Le droit européen des étrangers doit s’appliquer, quelque soit la structure constitutionnelle de l’Etat (CJUE, 17 juillet 2014, Bero, Bouzalmate et Pham)
En l’absence de centres de rétention spécialisés sur une partie de son territoire, un Etat membre ne peut garder dans un établissement pénitentiaire un étranger en attente d’éloignement, même si celui-ci y consent.
La directive dite « retour » de 2008 prévoit dans son article 16 §1, que les étrangers en attente d’éloignement doivent en général être retenus dans un centre spécialisé, ou, à titre exceptionnel dans une prison, à la condition qu’ils soient isolés des détenus de droit commun.
Or, en Allemagne, la rétention relevant des Etats fédérés, tous ne sont pas pourvus de centres spécialisés. Ainsi, dans trois affaires jointes, les étrangers en situation irrégulière ont été enfermés dans un établissement pénitentiaire entre 2010 et 2012. Dans la première affaire, en l’absence de centre pour l’accueil des femmes en Hesse, Mme Adala Bero a été placée en dans un établissement pénitentiaire. De la même façon, dans la seconde affaire M. Ettayebi Bouzalmatea été placé en prison en l’absence de centre de rétention en Bavière. Mme Thi Ly Pham enfin a été placée avec son consentement dans un établissement pénitentiaire parmi les détenus de droit commun en Bavière.
Les deux juridictions allemandes concernées par cette affaire ont donc saisi la CJUE en renvoi préjudiciel afin de savoir si le placement dans un établissement pénitentiaire lorsque l’Etat fédéré compétent ne dispose pas de centre de rétention spécialisé est conforme à la directive « retour ».
La CJUE juge tout d’abord que si la directive « retour » prévoit que la rétention doit s’effectuer dans un centre spécialisé, les autorités doivent appliquer cette disposition indépendamment de la structure constitutionnelle de l’Etat membre dont elle relève. En dépit de la constitution fédérale, il revient à l’Etat membre d’assurer que les autorités compétentes des Etats fédérés dénués de centres de rétention peuvent placer les étrangers en situation irrégulière dans un centre de rétention dans d’autres Etats fédérés s’ils ne peuvent y procéder dans leur propre Etat.
La Cour juge par ailleurs que la circonstance que l’étrangers en situation irrégulière a accepté le placement en établissement pénitentiaire avec les autres détenus de droit commun n’autorise pas l’Etat membre à y procéder, dans la mesure où la directive « retour » ne prévoit aucune exception à la séparation des étrangers en instance d’expulsion et des prisonniers de droit commun.
Pour en savoir plus :
-L’arrêt de la CJUE dit « Bero » : [FR] et [EN]
-Le communiqué de presse : [FR] et [EN]
Pas d’exception de durée de résidence pour les conjoints (CJUE, 17 juillet 2014, Tahir)
La circonstance qu’un étranger résident régulièrement dans un Etat membre au titre du regroupement familial ne l’exonère pas du respect de la condition de la durée de résidence pour l’octroi d’un permis de séjour de longue durée.
Les articles 4§1 et 7§1 de la directive de 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée prévoient que les Etats accordent ce statut après une période de résidence légale ininterrompue sur le territoire de cinq ans avant l’introduction de leur demande.
Mme Tahir, de nationalité pakistanaise a rejoint en Italie en 2010, au titre du regroupement familial, son mari —détenteur d’un permis de séjour de résident de longue durée. Mme Tahir a déposé auprès de la Questura di Verona une demande de permis de séjour de longue durée en sa qualité de conjointe en 2012, laquelle a été refusée. Estimant que la directive sur les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée permet aux Etats membres d’appliquer des mesures plus favorables que celles prévues par la directive, elle s’est tournée vers le Tribunale di Verona.
Le juge italien a questionné la CJUE afin de savoir si un membre de la famille d’un résident de longue durée peut être exonéré de la condition de résidence légale et ininterrompue de cinq ans.
La Cour répond que « rien dans le libellé [de la directive] ne permet de supposer qu’un membre de la famille […] puisse être exonéré pour bénéficier du statut de résident de longue durée de la condition de résidence légale et ininterrompue sur le territoire de l’État membre concerné pendant les cinq années précédant l’introduction de la demande en cause ». Dès lors, cette condition est indispensable à l’acquisition du statut, la durée de cinq ans étant notamment nécessaire à l’intégration de la personne.
Pour en savoir plus :
-l’arrêt CJUE, 17 juillet 2014, Tahir : [FR] et [EN]
-le communiqué de presse : [FR] et [EN]
Les Etats membres peuvent exiger que le conjoint ait 21 ans pour bénéficier du regroupement familial (CJUE, 17 juillet 2014 Noorzia)
L’article 4§5 de la directive de 2003 relative au regroupement familial détermine les conditions permettant au conjoint et aux enfants mineurs d’un étrangers en situation régulière dans un Etats membre de le rejoindre. Pour éviter les mariages forcés, la directive ouvre le droit aux Etats membres de prévoir un âge minimal de 21 ans pour le regroupant et son conjoint, sans définir à partir de quand la condition d’âge est remplie.
L’Autriche a décidé de transposer cette possibilité, et a précisé que les 21 ans doivent être atteints au moment du dépôt de la demande. En l’espèce, une ressortissante afghane dont la demande de regroupement avec son conjoint résidant autrichien a été rejetée car elle n’atteignait pas les 21 ans légaux au moment du dépôt. Elle s’est tournée vers la cour administrative autrichienne, laquelle a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de savoir si la directive s’oppose à ce choix.
La Cour juge que la directive ne s’oppose pas à ce choix qui relève de la marge d’appréciation des Etats membres,et qui ne porte donc pas atteinte au droit au regroupement familial, ni ne le rend excessivement difficile.
Pour en savoir plus :
-L’arrêt de la CJUE, 17 juillet 2014, Noorzia : [FR] et [EN]
-Le communiqué de presse : [FR] et [EN]
Emmanuel Buttin