C’est une longue, très longue, affaire qui remonte, pour le moins à 2005 date de la première condamnation, condamnation suivie d’un « sursis » qui expirait le 23 novembre 2013. Le délai a donc largement expiré. L’arrêt vient donc de tomber, sans pour autant être nécessairement la fin de l’histoire (cf. infra « Pour en savoir plus ») Chacun sait que les relations ne sont pas bonnes, les tensions ont connu leur exaspération la plus forte avec la conférence de Brighton. Depuis chacun vit dans une sorte d’armistice armée. Cependant cet arrêt s’inscrit aujourd’hui dans un contexte politique fort différend par rapport au passé.
Le Royaume-Uni de David Cameron ne perd pas (en cette matière comme en beaucoup d’autres) une occasion pour critiquer une juridiction qui porte, selon elle, une atteinte intolérable à la souveraineté d’un Etat qui se considère comme un modèle en matière de protection des droits de l’homme. Et la stigmatisation de la Cour est un moyen facile de donner satisfaction aux plus eurosceptiques de l’électorat britannique, satisfaction d’ailleurs purement rhétorique. L’arrêt Firth et a. c. Royaume-Uni rendu le 12 août 2014 marque un nouvel épisode du conflit, qui marque en quelque sorte le passage d’une guerre de mouvement à une guerre de positions comme l’ont fait observer bien des observateurs.
Une dizaine de personnes, détenues dans les prisons britanniques ont été dans l’incapacité de voter aux élections européennes du 4 juin 2009. Le droit anglais considère en effet, depuis un texte de 1870, que toute personne effectuant une peine de prison est privée de son droit de vote. La privation des droits civiques serait une peine distincte de l’emprisonnement dont elle n’est qu’une conséquence matérielle. Pour la Cour au contraire, la privation du droit de vote ne saurait s’appliquer de manière automatique « quelle que soit la durée de la peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction commise ». Elle doit donc être prononcée par un juge. La Cour en déduit qu’en introduisant une discrimination entre les titulaires du droit de vote, le droit anglais viole l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit à des élections libres.
La décision Firth et a. est la troisième condamnation du Royaume-Uni pour cette pratique. La première était la décision Hirst du 6 octobre 2005. A l’époque, l’arrêt avait permis de lancer au Royaume Uni une véritable campagne contre la Cour européenne. Celle-ci n’avait elle pas osé protéger le droit de vote d’un requérant condamné pour avoir tué sa propriétaire à coup de hache ? Certains journaux britanniques montraient ainsi des photos du « tueur à la hache » fêtant la victoire du fond de sa prison, avec Champagne et cannabis.
Le droit britannique n’ayant pas été modifié, la Cour, cinq ans plus tard, a utilisé la procédure de l’arrêt pilote pour prononcer une nouvelle condamnation, avec sa décision Greens and M.T. c. Royaume-Uni du 23 novembre 2010. Aux termes de l’article 61 du règlement de la Cour, celle-ci peut prendre une telle décision lorsque les faits à l’origine de la requête révèlent, dans le droit de l’Etat partie un « problème structurel ou systématique ou un autre dysfonctionnement similaire qui a donné lieu ou est susceptible de donner lieu à d’autres requêtes analogues ». La Cour donnait donc au Royaume-Uni un délai de six mois pour modifier sa législation.
L’arrêt Firth devait donc, logiquement, constater que le Royaume-Uni avait refusé de se plier aux exigences du droit européen, le délai de six ayant expiré depuis bien longtemps. On pouvait donc s’attendre à une condamnation très sévère. Or cette sévérité attendue n’est pas totalement au rendez-vous, font observer certains juristes. Certes, une nouvelle condamnation intervient, mais aucune « satisfaction équitable » n’est accordée aux plaignants, c’est-à-dire aucune réparation pécuniaire. Comme dans les affaires précédentes, la Cour se borne à affirmer que le constat de la violation est bien suffisant pour le dommage moral causé aux détenus. Elle refuse de même le remboursement des frais et dépens, la requête étant d’un contenu très simple, ne nécessitant aucune assistance juridique particulière. Il suffit en effet de démontrer que l’on est détenu à la date des élections et que l’on est dans l’impossibilité d’exercer son droit de vote.
Pourquoi cette mansuétude apparente à l’égard d’un Etat partie qui semble afficher un réel mépris à l’égard des décisions de la Cour ? Tout simplement, parce que les relations entre la Cour et le Royaume-Uni sont désormais dans une guerre de positions, durant laquelle des négociations peuvent intervenir, négociations feutrées, en demi teinte certes, mais négociations tout de même. Y aurait-il aussi une volonté de sortir discrètement de la crise en tout cas certainement le souci de ne pas envenimer la situation. Une trêve ?
Mais il est toujours utile de rappeler que la jurisprudence de la Cour, retient que les Etats conservent une large autonomie dans ce domaine. Rien ne leur interdit en effet de prévoir assez largement l’interdiction du droit de vote des personnes détenues, dès lors que la décision est prise par un juge et fait l’objet d’une décision prise après appréciation de la situation individuelle de l’intéressé.
C’est sans doute du côté du Royaume-Uni que les concessions sont les plus visibles. En décembre 2013, une commission parlementaire britannique chargée de réfléchir sur une loi relative au droit de vote des prisonniers a rendu un rapport dont le contenu marque un progrès vers le respect des exigences de la Cour européenne. Il recommande le vote d’une loi durant la session parlementaire 2014-2015 et suggère d’autoriser à voter les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an. Quant aux autres, ils pourraient se réinscrire sur les listes électorales six mois avant la date prévue de leur mise en liberté. Reste à savoir si ces propositions suffiront à satisfaire la Cour européenne, l’intervention d’un juge n’étant pas spécifiquement prévue par le rapport.
Est-on en présence d’une stratégie de sortie de crise ? C’est difficile à dire face à une évolution aussi modeste et c’est d’autant peu probable que les relations entre la Cour et le Royaume-Uni vont continuer à reposer largement sur des considérations politiques, électorales pour tout dire. Et les élections générales britanniques doivent intervenir, au plus tard, en mai 2015, précisément à la fin de la session parlementaire durant laquelle la loi sur le droit de vote des détenus devrait être débattue. Il a beaucoup de chance pour que, une fois de plus, elle soit la victime de ce climat dominé outrageusement par les outrances des eurosceptiques.
Henri-Pierre Legros
Pour en savoir plus :
-. Article de Nea say sur le vote des détenus du 12.12. 2012 : un sursis accordé au Royaume-Uni http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2673&nea=128&lang=fra&lst=0
-. Dossier de Nea say sur la CEDH et le Royaume-Unihttp://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3222&nea=148&lang=fra&arch=0&term=0
-. Dossier Nea say Conseil de l’Europe et Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3222&nea=148&lang=fra&arch=0&term=0
-. Déclaration de Brighton sur l’avenir de la CEDH (FR) https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=BrightonDeclaration&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=C3C3C3&BackColorIntranet=EDB021&BackColorLogged=F5D383 (EN) https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=BrightonDeclaration&Language=lanEnglish&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=C3C3C3&BackColorIntranet=EDB021&BackColorLogged=F5D383
-. Communiqué de presse de la CEDH (FR) http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng-press/pages/search.aspx?i=003-4842347-5910104#{« itemid »:[« 003-4842347-5910104 »]}
-.Texte de l’arrêt (EN) http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-146101#{« itemid »:[« 001-146101 »]}