demande d’un médicament refusé par les autorités allemandes, ils rejoignent en Suisse l’organisation « Dignitas » et organisent le suicide assisté de la patiente. Son époux souhaite que l’Allemagne soit condamnée pour ne pas avoir répondu à leur demande. La Cour estime recevable sa requête fondé pourtant sur la situation de sa femme. La Cour estime que « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin et d’agir en conséquence est l’un des aspects du droit au respect de la vie privée » c’est-à-dire qu’en l’espèce, la Cour européenne reconnait la licéité du droit au suicide. Pour être clair, la Cour européenne ne condamne pas l’Allemagne pour avoir refusé la demande des époux mais de ne pas avoir mis en place un processus décisionnel permettant valablement et rapidement d’évaluer les intérêts en présence et de prendre une décision appropriée concernant l’état de la patiente. Il y a donc une balance des intérêts à effectuer et à mettre en place un processus décisionnel permettant l’évaluation des intérêts en présence pour une meilleure protection des individus.
Toutefois, cette jurisprudence reste limitée à l’existence d’une marge d’appréciation laissée aux Etats partis. Mais la Cour européenne se laisse le contrôle final des législations étatiques en matière de fin de vie. Il sera sans aucun doute fait référence aux dispositions citées de la Convention et à sa jurisprudence pour le moins audacieuse.
Dernièrement, l’affaire Gross c. Suisse du 14 mai 2014 concerne le cas d’une personne âgée qui se plaint de ne pas avoir l’autorisation des autorités de mettre fin à ses jours, celle-ci n’est pas malade mais estime qu’il y a atteinte à sa vie privée et familiale. La première chambre lui donne raison. Finalement, la Cour conclue que le souhait d’un individu d’obtenir une dose mortelle de médicament afin de mettre fin à ses jours relève du droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention et que la Suisse n’a pas fourni de directives suffisamment claires concernant ce droit.
Pour conclure, les Etats partis restent libres d’autoriser ou non le suicide assisté sous réserve qu’ils assurent que l’acte létal reste commis par la personne elle-même et que celle-ci dispose d’un consentement proportionné à la gravité et au caractère irréversible de l’acte. Dans sa jurisprudence, la Cour reconnait que l’article 8 CEDH permet de fonder le droit des Etats à reconnaitre le suicide assisté mais ne les oblige pas à le faire. Les Etats ont donc à charge de prendre toutes mesures nécessaires permettant le suicide digne et la consécration d’un suicide assisté. La Cour avance par petit pas et avec prudence mais ces arrêts ne sont pas dénués de résultats. Elle dresse un panorama des contraintes conventionnelles dans le domaine de la fin de vie et pose des bases pour l’avenir. Reste que la Cour pose la légitimité d’un suicide assisté de manière sûre, digne et sans douleur dans son arrêt Haas pour les personnes non vulnérables et capables de prendre une décision en toute connaissance de cause.
La décision du Conseil d’Etat français
Finalement, ce mardi 24 juin 2014 à 16h, le Conseil d’Etat français a rendu son avis et tranche en faveur de l’arrêt des soins de Vincent Lambert. C’est donc la première fois que les magistrats du Palais-Royal, la plus haute juridiction administrative française se prononce sur la légalité d’une telle décision médicale, lourde de conséquence, puisqu’elle autorise l’arrêt des traitements entrainant la mort de Vincent Lambert. Les magistrats du Palais Royal se sont basés sur le consentement que Vincent Lambert aurait donné à son épouse et son neveu quant à l’arrêt des soins dans cette situation.
« La poursuite des traitements traduisait une obstination déraisonnable », selon les propos du vice-président du Conseil d’Etat, Jean-Marc Sauvé, c’est ce qui a notamment aidé les magistrats à prendre la plus difficile des décisions depuis 50 ans au Conseil d’Etat.
Désormais, le « pouvoir » revient au juge européen. Celui-ci a statué en urgence sur les mesures provisoires le soir même du rendu de la décision du Conseil d’Etat et enjoint à la France de suspendre la décision du Conseil d’Etat et demande le maintien en vie de Vincent Lambert pour la durée de la procédure devant la CEDH.
Il s’en suit que la formation collégiale de la CEDH va examiner la recevabilité de l’affaire et le fond pour rendre sa décision, celle-ci étant saisie en urgence devrait être rendu dans un délai de 1 à 2 ans, toutefois, tout étant possible, dans l’affaire Pretty de 2002, la Cour européenne avait statué en 4 mois, alors peut-être qu’une décision permettra de clôturer ce débat juridique plus vite que prévu mais surtout apportera une réponse à la famille de Vincent Lambert.
Audrey Lenne
Pour en savoir plus :
– « Le rapporteur du Conseil d’Etat se prononce contre le maintien en vie de Vincent Lambert », Le Monde, le 20 juin 2014 (FR)
– « Affaire Lambert : les juges contraints de choisir », Le Monde, le 23 juin 2014 (spécial abonné)
– « La CEDH a un jurisprudence balbutiante », Question à Nicolas Hervieu, Le Monde, le 23 juin 2014 (spécial abonné)
– « Les parents de Vincent Lambert ont déjà saisi la Cour européenne de justice », Le Monde, le 24 juin 2014 (FR)
– Nicolas Hervieu, « Les prudentes audaces de la jurisprudence européenne face à l’assistance au suicide » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 23 juillet 2012 (FR)
– « Vincent Lambert : le Conseil d’Etat autorise l’arrêt des soins », Le Monde, le 24 juin 2014 (FR)
– Cour EDH, 4e Sect. 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, Req. n° 2346/02 (FR)
– Cour EDH, 1e Sect. 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, Req. n° 31322/07 (FR)
– Cour EDH, 19 juillet 2011, Koch c. Allemagne, Req. n°497/09 (FR)
– Conseil d’Etat, 21 juin 2014, Affaire Vincent Lambert, (FR)
– Articles de Nea say sur la fin de vie (FR)
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