Pourquoi la Commission ? D’abord, elle a concentré les critiques et l’impopularité et son efficacité et sa légitimité ont été mises en causes occultant ses mérites durant toute la crise, perdant de vue que ses pouvoirs ont été renforcés en matière économique et budgétaire. Les principaux enjeux politiques pour réformer la Commission sont faciles à appréhender au moment où commence un nouveau cycle politique avec l’élection du Parlement européen, une nouvelle Commission, un nouveau président du Conseil européen, un nouveau Haut représentant pour les relations extérieurs, un nouveau président pour la zone euro…
Dés lors il est naturel que resurgissent des débats sur les modifications des traités. Il est le fait pour l’essentiel de la société civile qui propose de lancer une « grande » Convention pour réviser les traités, c’est le cas par exemple de la Plateforme Europe+ qui vient de rassembler plusieurs ONG bien connues, des vétérans pour la plupart du militantisme européen. Tous souhaitent un grand débat sur le contenu de l’avenir européen, dans le cadre d’un processus ouvert promouvant démocratie directe et transparence. Il convient de saluer ces initiatives. Mais il convient aussi d’en souligner les limites et de s’interroger sur leur réalisme, pour ne pas parler de leur opportunité. Faut-il rappeler que les élections européennes ont été marquées par une poussée du vote eurosceptique, désormais bien identifiable ce qui cependant a eu le mérite de coaliser les forces pro européennes, largement majoritaires. Le pourcentage des citoyens européens qui ont pris part au vote stagne ((43,09 %) malgré une campagne qui sur la fin a essayé d’insuffler un nouvel intérêt pour les affaires européennes et les encourager à se déplacer pour voter. Cette tentative n’a pas été couronnée d’un franc succès.
La société civile le reconnait : les réseaux de militants doivent être consolidés, la mobilisation demeure un enjeu crucial pour assurer une plus forte pénétration à l’intérieur des Etats, assurer un plus grand rassemblement pour une plus grande visibilité. La société civile européenne reste encore trop faible et trop peu visible pour lui donner une valeur stratégique et l’engager dans la réforme des traités, une opération au demeurant trop abstraite pour la plupart des citoyens. Cette société civile d’avant-garde souhaite l’organisation d’une Convention sur l’avenir de l’Europe, une telle convention a déjà eu lieu de 2001 à 2003 et la société civile y a été formellement associée. Ce fut, il faut le reconnaitre, un échec pour la société civile et Jean-Luc Dehaene, en charge au cours de la Convention de la société civile, a multiplié les critiques sévères à son égard, notamment celles de « technocratique ». A sa suite le Parlement européen, comme chef de file, a organisé trois agora de la société civile : ce ne fut pas convainquant et surtout chacun de ces évènements est resté un « évènement » isolés et sans lendemain. Le fonctionnement de la société civile pour l’Europe est celui d’un oligopole. Enfin se lancer dans une réforme des traités, c’est du pain bénit pour David Cameron comme pour ses successeurs.
Tout cela doit faire réfléchir : la priorité n’est pas de se pencher sur le moteur du véhicule, mais sur le voyage, l’itinéraire et la destination. Trop de mécaniciens et pas assez de pilotes ou de navigateurs. Pourtant ces derniers ne manquent pas : récemment Antonio Vitorino avec Yves Bertoncini a produit un « Réformer la Commission entre efficacité et légitimité » (1) qui mérite une lecture attentive : avec concision et simplicité il est allé à l’essentiel. De longue date il développe une stratégie d’innovation et de sortie du marasme mais largement à Traités constants. Invoquer comme préalable la réforme des Traités revient à se créer un alibi pour ne rien faire, estime-t-il.
Antonio Vitorino fait un petit nombre de constats et retient un petit nombre de grands principes, en eux-mêmes, simples d’un simplicité biblique loin des sophistications des grands institutionnalistes de l’Europe, mais aux conséquences décisives
1.• Les membres de la Commission n’étant pas élus directement, la légitimité de la Commission est nécessairement double : elle repose sur le Conseil européen (un commissaire par État membre, tous dotés du même droit de vote à la différence des Conseils avec ses votes à la majorité pondérée) autant que sur le Parlement européen (dont les membres élisent le président de la Commission et investissent le collège).
• Une application effective du principe de collégialité est nécessaire afin de promouvoir une vision politique large : la taille du collège peut la rendre plus difficile, mais c’est le rôle du président d’oeuvrer en ce sens. Le fait d’avoir un commissaire par État est un fait négatif en soi (ce n’est plus un collège mais une assemblée délibérante diront certains) mais A. Vitorino s’il se résigne à voir ce principe perdurer en propose les antidotes notamment pour éviter d’en faire un Coreper de plus.
Un profil politique marqué des commissaires est déterminant pour le dynamisme de la Commission.
• Les pouvoirs du Parlement européen ont été renforcés par tous les traités successifs, et le Conseil européen est apparu plus légitime en période de crise. Il convient de faire remarquer au passage que les compétences en la matière n’étaient pas toutes inscrites dans le marbre des Traités, la dérive intergouvernementale dénoncée ici ou là en devenait inévitable sans être pour autant être une tendance profonde pour le long terme. En temps « normal », la Commission ne peut qu’être plus influente si elle est bien conduite, y compris grâce à un nouveau collège bénéficiant d’une légitimité renforcée.
2. La légitimité et l’efficacité de la Commission dépendent d’abord du profil de ses membres, dont la sélection revient aux États membres, sous le contrôle du Parlement européen et avec l’habileté et le savoir faire du Président de la Commission : c’est à eux de nommer les bons commissaires aux bons postes. Ces dernières semaines témoignent du rôle grandissant dans cet exercice du Président de la Commission qui n’a d’autres obligations que de prendre en considération les suggestions des Etats membres. Les péripéties de ces derniers jours tendent à démontrer que le temps où un Etat membre pouvait choisir et « nommer » « son » commissaire, au poste qu’il s’est attribué, ce temps est révolu.
• L’organisation interne plus verticale qu’il faut promouvoir au sein du collège devrait découler non seulement des pouvoirs du président en matière d’attributions des responsabilités entre ses membres, mais aussi d’un nouvel usage du statut des 6 vice-présidents, qu’il faut choisir en fonction de leurs poids politique, et de leurs mérites propres et non pour compenser l’étroitesse de leur portefeuille.
• Les président et vice-présidents de la Commission coordonneront l’action des autres commissaires, dont les portefeuilles seront connectés à leurs sept domaines de compétences respectifs, sur la base d’un système de « clusters ».
• Les périmètres et noms précis de ces 7 « clusters » peuvent varier (L’annexe 1 du policy paper de Notre Europe en donne la liste), mais l’enjeu clé est que ces clusters rassemblent des commissaires agissant en fonction des mêmes réalités fonctionnelles et au service des mêmes grands objectifs politiques.
• Le principe de collégialité sera pleinement appliqué et utilisé (discussions politiques ouvertes au lieu d’accords purement formels ou tacites où le respect des procédures l’emporte sur le débat de fond et où les votes sont rares et le consensus la règle dominante).
3. Une possible consolidation légale de ces évolutions fonctionnelles
• Le « règlement intérieur » de la Commission devrait être revu afin de faciliter la mise en place du système de clusters, par exemple en donnant des pouvoirs spécifiques aux vice-présidents et en revoyant les procédures d’habilitation et de délégation.
• Après avoir reçu le pouvoir de se séparer des membres du collège, le président de la Commission devrait être en mesure de nommer lui-même les commissaires : c’est un principe de cohérence. Cette modification des traités renforcerait la probabilité d’avoir les bons commissaires aux bons postes, et donnerait en outre davantage de pouvoirs verticaux au président de la Commission. Une telle évolution est logique, inévitable au terme d’un processus long et progressif comme l’a été la désignation du président de la Commission, mais il n’est pas pour aujourd’hui
A ce stade il apparait clairement que l’objectif premier de la Commission devrait être d’encourager une vision de la Commission qui soit plus politique et globale, plutôt qu’une vision technique et sectorielle comme celle qui a tendance à prévaloir et qui empêche la Commission de jouer le rôle clé qui devrait être le sien par rapport aux États membres et à leurs opinions publiques. Il faut ensuite encourager des évolutions politiques, certes significatives, mais surtout acceptables, pour toutes ces raisons la voie de la Convention n’est sans doute pas, pour l’instant, la voie la plus efficace.
Enfin bien que pas évoqués jusqu’à maintenant, il doit être admis au moins tacitement que la zone euro et l’espace Schengen, ces deux réalisations sont la clé de voûte de l’Union politique.
CONCLUSION
Au terme de la lecture du texte de « Notre Europe » on est tenté de s’interroger : « quoi !c’est tout ? » Oui, rien de plus pour l’essentiel. Certes tous ces changements humains, organisationnels et légaux seraient complétés par d’autres, en particulier en ce qui concerne la nature et le nombre des accords institutionnels conclus par la Commission et les autres institutions avec au premier plan, la négociation et l’adoption d’un accord interinstitutionnel sur le programme politique de la Commission pour la durée de son mandat (2014-2019). Cette simplicité et cette concision devrait rassurer.
Mais c’est au Conseil et au Parlement à faire preuve de sagesse pour que de bons commissaires soient nommés aux bons postes. Ce qui doit l’emporter c’est la capacité du commissaire de savoir s’appuyer sur l’apport politique inestimable et bien réel qu’apporte son appartenance au collège de la Commission européenne, savoir user de tous les pouvoirs de la Commission (et en particulier de son droit d’initiative) et, enfin, encourager une vision claire et globale des politiques de l’Union européenne et de son avenir. Les commissaires proposés par les États membres devraient également être choisis sur la base de leur contribution potentielle à l’intérêt général de l’Europe, plutôt que pour des raisons de politique intérieure. Au bout du compte c’est le président de la Commission qui est le mieux placé (sa légitimité vient d’être renforcée)pour évaluer les profils des commissaires potentiels répondant au mieux aux besoins concrets de l’institution et de son organisation interne.
Le président de la Commission en viendra, un jour, à nommer naturellement les commissaires et au sein de ce nouveau cadre légal, le président de la Commission pourrait nommer plus facilement les vice-présidents et les commissaires, comme dans n’importe quel gouvernement national. Le président devrait choisir les vice-présidents en respectant les équilibres politiques de l’UE (grands/plus petits États membres et nord/sud/est/ouest en particulier).Les États membres pourraient sans doute accepter une telle hiérarchie politique interne de facto, alors qu’ils sont peu disposés à accepter une hiérarchie de jure comme les négociations en cours et passées le démontrent bien.
Quoi qu’il en soit, même si elles ne sont pas révolutionnaires en ce qui concerne la nature des traités de l’UE et le jeu politique, les propositions fonctionnelles présentées par A. Vitorino et Y. Bertoncini semblent être les seules options possibles et efficaces qui soient susceptibles d’insuffler , immédiatement, à la Commission toute la force nouvelle requise pour contribuer à relever les défis auxquels l’Europe doit faire face aujourd’hui.
Henri-Pierre Legros
(1) « Réformer la Commission entre efficacité et légitimité » par Antonio Vitorino et Yves Bertoncini Notre Europe-Institut Jacques Delors http://www.notre-europe.eu/media/reformecommissioneuropeenne-bertoncini-vitorino-ne-ijd-juil14.pdf?pdf=ok