Dans ses conclusions parues hier, l’avocat général Mengozzi près de la CJUE estime dans l’affaire G. Léger contre Ministre des affaires sociales et de la santé et Établissement français du sang qu’une relation sexuelle entre deux hommes ne constitue pas à elle seule un comportement justifiant l’exclusion permanente et définitive du don du sang.
Une interdiction justifiée mais disproportionnée, selon l’avocat général Paolo Mengozzi
Le 29 avril 2009, M. Léger s’est vu refuser le don de sang par un médecin de l’Établissement français du sang en raison de son homosexualité. En effet, l’arrêté du 12 janvier 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang prévoit une contre-indication générale pour tout « homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme ».
Saisi par M. Léger, le Tribunal administratif de Strasbourg demande à la CJUE si le refus est compatible avec le droit de l’UE, en particulier la directive de 2004 relative au don du sang qui permet aux Etats d’exclure les « sujets dont le comportement sexuel les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang ».
Pour l’avocat général Paolo Mengozzi, le seul fait qu’un homme ait eu des rapports homosexuels ne constitue pas, au sens de la directive « un comportement sexuel » excluant de manière permanente celui-ci du don du sang. En effet, le comportement sexuel —qui peut se définir comme les « habitudes et les pratiques sexuelles de l’individu concerné, autrement dit par les conditions concrètes dans lesquelles les rapports sexuels sont réalisés »— est beaucoup plus large que le fait d’avoir eu ou d’avoir un rapport sexuel avec un autre homme.
Dès lors l’interdiction formulée par la France retient un critère trop générique, alors que le terme de « comportement sexuel » retenu par le droit de l’UE exige une conduite précise exposant le candidat au don à un risque élevé de contamination. En excluant de manière définitive tout homme ayant eu une relation sexuelle homosexuelle, la « réglementation française introduit une évidente discrimination indirecte fondée (…) sur le sexe et sur l’orientation sexuelle ».
Il s’agit dès lors de savoir si cette différence de traitement est justifiée et proportionnée. L’avocat général estime que si l’objectif de réduire les risques de contamination au maximum est légitime et contribue à l’objectif général de protection de la santé publique, l’interdiction semble aller au-delà du nécessaire pour réaliser cet objectif. M. Mengozzi suggère donc que la juridiction européenne étudie la possibilité d’amender le questionnaire adressé aux candidats au don du sang de manière à permettre au personnel médical d’identifier si les candidats ont un comportement sexuel « à risque ».
Des conclusions qui s’inscrivent dans la continuité des prises de position d’autres acteurs institutionnels
La position prise par l’avocat général est également celles qu’on semblé avoir tous les ministres de la santé (Xavier Bertrand, Roseline Bachelot, Marysol Touraine) avant de se rétracter une fois entrés au ministère, eu égard notamment aux risques judiciaires liés à la jurisprudence du sang contaminé (leur responsabilité pénale peut être engagée).
Cette interdiction est héritée d’une circulaire de 1983, qui exclut tout homme ayant eu une relation sexuelle dans sa vie, car les statistiques indiquaient à l’époque une prévalence du SIDA chez les homosexuels. L’exclusion, réitérée en 2009 est justifiée par les autorités sanitaires par un risque d’être porteur du VIH 65 fois plus élevé chez les hommes homosexuels que chez les hétérosexuels. En outre, les contrôles ne sont pas infaillibles et le virus est indétectable pendant une dizaine de jours.
Il n’en demeure pas moins que c’est davantage les conduites à risque qui sont en cause que le simple fait d’avoir ou d’avoir eu une relation homosexuelle. Dans un rapport à l’attention de la ministre de la santé consacré à l’organisation de la filière sang, le député Olivier Véran estimait en 2013 que « l’erreur consiste à se limiter à la sexualité, alors même que c’est le comportement sexuel qui peut être à risque, quelle que soit l’orientation sexuelle par ailleurs ». C’est ce qui avait motivé l’ancien défenseur des droits, Dominique Baudis, à se prononcer en faveur du don du sang pour les homosexuels.
Plusieurs pays ont marqué leur volonté d’autoriser le don de sang par les homosexuels, comme le Royaume-Uni, le Canada ou l’Afrique du Sud. Toutefois, cette ouverture est très limitée, voire en trompe l’oeil : au Canada, il faut ne pas avoir eu de relations sexuelles avec un homme depuis cinq ans, il faut un an d’abstinence en Grande-Bretagne, et même cinq ans pour l’Afrique du Sud.
Si elle suit les conclusions de l’avocat général, la CJUE impulsera une inflexion européenne nette, qui peut-être incitera d’autres pays à suivre cette même voie.
Emmanuel Buttin
Pour en savoir plus :
-Le communiqué de presse portant sur les conclusions de l’avocat général : [FR] et [EN]
-Le rapport sur la filière du sang d’Olivier Véran : [FR]