Le 16 octobre, les comités LIBE et AFET, en réunion conjointe, ont accueilli Jean-Paul Laborde, directeur exécutif du comité contre le terrorisme de l’Organisation des Nations Unies. Cette rencontre intervient à un moment où la lutte antiterroriste est une préoccupation majeure pour de nombreux pays de l’Union européenne dans un contexte international qui pose notamment le problème de la montée en puissance de l’Etat Islamique et du retour des djihadistes.
Claude Moraes (S&D, Royaume-Uni), Président de la commission LIBE, a d’abord salué la tenue d’une réunion commune aux deux commissions pour discuter de ce sujet. Il a souligné le rôle central des Etats membres pour gérer la situation des combattants étrangers et a appelé à le doubler d’une stratégie plus vaste, c’est-à-dire au niveau européen et plus globale, pour développer la prévention et ne pas être seulement dans la réaction.
L’échange de vues s’est déroulé dans un format habituel (présentation générale puis questions/réponses) et a permis d’aborder des thèmes comme la gestion des frontières, l’équilibre entre lutte antiterroriste et respect des libertés publiques, le financement du terrorisme ou encore le retrait de la citoyenneté pour ceux qui veulent rentrer dans leur pays après avoir pris part aux combats.
Contexte international et adoption de la résolution 2178(2014) par le Conseil de sécurité
Jean-Paul Laborde a commencé par présenter le terrorisme, à l’heure actuelle, comme une « menace très difficile à contrer à laquelle nous devons faire face en commun ». Ce n’est pas une question exclusivement intérieure, ni exclusivement extérieure, mais qui revêt les deux aspects. M. Laborde a avancé les chiffres de 10 000 combattants terroristes étrangers partis en Syrie et en Irak et d’environ 1000 à 3000 terroristes étrangers dans l’UE. Afin de réduire ces chiffres, Kristina Winberg (ALDE, Suède), membre de LIBE, s’est prononcé pour un resserrement des contrôles aux frontières pour réduire la mobilité des terroristes sur la base de l’article 2 de la résolution 2178(2014).
Le directeur exécutif du comité contre le terrorisme à l’ONU est longuement revenu sur cette résolution. Elle a été adoptée le 24 septembre dernier, à New York, par le Conseil de sécurité sur la base du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies c’est-à-dire qu’il s’agit d’une résolution contraignante. Elle intéresse particulièrement l’UE notamment en raison du fait que le Conseil de sécurité y constate « avec inquiétude que les combattants terroristes étrangers contribuent à intensifier les conflits». Il ne faut pas l’isoler du travail déjà entamé de longue date contre le terrorisme mais cette fois, a affirmé M. Laborde, « c’est l’amplitude, la magnitude du problème qui nous saute aux yeux ». En effet, il ne s’agit pas que du combat contre l’Etat Islamique. M. Laborde a d’ailleurs préféré parler d’un « soit disant » Etat Islamique car « cette organisation a des structures qui peuvent ressembler à un Etat mais il ne faut pas lui accorder le privilège ou même l’honneur d’être un Etat ». M. Laborde a bien rappelé que c’était une organisation classée terroriste qui par aspects seulement ressemble à un Etat, mais elle ne doit pas masquer les autres organisations terroristes actives comme Boko Haram, AQMI ou d’autres.
L’apport du comité contre le terrorisme de l’ONU
Le deuxième point de la présentation de M. Laborde a été d’essayer d’apporter une réponse à la question suivante : en quoi le comité en charge de la lutte contre le terrorisme à l’ONU peut-il aider l’UE face aux défis actuels ? La direction exécutive qu’il dirige a été créée en 2005 afin « de superviser les mesures antiterrorisme des Etats, d’assurer une assistance technique, de renforcer les capacités des Etats en la matière et de coopérer plus étroitement avec les partenaires régionaux et nationaux ». Ce dernier point justifie sa coopération avec Interpol, avec les services des relations extérieures de l’UE ainsi qu’avec les coordinateurs pour la lutte contre le terrorisme.
Mais, il ne s’agit pas seulement de coordination puisque le comité est en lien direct avec le Conseil de sécurité et qu’il a la capacité d’évaluer les pays dans leur lutte contre le terrorisme (pouvoirs accrus des autorités de police, des autorités répressives,…) lorsqu’il rend visite aux Etats (M. Laborde a d’ailleurs indiqué qu’il se rendra en France le mois prochain). Il ne s’agit donc pas seulement de pointer du doigt les difficultés des Etats mais aussi de faire converger leurs approches en collectant les meilleures pratiques. Jusqu’à présent le comité a rencontré une centaine d’Etats et le dialogue se poursuit avec tous les Etats des Nations Unies, y compris ceux déjà rencontrés.
La difficulté de définir juridiquement le terrorisme
Laborde et plusieurs députés se sont rejoints pour constater que le terrorisme a des finalités (religion, sécession,…) et des moyens (prises d’otages, assassinats,…) extrêmement diversifiés. Ainsi, le comité antiterroriste travaille sur des sujets comme le bioterrorisme et l’utilisation d’Internet à des fins terroristes, il échange aussi avec des figures religieuses de haut rang de certains pays.
Tout cela pose un problème avec la définition même du terrorisme. Pour donner une définition légale au terrorisme, l’ONU se réfère aux actes terroristes tels que définit dans ses différents instruments. Jean-Paul Laborde s’est référé à son expérience de juge à la Cour de cassation pour souligner l’importance d’une définition juridique claire, basée sur les actes et non une définition politique du terrorisme ce qui irait à l’encontre du principe de légalité.
Le nécessaire équilibre entre mesures efficaces de lutte contre le terrorisme et respect libertés publiques
Jean-Paul Laborde a rappelé que la promotion des Droits de l’Homme est bien l’une des missions du Conseil de sécurité, il n’est pas en charge que de la paix et de la sécurité. Il s’est dit conscient que l’un des aspects les plus sensibles pour le Parlement européen (comme en a témoigné la présence de la commission LIBE, principale commission en charge de ce domaine) est l’idée d’une lutte antiterroriste respectueuse des Droits de l’Homme. La potentielle contradiction apparaît clairement entre l’intensification de la surveillance que suppose le combat contre le terrorisme et la protection des libertés individuelles. Pour M. Laborde, il en va « du respect des principes sur lesquels nos pays sont fondés », et pas seulement l’Union européenne mais tous les Etats des Nations Unies qui ont signé des textes protecteurs en matière de Droits de l’Homme comme la charte des Nations Unies, le Pacte des Droits civils et politiques ou encore la Déclaration universelle des droits de l’homme.
On retrouve cet enjeu dans la résolution 2178(2014) mais ce n’est pas une préoccupation nouvelle ; aussi, par exemple, dans la première résolution consécutive au 11 septembre 2001, la résolution 1373(2001) du 28 septembre 2001, il est affirmé que les Etats membres doivent veiller « à ce que toutes personnes qui participent au financement, à l’organisation, à la préparation ou à la perpétration d’actes de terrorisme ou qui y apportent un appui soient traduites en justice ».
Les Nations Unies ont déjà souligné que le recours à des procédures spéciales de limiter les Droits de l’Homme ne peuvent être faites que dans un cadre limité (elles doivent rester réservées aux situations exceptionnelles et « aux situations d’urgence susceptibles de faire peser des menaces sur les ressortissants de la nation ») et à condition que les principes de proportionnalité, de nécessité et de non discrimination soient respectés. En outre, certains droits ne peuvent subir de dérogations. M. Laborde s’est prononcé en faveur d’un examen de telles mesures par des organisations internationales indépendantes et de programmes de formation aux Droits de l’Homme.
Ana Gomes (S&D, Portugal) membre de la commission LIBE a réagi sur cette question du respect des Droits de l’Homme en s’attardant sur les pratiques de certains pays occidentaux qui ne donnent pas l’exemple de respect des Droits de l’Homme dans leur propre pays nuisant à leur réputation à l’international (à l’image des Etats-Unis avec Guantanamo), ce qui ne fait in fine, selon elle, que multiplier les menaces terroristes. Face à la menace, elle a aussi plaidé pour plus de collaboration au niveau des services de renseignements et rappelé le besoin de respecter les résolutions du Conseil de sécurité.
Le financement du terrorisme
A propos du financement de l’Etat Islamique, et du terrorisme en général, M. Laborde a signalé les efforts d’Etats membres de l’ONU pour s’aligner sur la position du Conseil. Selon lui, « tous les Etats travaillent dans le même sens parce qu’il savent que la menace est la même pour tout le monde ». Plusieurs députés (parmi lesquels le socialiste espagnol Juan Fernando Lopez Aguilar) ont interrogé M. Laborde sur le financement du terrorisme par des Etats de la communauté internationale et donc sur les moyens pour stopper de telles pratiques et sur ce qu’il pourrait être fait contre un Etat qui a participé au financement des actions de l’Etat Islamique. Dans sa présentation, M. Laborde s’est référé au paragraphe 6 de la résolution 2178(2014) qui prévoit que des mesures peuvent être prises pour ceux qui financent les combattants étrangers et au Groupe d’action financière internationale (le GAFI) qui peut avoir un rôle à jouer (il l’a déjà fait concernant le blanchiment d’argent).
La controverse sur la destitution de citoyenneté des combattants par le Royaume-Uni
C’est un sujet qui a largement fait réagir les eurodéputés présents. Charles Tannock a pris position en faveur du retrait de la nationalité britannique à ceux qui « ont participé à des campagnes d’atrocité et sont partis avec l’organisation islamique » s’ils possèdent deux nationalités, la nationalité britannique et une autre. Ceci afin de les empêcher de revenir sur le territoire de crainte que le retour n’augmente les risques d’attentats sur le sol britannique.
Parmi les députés qui rejettent cette pratique, on retrouve Ana Gomes (S&D, Portugal) qui a exprimé ses craintes sur le fait que cela risque d’avoir l’effet inverse à celui recherché. Bodil Ceballos (Les Verts, Suède) de la commission LIBE rejoint cet avis. Elle a dénoncé la trop grande simplification du débat public sur ce point estimant qu’un retrait de citoyenneté ne pourrait se décréter sans passer par des enquêtes car d’un point de vue juridique, il serait gênant de supposer d’office que quelqu’un a commis un crime juste parce qu’il est parti dans tel ou tel pays. Kashetu Kyengé (S&D, Italie) a, elle, mis en avant un problème d’égalité devant la loi : ce retrait de la citoyenneté interviendrait-il simplement pour les personnes ayant des origines étrangères ou, au nom de ce principe d’égalité devant la loi, cela doit-il concerner tout le monde ? Mais ce deuxième cas rendrait donc possible de priver de sa nationalité un individu qui ne possède qu’une nationalité, le rendant dès lors apatride. Se poserait alors un problème au regard de la Convention sur la réduction de l’apatridie de 1961, que le Royaume-Uni a ratifié, et plus précisément de son article 8 qui prévoit que «les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride». Une convention ratifiée par le Royaume-Uni en 1966.
Laborde a affirmé que ce n’était pas à l’ONU de ce décider et d’obliger les Etats à adopter tel ou tel comportement. En effet, les règles relatives à la citoyenneté relèvent exclusivement des Etats.
Pour en savoir plus :
– résolution 21/78 en date du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2178%20(2014) (FR) http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2178%20(2014)&TYPE=&referer=http://www.un.org/fr/sc/documents/resolutions/2014.shtml&Lang=E (EN)
– résolution 1373(2001) du 28 septembre 2001 :
http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1373(2001) (FR)http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1373(2001)&TYPE=&referer=http://www.un.org/fr/sc/documents/resolutions/2001.shtml&Lang=E (EN)
– site du GAFI :http://www.fatf-gafi.org/fr/ (FR)http://www.fatf-gafi.org/ (EN)
Clément François