En place depuis l’adoption de la directive 2009/50/CE du Conseil, la Carte bleue européenne, copie —ou plutôt ersatz— de la green card américaine, a fait l’objet d’une communication de la Commission pour comprendre l’intérêt et les limites du dispositif. Les députés ont vivement réagi pour appeler à son évolution dans le cadre d’une politique migratoire européenne plus cohérente.
La Commission conclut à l’insuffisance du dispositif
Pour remédier aux pénuries sur le marché du travail et compenser le vieillissement, dans un contexte de concurrence des Etats développés pour attirer les migrants hautement qualifiés, l’UE a adopté une directive sur la carte bleue européenne pour faciliter l’admission de ces profils et de leur famille en harmonisant les conditions d’entrée et de résidence dans l’UE. Cette carte permet d’encourager une circulation temporaire pour éviter une fuite des cerveaux de pays en développement.
Transposé tardivement par de nombreux Etat, le dispositif n’est toutefois en vigueur pleinement que depuis quelques mois. Son implémentation est par ailleurs lente : seules 3 664 cartes bleues ont été octroyées, et 1 107 membres de leur famille ont été admis en 2012. Les chiffres sont particulièrement déséquilibrés puisque 2 584 cartes bleues ont été octroyées par l’Allemagne, 461 par l’Espagne, peu ou pas du tout pour les Pays-Bas, la Pologne ou la Belgique. En 2013, le dispositif est monté en puissance avec 15 261 cartes bleues, mais les déséquilibres sont toujours aussi marqués car l’Allemagne en a délivré 14 197, le Luxembourg 306 et la France 304.
Les migrants proviennent essentiellement d’Asie, et plus particulièrement d’Inde et de Chine. Ce sont surtout des jeunes (entre 25 ans et 35 ans). La carte bleue est valide selon les pays européens entre un an et cinq ans.
L’engouement limité s’explique par le cumul avec des dispositifs nationaux en faveur des migrants hautement qualifiés. Les Etats membres ciblent des groupes d’individus ou des secteurs en pénurie et mettent en place des procédures spécifiques et accélérées. Ces dispositifs nationaux ont une influence sur le nombre de cartes bleues européennes délivrées par certains Etats. Seuls l’Allemagne, le Luxembourg et la Roumanie se sont pleinement saisis de l’outil au dépend de leur instrument national. En outre, l’information donnée par les Etats aux migrants et employeurs potentiels pourrait être améliorée. Le manque d’implication des Etats se vérifie également par le peu d’empressement avec lequel ils ont communiqué les informations relatives à la carte bleue, rendant le rapport lacunaire. De plus, la Commission « s’inquiète des transpositions incorrectes, du faible niveau de cohérence, des droits limités et des obstacles à la mobilité intra-UE ».
La mise en oeuvre du dispositif dépend donc de la volonté des Etats, mais également de données objectives témoignant de l’attractivité des territoires, comme la taille du pays ou la situation du marché du travail.
En outre, la directive a été adoptée avant Lisbonne, alors que le domaine requérait l’unanimité du Conseil et que le PE n’était pas co-législateur. Des négociations difficiles ont amené à une directive a minima avec de nombreuses dispositions facultatives et de larges marges de manoeuvre pour les Etats.
La Commission ne propose pas encore d’amélioration —la directive étant appliquée depuis peu. Elle estime qu’il s’agit essentiellement pour elle de vérifier sa bonne application par les Etats.
Pour les eurodéputés, le dispositif doit évoluer
Les députés s’interrogent sur le faible engouement pour un dispositif pourtant négocié et accepté par tous. Pour Claude Moraes (S&D) le manque d’ambition explique des résultats « insignifiants ». A cela peuvent s’ajouter les politiques d’austérité qui réduisent le dynamisme du marché du travail, une information lacunaire fournie par les Etats membre dans les Etats tiers pour Jean Lambert (Vert), ou encore l’éparpillement des dispositifs et des politiques migratoires pour Marie-Christine Vergiat (GUE). Plus fondamentalement elle estime qu’on assiste à « une fuite des cerveaux africains vers le Canada et l’Australie car l’UE se ferme ».
Autre sujet : la reconnaissance des formation. Les résultats limités doivent être analysés à la lumière de la reconnaissance des diplômes par les Etats membres. Marju Lauristin (S&D) donne l’exemple de l’arrivée de citoyens ukrainiens au Portugal, lesquels sont hautement qualifiés, mais qui, n’étant pas reconnus, sont embauchés dans des secteurs où les qualifications ne sont pas nécessaires.
Certains députés s’inquiètent davantage d’un braindrain intra-Européen qui porte certains citoyens formés du Sud de l’Europe à se tourner vers l’Allemagne et le Royaume-Uni. Ana Gomes (S&D) souligne l’effet catastrophique pour le développement de ces pays, comme le Portugal. Juan Lopez Aguilar (S&D) s’interroge : la fuite des cerveaux de pays comme l’Espagne est-elle mesurée par la Commission ? Pour lui, cette donnée doit être prise en compte dans la réflexion sur la circulation des personnes hautement qualifiées. Pour Marju Lauristin (S&D), la Commission devrait s’interroger sur la pertinence d’un renforcement au moyen de ce dispositif de l’attractivité de pays qui ont besoin de ces « cerveaux » mais qui sont confrontés à un départ massif de personnels formés (comme par exemple les médecins Estoniens).
La Commission souligne que ce rapport est décevant tant dans le manque de coopération des Etats que dans les résultats obtenus. La déclaration du nouveau président de la Commission européenne selon laquelle il envisageait une révision de la directive peut être le moyen pour les parlementaires de creuser leur réflexion.
Emmanuel Buttin
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