Alors que la loi du 8 juillet 2014 impose à Amazon de faire payer la livraison pour ne pas concurrencer de manière déloyale les librairies, le géant américain facture désormais le ridicule montant d’un centime. Le pied de nez d’Amazon à l’Etat français illustre les modifications radicales de toutes les formes de régulation que rend nécessaire l’internet.
C’est à ce chantier gargantuesque et protéiforme que souhaite s’atteler le rapport d’information fait au nom de la Mission commune d’information du Sénat par Catherine Morin-Desailly, consacré au nouveau rôle et à la nouvelle stratégie pour l’UE dans la gouvernance mondiale de l’Internet.
Ce rapport, qui a reçu un large écho médiatique, part du constat que si l’internet prend racine sur les deux rives de l’Atlantique, l’internet que nous « consommons » aujourd’hui est essentiellement américain. Si la volonté d’horizontalité et d’ouverture perdure, elle se combine paradoxalement avec la puissance du leadership américain et la concentration des firmes numériques. Dans un rapport d’octobre 2013, Catherine Morin-Desailly s’interrogeait sur « l’UE, colonie du monde numérique ? ». Dans ce rapport, elle semble apporter une réponse positive : face à une gouvernance éclatée de l’internet et à une Europe largement distancée, la domination de l’internet mondial est nettement américaine. À titre d’illustration, les Etats-Unis accueillent sur leur sol les « serveurs racines », ou encore l’ICANN (Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur internet).
En dépit de cette situation, la parole européenne reste peu audible, comme en témoigne l’absence de formation du Conseil dédié aux questions numériques. La Sénatrice en appelle à un « nouveau modèle de gouvernance de l’Internet » respectueux des droits de l’homme et porteur de croissance.
Si le constat est alarmant, des solutions sont envisageables à l’échelle européenne. En premier lieu, le rapport souligne la nécessité d’assoir dans un traité les principes adoptés à la conférence NETmundial de Sao Paulo du 2 avril 2014, tel que la protection contre la collecte arbitraire de données. Pour en garantir l’effectivité, il propose d’organiser un réseau d’enceintes de gouvernances, supervisé par un Conseil mondial de l’internet rassemblant gouvernements, entreprises et société civile. Celui-ci serait notamment en charge de chapeauter l’ICANN, laquelle deviendrait une société de droit suisse avec une gouvernance partagée et l’ouverture d’un droit de recours aux usagers contre les décisions de refus.
À son niveau, l’UE pourrait rendre la politique de la concurrence plus réactive face aux abus de position dominante en ligne et renforcer son contrôle sur les concentrations. Mais à cet égard on est obligé de constater que le traitement par la Commission européenne du dossier Google constitue un contre exemple plutôt inquiétant. Une formation du Conseil dédiée au numérique pourrait voir le jour pour accélérer les prises de décision en la matière. La sénatrice UDI en appelle à une initiative franco-allemande pour faire émerger des champions européens et une industrie numérique. La question des financements des PME-ETI par du capital-risque européen est également envisagée.
Cet appel à une impulsion européenne fait écho aux initiatives déjà en place. Le numérique constitue en effet l’un des sept axes majeurs constitutifs de la stratégie Europe 2020, et un Agenda numérique européen a été lancé. Celui-ci prévoit notamment un marché unique numérique, lequel passe par une meilleure normalisation et l’interopérabilité dans le domaine des TIC, le développement du très haut débit ou encore la facilitation des financements.
Ces initiatives souffrent toutefois d’un manque de stratégie politique et d’une vision globale de la place de l’UE dans ce domaine. Plus précisément, elles favorisent la création d’un grand marché mais pas l’émergence de champions européens à même de concurrencer les géants américains. Il s’agit donc d’une ouverture au marché européen à sens unique, dans la mesure où les marchés américains, chinois ou nippons demeurent très fermés, et sans se donner les moyens d’une politique industrielle ambitieuse. L’absence de stratégie en ce sens tend à faire de l’UE une véritable « colonie » numérique.
Ce rapport offre l’esquisse d’un début d’initiative. La nomination d’Axelle Lemaire, auteure avec Hervé Gaymard d’un rapport ambitieux sur la stratégie numérique de l’UE comme Secrétaire d’Etat chargée du numérique aidera, espérons-le, à mettre à l’agenda et à définir une véritable politique industrielle numérique. La présidence italienne actuelle de l’UE par la voix de son premier Ministre, Matteo Renzi, a inscrit le numérique parmi ses ambitions prioritaires, une opportunité à saisir
Emmanuel Buttin
Pour en savoir plus :
–Le Rapport du Sénat du 8 juillet 2014: [FR]
–Le Rapport du Sénat d’octobre 2013 sur l’UE, colonie numérique ?: [FR]
–Le Rapport de l’Assemblée nationale sur la stratégie numérique européenne : [FR]
– Digital Agenda Scoreboard 2014 A Europe 2020 Initiative http://ec.europa.eu/digital-agenda/en/digital-agenda-scoreboard
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