Le Danemark va-t-il renoncer à ses opt-outs et rejoindre la classe des bons élèves de l’Union européenne ? Un bon exemple qui risque de rester isolé

Helle Thorning-Schmidt, Première ministre du Danemark (issue du parti social-démocrate danois), a annoncé mardi 7 octobre qu’un référendum serait organisé sur une plus grande intégration du pays à l’Union européenne. Il s’agirait en fait d’un référendum sur l’un des opt-outs du pays en matière de justice et affaires intérieures. « Le concept d’opting-out correspond à une dérogation, accordée à un pays ne souhaitant pas se rallier aux autres États membres dans un domaine particulier de la coopération communautaire, afin d’empêcher un blocage général » (extrait du site Europa).

Des dérogations en vigueur depuis le traité de Maastricht

Rappelons l’origine de ces opt-outs danois. Le pays intègre les Communautés européennes en 1973 mais c’est au moment du traité de Maastricht que ces opt-outs apparaissent. En effet, ce dernier est soumis au référendum le 2 juin 1992 au Danemark et il est rejeté à 50,7% des voix. Mais, pour entrer en vigueur, un traité doit être ratifié par tous les Etats membres. Il a donc fallu trouver une solution, et ce fut le cas au Conseil européen d’Edimbourg en 1992. Sur la base d’un compromis entre le gouvernement danois et les autres chefs d’Etat ou de gouvernement, quatre politiques de l’Union ont fait l’objet d’un opt-out du Danemark : la politique de défense, la troisième phase de l’Union économique et monétaire (qui devait conduire à l’adoption de l’Euro), la citoyenneté de l’Union et la justice et les affaires intérieures. Une nouvelle version du traité de Maastricht prévoyant ces opt-outs pour le Danemark a fait l’objet d’un référendum le 18 mai 1993 et, cette fois, les citoyens danois ont voté « oui » à 56,8%.

Où en sont ces différents opt-outs aujourd’hui ? Celui sur la citoyenneté prévoyait que la citoyenneté européenne (instituée par le traité de Maastricht) ne remplaçait pas la citoyenneté nationale. Le traité d’Amsterdam reprend exactement la même règle pour tous les pays de l’Union : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». Par conséquent, l’opt-out danois sur la citoyenneté européenne n’a plus d’intérêt. En matière de citoyenneté européenne peu de progrès ont été réalisés en matière de citoyenneté européenne depuis le Traité de Maastricht, notons cependant que le traité de Lisbonne prévoit la possibilité d’Inititives citoyennes européennes (ICE).

L’opt-out relatif à la troisième phase de l’UEM pose en fait la question de l’entrée ou non du Danemark dans la zone euro. A l’heure actuelle le Danemark n’est pas membre de la zone euro puisque cet opt-out est toujours en vigueur. Signalons tout de même qu’Helle Thorning-Schmidt s’était prononcé pour que son pays intègre la zone euro. Il n’y a cependant pas encore de référendum prévu sur ce sujet, qui avait déjà été soumis une première fois à la consultation populaire, en 2000, pour une victoire du « non » (à 53%).

En matière de défense: le Danemark ne participe pas à l’élaboration et à la mise en oeuvre d’actions de l’Union qui ont des implications en matière de défense. Il y a un an, le leader de l’opposition danoise, Lars Lokke Rasmussen proposait l’organisation d’un référendum sur l’abandon des clauses d’exemption dans le domaine de la défense et de la justice en même temps que les élections européennes de mai 2014. Cela n’a pas été le cas et il n’y a pas encore de projet de référendum sur l’abandon des clauses d’exemption en matière de défense. Avant que n’éclate la crise de 2008, Helle Thorning-Schmid avait fait plusieurs déclarations engageantes, que la crise a reléguées aux oubliettes. Le moment est-il venu de les renouveler ?

L’intérêt du référendum : maintenir le Danemark au sein d’Europol

En ce qui concerne la justice et les affaires intérieures, domaine dans lequel Mme Thorning-Schmidt a annoncé le référendum, le Danemark est exempt de certains domaines. Depuis la signature du traité de Lisbonne, le Danemark (ainsi que le Royaume-Uni et l’Irlande qui sont les deux autres pays bénéficiant d’opt-outs en matière de justice et affaires intérieures) a la possibilité de passer d’une option de retrait complète à des opt-in au cas par cas (c’est-à-dire de participer uniquement à certaines politiques de l’ensemble justice et affaires intérieures par exemple) dès qu’ils le souhaitent.

Et c’est de cela qu’il s’agit. Alors que la tendance est au renforcement de la coopération policière au sein de l’UE, le Danemark ne veut pas se retrouver isolé dans la lutte contre la criminalité, voire la lutte contre le terrorisme dont l’importance saute aux yeux de tout le monde, avec évidence . Or, Mme Thorning-Schmidt craint que le pays ne soit obligé de se retirer d’Europol (dont il est membre depuis seize ans) s’il ne revient pas sur la clause d’exemption concernant la justice et les affaires intérieures dont il bénéficie. Cela serait, à ses yeux, négatif pour le Danemark en terme de sécurité. « [Europol] nous a permis d’arrêter des trafiquants de drogue et d’êtres humains, ainsi que de découvrir des réseaux d’abus d’enfants. Il semble que nous allons devoir quitter Europol à cause de cette clause d’exemption justement. Et cela dès le printemps prochain, peut-être. Ça poserait un sérieux problème pour la sécurité des Danois ». D’où sa volonté d’un référendum avec les modalités suivantes : « Le gouvernement est prêt à organiser un référendum après les prochaines élections. Nous pourrons alors choisir les volets de la JAI auxquels nous voulons adhérer et ceux qui ne nous conviennent pas. Je voudrais que le Danemark continue de faire partie de la coopération policière, sans pour autant adopter les mesures concernant les migrants », a-t-elle expliqué. En août dernier, par l’intermédiaire de son porte-parole, Jakob Ellemann-Jensen, le principal parti de l’opposition (Venstre) avait apporté son soutien à la tenue d’un tel référendum.

Une avancée hésitante vers plus d’intégration

D’une manière générale, la chef du gouvernement danois (qui a été député européenne de 1999 à 2004) est favorable à une plus grande intégration de son pays au sein de l’Union mais c’est un sujet qui fait l’objet d’une certaine confusion dans son action. En effet, alors qu’elle avait d’abord annoncé la tenue de ce référendum avant la fin de son mandat actuel (qui est son premier mandat, commencé le 2 octobre 2011), puis dans son mandat mais après la présidence danoise du Conseil de 2012, Mme Thorning-Shmidt, s’est prononcée pour l’organisation dudit référendum si la coalition en place remporte les prochaines élections législatives, qui interviendront entre le printemps et la fin septembre 2015 (une législature dure au maximum quatre ans selon la constitution danoise). Autrement dit le référendum aura donc finalement lieu durant son deuxième mandat et à la condition que son parti remporte les élections (pour lesquelles les sondages placent le gouvernement actuel en mauvaise posture).

Elle s’était aussi engagée à tenir un référendum sur un autre opt-out danois au cours de son mandat, en matière de coopération en matière de défense cette fois, et ce ne sera vraisemblablement pas le cas.

Traditionnellement, le Danemark était assez réticent à pousser l’intégration européenne, mais, alors que ce gouvernement souhaite rapprocher le pays de l’Union, il y a assez peu d’avancées sur ce sujet du fait de l’euroscepticisme croissant au sein de l’opinion publique (à titre d’illustration, c’est le Parti conservateur danois qui a remporté les élections européennes dans le pays, parti affilié au groupe ECR, et le vote populiste a fait la une des commentateurs) et du caractère incertain des référendums lié à l’Europe qui en découle. On peut tout de même signaler que le 25 mai 2014, en même temps que les élections européennes, les danois se sont prononcés par référendum pour intégrer la juridiction du Tribunal unifié des brevets (33,7% pour, 20% contre, 44,2% d’abstention).

 

Clément François

 

Pour en savoir plus :

– Article EurActiv : La Première ministre danoise remet aux calendes grecques le référendum sur Europol :                                                                       http://www.euractiv.fr/sections/elections/la-premiere-ministre-danoise-remet-aux-calendes-grecques-le-referendum-sur (FR)                 http://www.euractiv.com/sections/elections/danish-pm-postpones-eu-referendum-309001 (EN)

– Article EurActiv : Le Danemark pourrait organiser un référendum sur son statut dans l’UE http://www.euractiv.fr/priorites/le-danemark-pourrait-organiser-u-news-529967 (FR) http://www.euractiv.com/elections/danes-move-closer-eu-opt-outs-re-news-529956 (EN)

– Article EULogos : Le Danemark réintègre l’UE, sa politique de défense et la politique de justice et des affaires intérieures (janvier 2012) :                                                        http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2353&nea=117&lang=fra&lst=0 (FR)

– Article EULogos : Danemark: un référendum sur les opt-outs peut en cacher un autre ! le dirigeant de l’opposition danoise, Lars Løkke Rasmussen, fait monter la pression sur la première ministre, Helle Thorning-¬Schmidt (septembre 2013) :                           http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2914&nea=136&lang=fra&lst=0 (FR)

– sur la juridiction unifiée des brevets : http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/patent/index_fr.htm (FR) http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/patent/index_en.htm (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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