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L’Europe des citoyens : la démocratie participative est-elle à même de sauver le « projet Europe » ? Interview avec Erminia Mazzoni, président sortant de la commission parlementaire PETI (FR)

 

ERMINIA MAZZONIBiographie

Erminia Mazzoni, née à Naples le 28 avril 1975, résident en Bénévent, est une politicienne   italienne élue au Parlement européen en 2009 avec le parti du Popolo della Libertà, membre du groupe politque PPE. Dans le cadre de son activité d’europarlamentire, E. Mazzoni a été président de la Commission des pétitions de 2009 à 2014 ainsi que membre de la Commission du développement régional et de la délégation pour les relations avec le Conseil législatif palestinien. Parmi le rapport dont elle a été le porte-parole, remarquable est celui concernant les effets des contraintes budgétaires sur les autorités régionales et locales dans le cadre des dépenses des fonds structurels de l’UE dans les États membres.

Le droit de pétition

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne fait de celui de pétition un des droits marquant la citoyenneté européenne. Plus précisément, l’article 227 du TFUE établit que « tout citoyen de l’Union, ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statuaire dans un Etat membre, a le droit de présenter, à titre individuel ou en association avec d’autres citoyens ou personnes, une pétition au Parlement européen sur un sujet relevant des domaines d’activité de l’Union et qui le ou la concerne directement ». La disposition du TFUE ci-dessus ainsi que le titre VIII du règlement du PE de juillet 2009 fournissent la base légale de l’activité de la Commission parlementaire des pétitions (PETI) et les conditions d’exercice du droit de pétition.

Athéna Eu-logos, acteur engagé dans la construction de l’espace public européen, interview Erminia Mazzoni, président sortant de la Commission PETI, pour mieux comprendre cet outil primordial de démocratie directe et participative.

Première partie_ Questions générales

1. Q: La commission PETI en vertu de ses compétences et de la qualité du travail accompli au cours des cinq dernières années a enrichi le sens de la démocratie ainsi que de la citoyenneté en Europe. Pouvez-vous nous expliquer quelles les compétences de la commission pour les pétitions et comment elle fonctionne?

Le bilan de ces cinq ans de présidence peut être considéré comme positif, marqué par beaucoup d’activité. La commission a vu ses pouvoirs être augmenté. Elle est mieux connue : sa réputation est plus grande, elle a amélioré sa communication et son information. Désormais elle peut revendiquer l’attention que son travail mérite de la part de la Commission européenne. Elle a marqué des victoires importantes. La confirmation est dans les chiffres.

La commission des pétitions est le vrai ciment entre les institutions et les citoyens. Elle n’a pas de fonctions législatives et son ordre du jour doit être déterminé sur la base des pétitions reçues. Elle peut traiter de toutes les questions relevant de la compétence de l’Union, comme indiqué dans l’art. 227 du TFUE. L’ampleur de cette définition n’aide pas. En effet, il n’est pas toujours facile de déterminer si une plainte relève de la compétence communautaire et cela allonge le temps de la déclaration de recevabilité. Une fois enregistrée la pétition est transmise à la Commission européenne et d’autres autorités compétentes, européennes, nationales ou locales, mises en cause par la plainte. Avec la documentation recueillie on crée un fichier sur lequel on ouvrira la discussion en commission en présence des pétitionnaires et des autorités concernées. La commission Pétitions a également des pouvoirs d’enquête et d’investigation et peut avec les questions et les résolutions impliquer l’ensemble du Parlement.

 2. Q: Quel est votre opinion sur le dialogue qui a eu lieu au cours des dernières années entre la commission PETI, les autres commission parlementaires, la Commission européenne et les autorités nationales de tout niveau? Estimez-vous que ce dialogue dans la prochaine législature doive adopter de nouveaux outils?

Je dirais que le « dialogue » formellement marche bien. Ce qui manque c’est la propension à «la coopération interinstitutionnelle. » Il faut qu’on change l’attitude vis-à-vis de la commission Pétitions, notamment à commencer par la Commission européenne. Aujourd’hui, la commission Pétitions a une double reconnaissance dans le traité: premièrement directement avec l’art. 227, et deuxièmement par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne définissant le droit de pétition comme l’un des cinq droits fondamentaux du citoyen européen. Le « ratio » d’une telle reconnaissance contraignante dérive de la fonction de construction démocratique reconnue au dialogue et que la commission PETI encourage. Plus que de nouveaux outils, la relation avec les autres institutions doit gagner une plus grande autorité. A titre d’exemple, au cours des dernières années j’ai exigé que la commission Pétitions participe aux auditions des commissaires au cours de la procédure de leur nomination, comme toutes les autres commissions législatives, et, également, que la commission ait un espace dans l’hémicycle lors des consultations sur le programme de la Commission européenne.

3. Q: Au cours des dernières années, en collaborant avec la Maison Blanche, le Bundestag allemand et le Parlement écossais, la commission PETI a conçu un nouveau portail Web multilingue visant à améliorer la communication avec le citoyen. Pouvez-vous expliquer et clarifier l’importance de ce projet?

L’utilisation de formes plus modernes de lien avec les citoyens était primordiale. En raison des compétences particulières de cette commission, la communication doit être à même de garantir des temps de réponse courts, des systèmes d’information faciles, des outils de diffusion efficaces. La collaboration avec d’autres parlements nous a permis dans ce domaine particulier d’acquérir une expérience déjà rodée. Sur l’informatisation complète des procédures j’ai investi conjointement avec le Secrétariat depuis les premiers jours de mon mandat, avec l’appui du Secrétariat général du Parlement. Au sein du Secrétariat la structure « communication » a été temporairement renforcée afin d’accomplir ce projet ambitieux. Nous l’avons fait. Il a déjà commencé la première phase expérimentale du nouveau portail web. Au mois d’octobre, après la vérification et la réalisation des changements nécessaires, le système sera pleinement opérationnel pour la nouvelle législature.

4. Q: En 2013, la commission a reçu 2885 pétitions, plus de 45% par rapport à l’année précédente, et a accumulé des retards importants dans le traitement des pétitions. Comment pensez-vous pourraient être améliorés la procédure pour les pétitions et le traitement des plaintes?

Le portail web, je pense, constitue déjà une réponse. En outre, la commission avec son secrétariat a élaboré des lignes directrices pour aménager certains problèmes principalement liés à l’excès de bureaucratie accompagnant l’ensemble de la procédure, de la réception d’une pétition jusqu’à sa clôture Le problème existe, mais il ne peut pas être représenté seulement avec les données de la dernière année.

Les retards entre la fin de 2013 et le début du 2014 sont, en effet, amplement justifiés. En mai de l’année dernière a été lancé le nouveau chantier des initiatives législatives citoyennes qui engage la commission pour les pétitions; l’apparition d’urgences économiques et environnementales dans certains pays ont imposé un plus grand engagement de la commission dans son travail d’enquête dans les territoires concernés. La meilleure diffusion de l’information a conduit au fait qu’un plus grand nombre de citoyens demande l’intervention de la commission; finalement, les rotations cycliques du personnel et les relatives vacances, ainsi que la fin imminente de la législature ont ralenti à la fois la partie administration et celle politique.

Je suis sûr que si les prochains membres de la commission s’inspirent du vadémécum que nous avons préparé, les choses marcheront sûrement mieux.

5. Q: Dans votre dialogue avec la Commission européenne, parfois cette dernière a montré un certain immobilisme vis-à-vis des sujets soulevés par les plaintes, de l’entêtement et une interprétation trop restrictive des droits fondamentaux des citoyens de l’UE, peut-être même en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de Justice. Quelle est votre opinion à cet égard?

Temps de réponse trop longs, manque de transparence, une rigidité excessive dans l’interprétation des normes, réticence au dialogue avec les citoyens. Tout cela a été noté !

Je l’ai dit à plusieurs reprises, au cours de ma présidence, qu’une telle attitude ne répond pas aux exigences des traités.

Concernant ce point, j’ai commencé des négociations informelles pour changer l’attitude de la Commission européenne visant à apposer le secret aux procédures d’infraction. Les citoyens ont le droit de connaître les faits, surtout quand ils sont si graves qu’ils ont conduit à la mise en place de cette procédure.

Au cours des dernières années, nous avons fait des petits pas en avant.

Seconde partie_ Dossiers

1. Q : À la lumière des résultats des élections européennes et du succès des partis anti-européens, vous ne croyez pas que pendant ces dernières années on a sous-estimé les risques politiques et sociaux de l’austérité? Quel est le rôle et l’avenir des instances de démocratie directe en tant qu’antidote à l’euroscepticisme? Enfin, quelles sont, à votre avis, les priorités de la politique économique de la future Commission européenne ?

L’austérité a été une réaction instinctuelle, un soin d’impact choisi par les Etats « diligents » de la zone euro. Pendant les semaines où le spread entre les obligations italiennes et celles allemandes a atteint des niveaux records, ou quand les nouvelles concernant des possibles liquidations bancaires se succédaient, l’austérité est apparue à plusieurs comme le seul remède possible. Les effets dévastateurs de ces mesures ne se manifestent qu’aujourd’hui. Pendant plusieurs semaines oui, les effets de l’austérité n’ont pas seulement été sous-estimés, ils n’ont pas été pris en considération. Pourtant, les résultats des élections du 25 mai montrent un esprit diffèrent. La montée en puissance de l’Ukip au Royaume-Uni et du Front National en France peut être partiellement liée à la crise économique. En ce qui concerne la victoire de Wilders au Pays Bas où l’émergence des parties néo nationalistes dans les pays scandinaves, où la crise a entrainé des effets négligeables, il s’agit plutôt du fait que la dialectique européennes ne « réchauffe » plus. Il est primordial de relancer l’économie, surtout pour faire face à des réalités comme celle que connait l’Italie. Il est donc nécessaire que, après la monnaie unique, on procède maintenant vers une union bancaire et monétaire réelles et fonctionnant pleinement . En même temps il faut rapprocher l’exercice de la citoyenneté de ses valeurs de liberté, démocratie, tolérance et pluralisme.

2. Q: La position adoptée par la commission PETI sur le rapport 2013 concernant la citoyenneté de l’Union dénonce que l’insuffisance de transparence du processus décisionnel au sain de l’Union et, plus généralement, une communication non-satisfaisante entre les institutions et les citoyens limitent la possibilité de construire une espace public européen et transnational. Quelle est votre opinion à ce sujet? Qu’est- ce qu’il faudrait faire?

Rapprocher les citoyens à l’Union européenne peut sembler un travail titanesque. La réalité est qu’il serait suffisant de changer la façon de parler de l’Europe. Il s’agit du passage d’un langage tel que «L’Europe nous dit … » à un autre comme «l’Europe nous permet de.. » ou encore « Nous sommes en Europe pour … ». Nous avons oublié le projet fondamental de l’Union ainsi que le désir de construire. Il faut qu’on commence à partir d’ici à rapprocher les gens de Bruxelles et de Strasbourg.

 3. Q : La commission PETI pendant les cinq dernières années s’est imposée comme un acteur clé dans l’élaboration d’un cadre juridique adéquat visant à garantir les droits des personnes handicapées et l’application de la convention des Nations unies . Pouvez-vous expliquer les contenus des pétitions que vous avez reçus dans ce contexte, les mesures prises par votre commission et les mesures qui pourraient être mises en place au niveau européen?

Relativement aux personnes handicapées, malheureusement l’Italie a enregistré par rapport aux autres Etats membres des niveaux excessifs d’inégalité. Exemplaire a été la pétition envoyée au Parlement européen par un citoyen italien, Lorenzo Torto, qui dénonce le non-respect du droit au travail pour les citoyens handicapés. Dans notre pays, 80% des personnes handicapées n’arrivent pas à trouver du travail et les entreprises se contentent de payer des amendes dérisoires pour se soustraire à l’obligation d’emploi des personnes handicapées. Après avoir écouté la plainte du requérant (dans ce cas, un seul citoyen), nous avons demandé et obtenu l’accélération de l’intervention de la Cour de justice de l’UE. Cette dernière a ouvert la procédure d’infraction contre l’Italie en 2006 pour ses lois « non-organiques et insuffisantes. » En vertu de l’intervention de la commission PETI et la menace d’une autre procédure d’infraction, le gouvernement italien devrait procéder à une révision de la législation nationale.

4. Q : En 2012 votre commission a reçu la pétition contre l’accord ACTA, soutenue par 2,8 millions de signataires, qui dénonçait les atteintes à la liberté d’expression et la protection des données personnelles contenues dans cet accord ainsi que la façon opaque avec laquelle la Commission avait conduit les négociations. Par la suite, l’accord ACTA a été rejeté en séance plénière en Juillet 2013. Pensez-vous que les négociations en cours sur l’accord TTIP sont susceptibles de produire des résultats similaires et quelle est votre position à cet égard?

Relativement au Traité sur la zone de libre-échange avec les Etats-Unis il y a des opinions divergentes. La valeur économique d’un tel accord est indéniable. Un rejet total serait un boomerang pour notre économie en difficulté. Il reste, cependant, certains points obscurs qu’il faudrait clarifier, dont beaucoup risque de rouvrir des questions liées à l’ACTA, et pas seulement.

5. Q: En ce qui concerne le domaine de la protection de l’environnement et de la santé publique, pendant les cinq dernières années vous avez abordé des cas exemplaires, de la mauvaise gestion du cycle des déchets dans le Latium et la Campanie, d’aciéries à Tarente jusqu’au projet d’un nouvel aéroport près de Nantes. Pouvez-vous expliquer certains cas et les mesures prises par la commission PETI? Vous ne croyez pas qu’une interprétation on pourrait qualifier de « inverse » du principe de subsidiarité pourrait promouvoir la protection de la santé publique et approfondir le rôle de la Commission européenne dans ce domaine? Estimez-vous que le cadre juridique européen sur la protection de l’environnement doive être révisé?

Les cas cités par vous sont sans doute parmi les plus importants que nous avons abordés au fil des dernières années. La gravité des situations faisant objets des plaintes a conduit la commission PETI à faire recours à tous les instruments prévus: note d’information à la Commission européenne, incitation aux autorités nationales et locales à coopérer, mission d’enquête- pour les déchets en Latium et Campanie-, questions à la Commission européenne -pour l’ILVA de Tarente, résolution au Parlement européen- déchets en Campanie et affaire ILVA, débat entre les signataires des pétitions et les autorités nationales responsables- affaire déchets dans le Latium et Campanie.

En ce qui concerne le principe de subsidiarité, il serait nécessaire de modifier les traités. Cela impliquerait une limitation de la souveraineté nationale. Au contraire, je proposerais, comme d’ailleurs je l’ai fait, une réaction aux situations nationales de manquement au droit communautaire plus collaborative et moins punitive. Les sanctions que la Commission applique pénalisent les citoyens doublement et n’accélèrent pas nécessairement le temps de résolution des situations critiques.

Je ne pense pas que le cadre juridique européen relevant en la matière nécessite de mesures supplémentaires au-delà de celles déjà adoptées par ce Parlement, avec d’ailleurs la participation de la commission PETI, concernant les procédures de VIA.

(Alberto Prioli)

 En savoir plus :

-.  Erminia Mazzoni, deputée du Parlement européen 2009-2014 : FR

-. Erminia Mazzoni, page web personnelle : ITA

-. Commission Péti : FR

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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