Dans un arrêt du 24 juin 2014, Parlement européen contre Conseil de l’Union Européenne, la Grande Chambre de la Cour de justice de l’UE a annulé un accord conclu par la Haute représentante entre l’UE et l’Ile Maurice concernant le transfèrement des pirates présumés arrêtés par la force Atalanta vers cette dernière afin qu’ils y soient jugés. En effet, le manque d’information du Parlement européen viole l’article 218 TFUE. Cette décision rappelle opportunément au Conseil que l’équilibre démocratique des institutions a changé à la faveur du traité de Lisbonne.
L’externalisation du traitement judiciaire des pirates par l’UE vers des pays de l’Océan Indien
Si le lancement de la force EUNAVFOR Atalanta par l’UE en 2008 pour lutter contre les pirates dans l’Océan Indien avait permis de faire face au défi sécuritaire lié aux multiples attaques, de nombreuses questions demeuraient au sujet du devenir des pirates présumés arrêtés. Le respect de l’état de droit impose qu’ils soient jugés. Toutefois aucun Etat membre ne souhaitait accueillir de tels accusés, et l’on peut se demander quel est l’intérêt d’une peine effectuée à des milliers de kilomètres du lieu de l’infraction, dans un pays dont la langue, la culture sont inconnues, obérant ainsi les chances de réintégration.
L’UE a par conséquent conclu une série d’accords avec des Etats tiers pour assurer le traitement judiciaire des pirates et des biens saisis aux fins d’enquête et de poursuite, suite à leur remise par les forces de l’opération Atalanta. Le commerce de ces pays est largement dépendant de la circulation maritime. Or, l’augmentation des attaques augmente considérablement les primes de risque, et, ce faisant porte atteinte à leur commerce. L’UE exige que les présumés pirates soient traités conformément aux standards internationaux : interdiction des traitements inhumains et dégradants, de la torture, garanties procédurales du procès équitable : respect du contradictoire, de la présomption d’innocence, du délai raisonnable…
Après deux premiers accords avec le Kenya et les Seychelles en 2009, un troisième a finalement été conclu le 14 juillet 2011 —le premier depuis l’entrée en vigueur de Lisbonne— entre la Haute représentante pour le Conseil et les autorités mauriciennes.
Les pays mettent toutefois des conditions à l’accueil et au jugement des pirates. L’accord avec Maurice avait ainsi un temps buté sur l’exigence européenne d’exclusion de la peine de mort des peines encourues (elle demeure légale à Maurice, mais est suspendue depuis 1987) et sur la liberté pour Maurice de transférer vers un autre pays les pirates présumés. Un accord avait finalement été conclu permettant à l’UE de le dénoncer en cas d’application de la peine de mort, et soumettant le transfert de Maurice vers un Etat tiers au respect des droits des prévenus et à l’accord des deux parties. En échange, l’Ile Maurice bénéficie d’un soutien financier (4M€ financés par l’instrument de stabilité de l’UE) et logistique (construction d’un centre de détention, nouveau tribunal, salles d’interrogatoires, mise à disposition d’interprètes, formation des personnels).
La PESC doit désormais prendre davantage en compte le Parlement
L’accord avec Maurice était le premier à être signé après le traité de Lisbonne et le premier jugement sur des accords conclus dans le cadre de la PESC. À ce titre, il semblerait que le Conseil n’ait pas pris conscience du changement opéré par Lisbonne en faveur du Parlement. Outre le fait que l’accord doit être désormais négocié par la Haute représentante (art. 37 TUE et 218 TFUE), l’article 218§10 TFUE prévoit que le Parlement est « immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure » menant à l’accord.
Or, cette information n’a été que sommaire, ne répondant ainsi pas au critère de pleine information et empêchant que « le Parlement soit mis à même d’exercer un contrôle démocratique sur l’action extérieure de l’Union ». Dès lors, la Cour de justice fait droit aux prétentions du Parlement et fait pencher en sa faveur le bras de fer qui l’opposait au Conseil en la matière —contrairement aux conclusions de l’avocat général qui estimait que « les griefs n’étaient pas de nature à entraîner l’annulation de la décision litigieuse ».
Si l’accord a été annulé, il faut noter que, conformément aux souhaits de l’ensemble des partis —Parlement compris—, ses effets perdurent. En effet, s’inspirant de la théorie des formalités substantielles pour laquelle l’effet de la décision doit être proportionné à l’illégalité, le juge européen a constaté que l’annulation pure et simple serait « susceptible d’entraver le déroulement des opérations ». Cette solution doit être saluée, eut égard notamment à la situation des 12 pirates somaliens présumés, ayant attaqué le navire MSC Jasmin le 5 janvier 2013, remis dans le cadre de cet accord à l’Ile Maurice, et dont le procès est en cours (le procès à été plusieurs fois reporté en raison de l’activisme juridictionnel des avocats qui contestent toutes les preuves)
Il appartient à la Haute représentante (et à son successeur) ainsi qu’au Conseil de négocier un nouvel accord respectant cet arrêt. Il en va de même avec le projet d’accord avec la Tanzanie. Cette décision, tout en préservant la sécurité juridique des accords établis, permet, par une subtilité juridique de rappeler au Conseil que les avancées démocratiques de Lisbonne ne sont pas simplement théoriques.
Emmanuel Buttin
Pour en savoir plus :
– Arrêt de la cour : [FR] et [EN]
– Conclusions de l’avocat général : [FR] et [EN]