La commissaire-désignée par M. Juncker pour être en charge de l’Emploi, des Affaires sociales, des Compétences et de la Mobilité professionnelle dans la nouvelle Commission, Marianne Thyssen (belge, membre du CD&V parti affilié au PPE) a été auditionnée par les comités Emploi et affaires sociales, Culture et éducation et Droits des Femmes et égalité des genres du Parlement européen le 1er octobre.
Mme Thyssen a commencé par décrire la situation « inacceptable » dans laquelle se trouve l’UE avec ses 26 millions de chômeurs et ses 7,5 millions de 15-24 ans qui n’ont ni emploi ni formation en cours. Elle a défendu les politiques d’austérité à l’œuvre dans les Etats membres et exprimé son souhait « de passer à la vitesse supérieure » en matière de gouvernance économique. Toujours dans cette allocution, elle s’est présentée comme « une partisane de l’économie sociale de marché ou responsabilité et solidarité vont de paire ». C’est pourquoi « il n’y a pas à choisir entre compétitivité et équité sociale, ce sont deux face d’une même économie sociale de marché compétitive et solidaire ».
Elle se fixe comme objectifs de contribuer à un retour à l’emploi pour les chômeurs, de lutter contre l’exclusion et la pauvreté, de faire en sorte que soient prises en compte les conséquences sociales dans toutes les politiques de l’Union et, dans le domaine de la lutte contre les discriminations, elle a appelé à un égal accès au marché du travail pour les hommes et les femmes et à lutter contre les discriminations à l’égard des handicapés.
D’où quatre priorités pour son action en tant que commissaire dans les cinq prochaines années : la création d’emploi (les emplois détruits par la crise se comptent par millions et les entreprises en général, les PME en particulier, ont besoin de conditions favorables pour développer leurs activités), l’accès à l’emploi (un chômage massif, main d’œuvre vieillissante, problèmes de qualification, instabilité de l’emploi, chômage de longue durée et promotion de la mobilité sont autant de défis à relever), les compétences et les qualifications de la main d’œuvre (la compétitivité dépendant directement du niveau de compétence de la main d’œuvre) et la protection sociale (la crise a conduit à augmenter la pauvreté et l’exclusion, les systèmes de protection sociale doivent être mieux orientés).
Pour réaliser ces objectifs, elle entend s’appuyer, au niveau financier, sur le plan de 300 milliards d’euros annoncés par M. Juncker en vue de stimuler les investissements pour créer de l’emploi, sur le fonds d’adaptation à la mondialisation, sur le fonds social européen, sur le fonds européen d’aide aux plus démunis et mieux appliquer la garantie jeune.
L’emploi dans l’UE, un sujet largement abordé lors de l’audition
Au cœur du portefeuille et des préoccupations de Mme Thyssen se trouve la question de l’emploi. Elle a insisté pour dire que la résorption du chômage dans l’Union passait par un travail du côté de l’offre et de la demande. C’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait, d’une part, des créations d’emploi et, d’autre part, une main d’œuvre performante ce qui implique notamment un travail sur les qualifications et compétences de cette main d’œuvre.
Les pistes à explorer pour stimuler la croissance se situent selon Mme Thyssen dans des domaines comme la recherche, l’allègement des obstacles juridiques et administratifs à la création d’entreprises ou encore le développement de marché des capitaux pour réduire la dépendance des entreprises aux banques dans leur volonté d’investissements. Mme Thyssen a parlé à plusieurs reprises de la nécessité d’instaurer dans l’UE « un climat propice aux investissements », c’est-à-dire donner envie aux entreprises de se développer, de grandir et de recruter. Ceci est d’autant plus important que compte tenu de la situation des finances publiques dans la plupart des Etats de l’UE, c’est du secteur privé que viendront les créations d’emploi tant recherchées.
Un secteur qui pourrait être particulièrement porteur est celui des emplois verts qui doivent faire l’objet de « toute notre attention » a affirmé la candidate au poste de commissaire. Cela signifie qu’il faut être plus économes en matière d’énergie, se préparer aux nouveaux secteurs qui vont se développer (notamment préparer les jeunes qui seront les principaux concernés) et soutenir les PME vertes et l’économie circulaire.
Soucieuse d’améliorer l’adéquation entre les postes vacants (estimés à 2 millions dans l’UE) et les recherches d’emploi, Mme Thyssen a insisté sur les vertus de la mobilité au sein de l’Union et des dispositifs d’apprentissage. Elle a d’ailleurs salué la décision de faire passer les unités de la Commission en charge de l’apprentissage et de la formation professionnelle de la DG Education à la DG Emploi ce qui permettra, d’après elle, de mieux concilier formation et emploi.
La formation professionnelle apparaît bien comme un outil efficace face au chômage, ce sur quoi les députés et la future commissaire se sont accordés. Pour stimuler ces dispositifs, Mme Thyssen a indiqué qu’il était difficile juridiquement de contraindre les Etats membres mais elle a mis en avant les vertus des échanges et du dialogue entre les Etats précisant qu’il est possible pour les institutions de l’UE de les aider à coopérer, à rassembler des données, notamment statistiques, pour être le mieux informé possible et donc dégager les bonnes pratiques.
Mme Thyssen a insisté sur les jeunes qui doivent être une priorité de l’action de la Commission sur les cinq prochaines années et des moyens sont prévus dans le cadre financier pluriannuel pour réaliser des projets. Il faut obtenir des résultats au risque de « perdre la confiance d’une génération entière » et de voir « toute une génération avec des jeunes au chômage qui ne pourraient se lancer sur le marché du travail » Elle préconise une action conjointe des Etats membres et de l’Union pour contrecarrer le chômage massif des jeunes dans l’UE (le taux de chômage moyen pour cette catégorie de la population dans l’UE s’établit à 22% en juillet 2014, taux qui monte jusqu’à 50% dans certains pays).
Réévaluation de la directive sur les travailleurs détachés
Inquiets de la concurrence par le bas qu’elle est susceptible d’engendrer plusieurs eurodéputés ont interrogé Mme Thyssen sur la directive sur les travailleurs détachés. Ils ont rappelé l’engagement pris par M. Juncker d’analyser les faiblesses de cette directive. Se montrant légèrement plus évasive que le futur président de la Commission, Marianne Thyssen a répondu qu’elle avait bien conscience de la sensibilité de cette question qui a d’ailleurs fait l’objet de nombreux débats au Parlement européen. Elle entend se pencher sur la réalité de l’application de cette directive, ses effets au quotidien, évaluer les problèmes qu’elle pose, dialoguer avec les parties prenantes et si besoin la réviser mais sans remettre en cause la possibilité du détachement.
Une plus grande place pour les indicateurs sociaux lors des semestres européens
Le portefeuille de Mme Thyssen sera teinté d’une forte dimension sociale et les questions des eurodéputés présents à l’audition n’ont pas manquées sur cet aspect.
L’un des axes marquant de la prochaine commissaire à l’Emploi, aux affaires sociales, aux compétences et à la mobilité professionnelle ici est sa volonté de voir les questions sociales davantage traitées lors des semestres européens, notamment en vue d’essayer de se rapprocher des objectifs de la stratégie Europe2020. En conséquence, les futurs commissaires ont prévu que les indicateurs sociaux auront plus de poids dans les recommandations par pays et que les parlements nationaux ainsi que les partenaires sociaux seraient plus impliqués au cours de ces réunions. Mme Thyssen a d’ailleurs longuement valorisé le dialogue social au détour d’une autre question ; présentant les partenaires sociaux comme « un bien dans notre société », elle s’est engagée à travailler avec M. Dombrovskis (futur Vice-président en charge de l’Euro et du dialogue social) et a regretté le fait que la crise rende difficile la recherche de compromis.
Devant les craintes de certains députés de voir les indicateurs économiques de nouveau l’emporter, elle s’est engagée à ce que, si de nouveau un Etat devait avoir besoin d’un programme macroéconomique pour faire face à des difficultés sur le marché de la dette, des indices sociaux soient intégrés dans les plans.
Questionnée sur le TTIP et les craintes qu’il suscite sur les normes sociales, Mme Thyssen a rappelé que la négociation de ce traité relevait de la compétence de Mme Malmström mais que la ligne de la Commission était claire : il n’est pas question de conclure un accord dans lequel les normes seraient revues à la baisse pour attirer les investisseurs mais que l’objectif est plutôt de rehausser certaines normes au niveau mondial et notamment de pousser les Etats-Unis à ratifier certaines conventions de l’Organisation internationale du travail.
Elle s’est aussi prononcée en faveur d’un revenu minimum de garantie pour les citoyens sans emploi et de l’instauration d’un salaire minimum dans tous les Etats membres. Cependant, juridiquement, l’Union n’a pas la compétence pour imposer ces types de revenus mais peut, comme l’a signalé Mme Thyssen, inviter les Etats membres à le faire.
Cet échange a aussi été l’occasion de remettre une nouvelle fois en cause les politiques de rigueur adoptées par de nombreux Etats membres depuis quelques années, notamment sur recommandations de la Commission, et leurs répercussions sociales jugées « catastrophiques » par certains eurodéputés : régressions du droit du travail, de la protection sociale, hausse du chômage, éloignement des objectifs d’Europe2020, hausse de la pauvreté (à titre d’illustration, 27% des enfants européens en 2011 étaient considérés comme menacés par la pauvreté et l’exclusion sociale),… Mme Thyssen s’est dite « consciente » que certains Etats membres ont énormément souffert de la crise. Cependant, elle a défendu le caractère indispensable de telles politiques : il était à ses yeux nécessaire d’arrêter les politiques qui conduisaient à plus d’endettement et il faut dorénavant trouver d’autres moyens de générer de la croissance et arrêter de creuser les dettes. A ce titre, elle ne souhaite pas revenir sur le 6-pack. Elle a aussi souhaité atténué la responsabilité des institutions européennes argumentant que dans certains Etats les problèmes d’endettement publics étaient antérieurs à la crise et que si l’Union a pu prendre des mesures critiquables au cours de la crise, il ne faut pas oublier qu’elles ont du être prises dans l’urgence ce qui affecte la qualité de la décision. Elle a en outre salué la solidarité qui a joué entre les Etats membres parlant d’un échange normal entre solidarité et engagement à des réformes structurelles pour ceux qui avaient besoin d’aide. Désormais, la compétitivité, la croissance et l’emploi doivent être des priorités de l’UE.
Pas de concessions au Royaume-Uni sur la libre circulation des citoyens de l’Union
L’audition a aussi été marquée par deux questions de députés eurosceptiques du Royaume-Uni réclamant des concessions à l’UE. Face à la demande d’un député de redonner le contrôle de ses frontières au Royaume, Mme Thyssen a répondu que la libre circulation des citoyens européens est un des droits fondamentaux de l’Union, au cœur même du projet européen. Au même titre que la libre circulation des capitaux, des biens et des services, la libre circulation des citoyens n’est pas négociable. Il faut bien sûr concilier la possibilité pour les citoyens de se mouvoir sans perdre leur protection sociale avec une attention à ce que la mobilité ne fasse pas trop peser sur certains Etats (rappelant en ce sens l’existence d’un règlement de coordination des régimes de sécurité sociale). Quant à savoir si ce pays devrait quitter l’Union s’il n’obtenait pas les concessions souhaitées, Mme Thyssen a répondu que ce n’était pas à elle de répondre à cette question mais qu’elle ne souhaitait pas voir le Royaume-Uni sortir de l’UE.
Poursuivre la lutte contre les discriminations
Au-delà du rappel de l’engagement de l’Union pour lutter contre toute forme de discrimination dans le domaine de l’emploi, les questions ont porté sur deux champs principaux : l’insertion des handicapés et l’égalité des genres.
Concernant le premier, alors qu’on estime à 80 millions le nombre de citoyens européens souffrant d’un handicap, une députée a signalé la particulière vulnérabilité des handicapés sur le marché du travail en cette période de crise. Mme Thyssen a souligné la nécessité de commencer par respecter les législations anti-discrimination déjà existantes. Elle a plaidé pour une meilleure accessibilité des lieux publics et des lieux de travail et une meilleure valorisation des compétences et talents de ces personnes. En outre, les règles du marché intérieur peuvent être vectrices d’un meilleur accès aux biens et services qui leur sont spécifiquement destinés. Mme Thyssen a aussi rappelé que le Fonds social européen peut servir à financer la lutte contre l’exclusion, et donc être destiné en partie à des projets en faveur des handicapés.
La thématique de l’égalité des genres, au vu de son importance particulière dans le futur portefeuille de l’Emploi, des affaires sociales, des compétences et de la mobilité professionnelle, a aussi fait l’objet de plusieurs questions des eurodéputés. Ceci bien évidemment dans le contexte de la crise économique qui renforce les inégalités, les femmes connaissant plus fréquemment des situations de chômage et la précarité dans l’emploi. Mme Thyssen a évidemment rappelé que la Commission s’investissait dans la lutte contre l’inégalité entre les femmes et les hommes. Les textes sont là, l’enjeu aujourd’hui est d’en garantir l’application. La future commissaire belge a aussi annoncé que la directive sur le congé maternité serait, après le désaccord entre la Commission et le Conseil sur la durée de ce congé, rediscutée sous la nouvelle législature.
Le vieillissement de la population, enjeu majeur pour l’Union à long terme
La future commissaire a été longuement questionnée lors de son audition sur les changements démographiques à l’œuvre en Europe (taux de natalité en baisse, vieillissement de la population avec 1/3 des européens qui auront plus de 65 ans en 2060,…) et leurs implications au plan socio-économique.
Selon Mme Thyssen, la tendance au relèvement de l’âge de la retraite pose l’enjeu du maintien de l’activité des seniors (sous peine de transférer la dépense publique des retraites aux allocations chômages), donc du maintien de leur employabilité ce qui passe par le développement de l’apprentissage tout au long de la vie et une adaptation du côté des entreprises aussi. Ce rallongement de la durée de la vie active doit par contre permettre, une fois la retraite atteinte, à chacun de bénéficier d’une retraite « digne ». Interrogée sur le fait que cela risque d’entrer en contradiction avec les recommandations spécifiques par pays par l’intermédiaire desquelles la Commission a incité de nombreux Etats membres à baisser les retraites, elle a répondu que cela avait été abordé lors du semestre européen mais qu’à terme c’était la durabilité du système qui était menacée si les Etats membres ne changeait rien. La création d’emploi est de nouveau au cœur du problème car c’est comme cela que l’on maintiendra une population active suffisamment nombreuse et donc à même de financer le système de retraites pour que les générations suivantes puissent bénéficier d’une retraite convenable.
Quant à l’écart trop important constaté entre le niveau de retraite des femmes et des hommes, la solution n’est pas législative puisque le problème s’explique par les carrières moins régulières des femmes qui connaissent, en moyenne, plus de chômage et de temps partiel ce qui débouche sur des pensions moindres. On en revient à la question de la pleine participation des femmes au marché du travail évoquée via les questions sur l’égalité entre les genres.
En bref pour Mme Thyssen, la situation lance un défi à l’Europe en terme d’innovation, d’innovation politique, pour trouver des réponses face à une tendance démographique qu’il n’est pas possible d’inverser ; il faut que les Etats membres développe de nouveaux services sociaux, de nouvelles méthodes de soins et surtout échangent les bonnes pratiques pour apprendre les uns des autres.
Déclaration de clôture
Mme Thyssen a achevé son audition sur une déclaration de clôture dans laquelle elle a rappeler ses mots d’ordre : investir sur l’emploi, développer les talents et les qualifications et promouvoir la mobilité, garantir un bon niveau de protection sociale pour ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, lutter pour l’égalité des chances et mobiliser tous les instruments financiers disponibles. Avant de quitter la salle sous les applaudissements des députés présents, elle a donné rendez vous dans cinq ans pour évaluer l’action de la nouvelle Commission : « si dans cinq ans nous sommes en mesure de dire que l’Europe a plus d’emploi et que la pauvreté a reculé alors nous aurons fait la différence pour nos citoyens ».
Clément François
Pour en savoir plus :
– la garantie jeunes : http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=1079&langId=fr (FR)
http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=1079&langId=en (EN)
– récapitulatif des objectifs de la stratégie Europe2020 : http://ec.europa.eu/europe2020/europe-2020-in-a-nutshell/targets/index_fr.htm (FR) http://ec.europa.eu/europe2020/europe-2020-in-a-nutshell/targets/index_en.htm (EN)