Il est d’usage d’entendre toutes sortes de critiques désobligeantes s’agissant du Parlement européen. C’est passer trop vite sur le travail considérable réalisé par nos parlementaires pour faire avancer concrètement les droits des citoyens. EU-Logos s’est entretenu en avril dernier avec Sylvie Guillaume et Juan Fernando Lopez Aguilar, députés socialistes européens, membres de la Commission LIBE, ainsi qu’avec Martin Schulz, alors candidat à la présidence de la Commission. Nous reconduirons cette démarche suite au renouvellement du Parlement et de la Commission afin que les citoyens soient en mesure de mieux saisir les positions de chaque groupe quant à des sujets qui affectent la vie quotidienne de l’ensemble de la population européenne.
L’équipe d’EU-Logos a interrogé tout d’abord les eurodéputés sur le programme du Post-Stockholm. Les députés estiment que les questions prioritaires sont la lutte contre les discriminations, la protection de la vie privée sur internet, l’assistance juridictionnelle ou les migrants. S’agissant du programme post-Stockholm, Sylvie Guillaume note très justement que le programme demeure fixé par le Conseil [voir notre article ci-dessous : Programme Post-Stockholm : les priorités stratégiques enfin fixées par le Conseil], alors même que l’esprit du Traité et la logique démocratique voudraient que le Parlement européen, le Conseil et la Commission travaillent ensemble à cet effet.
Notre équipe les a également questionné sur la protection des données sur internet. Sylvie Guillaume appelle en la matière à un « cadre européen ambitieux de protection des données personnelles », lequel recouvrirait un « Cloud » européen offrant des garanties fortes, une « taxe Google » ou encore la protection contre l’IP-tracking et toute technique de traçage. Plus fondamentalement, il s’agit de défendre la neutralité du Net pour garantir les droits fondamentaux et faciliter les créations d’emplois.
Pour ce qui est de la justice, l’importance d’un système efficace est en soi un objectif crucial selon Juan Fernado Lopez Aguilar. Il présente également un enjeu prépondérant pour la prospérité de l’économie. Néanmoins, Sylvie Guillaume rappelle que c’est un domaine qui demeure largement de la compétence des Etats membres. Des avancées dans le domaine de l’aide juridictionnelle ou l’établissement d’un tableau de bord de la justice pourraient toutefois être obtenues.
Dans le domaine de la lutte contre la criminalité transnationale, Sylvie Guillaume remarque que les instruments sont déjà en place pour favoriser une plus grande coopération. Il s’agit d’ailleurs d’un domaine où « une réponse européenne commune aurait une immense valeur ajoutée » selon Martin Schulz. Néanmoins, il faut regretter que les instruments soient complexes et fragmentés, ce qui les rend inefficaces et démocratiquement inadéquats. La confiance mutuelle est l’élément clé qui permettra de débloquer la situation. Juan Fernando Lopez Aguilar souhaite que la réglementation d’Europol soit révisée et que l’adoption de la Directive relative à la protection des données soit rapidement adoptée. La lutte anti-corruption appelle enfin particulièrement son attention.
Les deux parlementaires s’accordent pour dire que la sécurité ne peut s’opérer que dans le cadre des droits fondamentaux. Le mandat d’arrêt européen offre un bon exemple d’articulation à optimiser entre la sécurité et la protection des droits. Sylvie Guillaume note à ce titre qu’il souffre d’importantes insuffisances, qui pourraient être dépassées par l’introduction d’une clause sur le respect des droits fondamentaux, d’un « critère de proportionnalité » pour éviter une utilisation abusive du MAE, ou encore d’un droit de refus obligatoire s’il existe des motifs substantiels de croire que l’exécution de la mesure serait incompatible avec la Charte des droits fondamentaux. Juan Fernando Lopez Aguilar abonde en ce sens et ajoute que pour éviter les excès, une meilleure définition des crimes susceptibles de MAE devrait être obtenue et que le droit d’appel devrait être plus effectivement garanti.
Pour ce qui est de l’asile, les deux députés saluent l’avancée que constitue l’adoption du Paquet asile de juin 2014, poussée par les socialistes. Juan Fernando Lopez Aguilar fait justement remarquer que désormais l’attention doit se porter sur sa mise en oeuvre par les Etats membre. Au-delà, des marges d’amélioration existent. Martin Schulz note en effet que « d’une certaine façon, le Système commun d’asile n’a de commun que le nom » tant les responsabilités ne sont pas équitablement réparties. Ces pistes sont établies par nos députés : accélération de la prise de décision, meilleure coopération entre la société civile et les institutions européennes, notamment le Bureau européen d’Appui en matière d’asile ou encore participation de l’UE dans l’effort de réinstallation, qui est aujourd’hui marginale à l’échelle mondiale.
L’adoption du règlement Dublin III répond à une urgence et a permis d’importantes avancées : meilleur accès à l’information des demandeurs, recours suspensif et assistance juridique gratuite, meilleur cadrage de la détention, renforcement des droits des mineurs non accompagnés ou encore mécanisme d’alerte rapide. Juan Fernando Lopez Aguilar regrette néanmoins le manque de solidarité entre les Etats membres. Enfin, tous deux s’étonnent que le statut de protection temporaire pour les réfugiés issus des crises, comme la Syrie, ne soit pas plus utilisé, alors même qu’il permettrait de mieux organiser les opérations de réinstallation et la répartition de l’accueil par ces Etats.
À la question de savoir si l’immigration doit être sélective, Juan Fernando Lopez Aguilar répond sans ambiguïté « oui ». Sylvie Guillaume souligne qu’il faut se dépêtrer des vues partisanes d’une « Europe forteresse » ou d’une « Europe passoire », et, au contraire, comme le remarque Martin Schulz, s’appuyer sur une vision qui reflète « les contributions concrètes que les migrants apportent à l’économie européenne ». Seule l’élaboration de canaux d’immigration légaux permettra de réduire le recours à des entrées irrégulières et dangereuses. À ce titre, Martin Schulz souhaite que le dialogue avec les voisins méditerranéens de l’Europe soit renforcé. Au sein de l’UE, l’intégration socio-économique des migrants passe, pour les deux eurodéputés, par une conception inclusive de la citoyenneté et un soutien concret de l’UE aux communautés locales. L’Europe a d’ores et déjà établi des outils pour lutter contre le dumping social des travailleurs saisonniers, informer les immigrants sur leurs droits, ou lutter contre les discriminations fondées sur l’origine ethnique.
L’équipe d’EU-Logos a questionné les députés sur l’égalité des genres. Ceux-ci s’attachent à dénoncer les inégalités concrètes : les femmes sont payées 16% de moins par heure que les hommes, elles ont une retraite de 39% inférieure, elles n’occupent que 16% des siège des conseils d’administration, une femme européenne sur trois a déjà été victime de violences ! Au-delà de la question politique, ils rappellent les enjeux économiques d’une plus grande participation des femmes et émettent des propositions concrètes : quotas dans les « clubs masculins » (conseils d’administration, haute administration), interdiction du licenciement des travailleuses enceintes, adoption de la directive permettant d’allonger le congé maternité à 20 semaines… Les reculs sur l’avortement constatés dans plusieurs pays européens, en particulier l’Espagne, suscitent une même inquiétude : « le temps des cintres, des aiguilles à tricoter, des faiseuses d’ange » demeure une réalité pour beaucoup d’européennes, souligne Sylvie Guillaume, laquelle appelle à une inscription de ce droit dans la Charte des droits fondamentaux. En ce qui concerne l’adoption de la convention d’Istanbul [Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à égard des femmes et la violence domestique, adoptée en 2011 à Istanbul], son adoption par l’ensemble des Etats membre est un prérequis pour les deux eurodéputés.
Nous avons ensuite posé quelques questions « horizontales » à nos députés.
Les deux sont attachés à ce que la transposition des directives soit plus rigoureuse au travers de davantage de coordination avec les institutions, mais également d’une plus grande implication de la CJUE.
Constatant le manque d’initiative en matière sociale de la Commission Barroso, Sylvie Guillaume souhaite que soit initié un Traité social européen reposant sur l’emploi et la protection sociale, en complément de la « clause sociale horizontale » qui exige que l’UE prenne en considération les impacts sociaux de ses décisions.
Enfin, en ce qui concerne l’engagement des Parlements nationaux dans les activités de l’UE, il faut noter que la circonstance que la logique inter-gouvernementale l’ait emporté pour répondre à la crise impose que les Parlements nationaux soient davantage vigilant dans le contrôle de leur exécutif, en complément du rôle du Parlement européen. Cette coopération pourrait être plus poussée, comme par exemple dans le domaine de la protection des données.
Emmanuel Buttin
Pour en savoir plus :
– Entretien avec Sylvie Guillaume : [FR]
– Entretien avec Juan Fernado Lopez Aguilar : [EN]
– Entretien avec Martin Schulz : [EN] – Cf. la rubrique « Food for thought »: de Eulogos [EN] et [FR]