Elle inquiète et intrigue, déroute et surprend. Pourtant un rapide retour en arrière, au mois de juillet dernier, nous apprend que Jean-Claude Juncker avait quasiment tout annoncé. Première véritable rupture depuis 1958 Pas moins, pour le meilleur et le pire.
Les députés s’interrogent d’abord sur la structure et la répartition des compétences entre les 27 futurs commissaires, qu’ils doivent auditionner à partir du 29 septembre. Ils devront poser les bonnes questions et obtenir des réponses claires, engageantes en adéquation avec la nouvelle nature politique de la Commission. Incontestablement ce sera une épreuve mais ces auditions n’ont jamais été un long fleuve tranquille. Les députés comme les commissaires devront être plus politiques qu’ils ne le sont habituellement. C’est ce que les citoyens attendent.
De part et d’autre les préparatifs ont été soignés : beaucoup de papier a été échangé, des centaines de pages. Des préparatifs soignés qui font naître une inquiétude : ces lettres de mission adressées aux commissaires, ces questionnaires écrits auxquels ils ont déjà répondu avec application, ne constituent-ils pas une riche matière pour des étudiants en doctorat ou en master et pas pour des citoyens fussent-ils des citoyens avertis ? En d’autres termes : le débat démocratique sera-t-il au rendez-vous ? Les eurodéputés s’inquiètent principalement de la nouvelle structure proposée par la Commission Juncker. Beaucoup de personnes nommées à contre-emploi, c’est tactiquement habile, mais stratégiquement c’est la marque d’une audace dangereuse : çà passe ou çà casse ! Les eurodéputés espèrent obtenir des réponses quant à la coordination pratique du travail entre les vice-présidents et les commissaires. L’enchevêtrement des compétences entre les portefeuilles et la redistribution des domaines politiques au sein des directions générales, le manque de clarté sur la hiérarchie entre le président, les vice-présidents et les autres commissaires perturbent les anciens sans rassurer les nouveaux, désormais aussi néophytes que les anciens. Autre source de préoccupations quels sont les priorités que les commissaires entendent poursuivre au cours de leur mandat, un mandat de cinq ans ? Une éternité face à des bouleversements attendus et de façon aussi rapide qu’imprévisibles, des bouleversements multiples également.
Les auditions ne sont pas une promenade de santé : l es commissaires désignés doivent prouver qu’ils sont compétents, mais aussi indépendants pour le rôle auquel ils sont assignés comme ils en prêtent le serment devant la Cour de Justice au moment de leur entrée en fonction. Indépendants et respectueux des traités. Espérons qu’ils ont le sens du bien commun pour l’Europe. Des compromis politiques peuvent-ils rendre des candidats suspectés intouchables ? Rien n’est moins sûr et le passé qui est dans toutes les mémoires en atteste fortement.
Les candidats sauront-ils convaincre les députés sur la façon avec laquelle ils comptent mettre en œuvre les promesses de leur président (par ailleurs confronté à une longue liste de doléances) au cours de la campagne, une campagne qui a démarré tardivement, mais qui sur la fin a su attirer une certaine attention. C’est encourageant a-t-on dit alors. N’oublions pas que Jean-Claude Juncker a été élu par le Parlement européen sur la base de son programme politique. Il a fait des promesses ambitieuses dans son programme : un nouveau départ pour l’Europe, visant à relancer l’économie, à créer des emplois et à lutter contre le chômage des jeunes. Pour s’en tenir aux promesses les plus fortes. Réconcilier les citoyens avec l’Europe, plus de transparence et de proximité avec les citoyens et leurs préoccupations concrètes de la vie de tous les jours. Des préoccupations d’ordre sociétal s’inviteront inévitablement dans le débat avec leur lot d’émotions, d’excès, de passion. C’est légitime : la personne humaine est au centre de la construction européenne et naturellement le respect des droits fondamentaux a été promu au premier rang des priorités, au travers de son premier Vice-président Frans Timmermans qui en a la charge. Lutter contre les inégalités et les discriminations , nombreuses, c’est l’ardente obligation pour la nouvelle Commission.
En indiquant à ses nouveaux commissaires, dans des lettres de mission précises, que l’Europe compte un 29ème Etat membre, celui des 25 millions de chômeurs, qui doit mobiliser toute leur énergie et occuper tous leurs travaux, il confirme sa priorité : relancer l’économie européenne. Pour y parvenir il bouscule tous les codes, à l’honneur jusqu’à aujourd’hui. Cela se justifie au regard de l’ampleur du défi, l’heure n’est plus aux mesures tatillonnes : le Collège des commissaires doit se consacrer à l’essentiel et délaisser l’accessoire. Selon les traités, la Commission est composée de personnalités de haut niveau, au service exclusif de l’intérêt commun et non des représentants des Etats. Il est grand temps de le rappeler.
Reste à réussir les changements, que Jean-Claude Juncker souhaite, à juste titre, introduire dans les pratiques bruxelloises, ce qu’il appelle la nouvelle méthode de travail. Pour lui, les commissaires sont des responsables politiques et non administratifs, qui doivent travailler en équipe et s’exprimer d’une seule voix, mobilisés sur des priorités ratifiées par le Parlement européen et en accord avec celles du Conseil européen (Chefs d’Etat et de gouvernement). La communication de la Commission devra être profondément réformée et démontrer que la Commission n’est pas un organe punitif, arrogant, incompréhensible.
Ces vrais changements traduisent l’urgente nécessité d’un sursaut à la hauteur des menaces qui pèsent sur le projet européen. On espère maintenant que tout le monde jouera le jeu et assumera ses responsabilités.
Un patron, une équipe de choc, avons-nous lu ici et là! disons plus simplement : des gens d’expérience et compétents. La Commission a désormais un patron, a-t-on répété, si cela se vérifie c’est une bonne nouvelle pour un nouveau départ. Un saut historique ont osé certains. Un nouveau modèle d’organisation qui rend les commissaires mutuellement dépendants les uns des autres.
« Cette fois-ci, c’est différent » était le slogan choisi par le Parlement européen pour la campagne des élections, espérons que le slogan tiendra toujours lorsque dans 100 jours nous ferons le point et Eulogos le fera à sa façon et avec ses moyens. Espérons que cette nouvelle Commission redonnera aux européens le goût de l’avenir
Dans ce numéro, les lecteurs trouveront les informations de base pour suivre les auditions et comprendre comment la Commission est élue, élue par des députés que nous avons élus. Une équipe de six personnes suivra ces auditions et vous en dra compte dans les meilleurs délais. 100 jours plus tard elle viendra faire le point.