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Frontex ,Mare Nostrum, Triton. Vers des frontières à visage humain ?Interview de Ignazio Corrao, député EFD à la commission LIBE

profilo-ignazioÀ la suite de la tragédie à Lampedusa du 3 octobre 2013, l’Italie lançait l’opération Mare Nostrum. Plus que 100 000 vies sauvées et 3mille morts d’après certaines évaluations(OIM, missing migrant project 2014), l’Union Européenne s’apprête à intervenir pour  soutenir les efforts italiens : à partir du mois du novembre, Triton, sous l’égide de Frontex, sera opérationnel dans les eaux de la Méditerranée. Cependant, dans les derniers mois, beaucoup d’europarlementaires au sein de la commission LIBE, ont soulevé des doutes et des perplexités, notamment de la part des membres italiens. (pour une vision approfondie de la question, voir nos articles dans « Pour en savoir Plus)

Actuellement, la voie européenne qui sera prise par l’Italie dans l’avenir, ne semble pas être trop claire, ni univoque, surtout à cause des conflits terminologiques entre la Commission Européenne et l’On. Alfano. D’après ses dernières déclarations, la prochaine session du Conseil des ministres italiens délibérera la fin Mare Nostrum, mais, continue-t-il, l’Italie continuera à garantir le respect des engagements internationaux en matière de recherche et sauvetage (ANSA, 16 oct. 2014). Quel sera, donc, le prochain épisode de cette histoire compliquée ?

A ce propos, EU-Logos Athéna a voulu interroger les représentants italiens de LIBE, provenant de trois Europartis différents : Mme. Matera, PPE, Mme. Kyenge, S&D, et Mr. Corrao, EDF. Voici leurs réponses, aux lecteurs d’exprimer leurs jugements.

1-. Au cours des réunions précédentes, la commission LIBE a souligné la contradiction entre les objectifs des deux missions. En particulier, Mare Nostrum, jusqu’à présent, a donné priorité au sauvetage des vies en mer, démontrant l’évolution possible vers une approche humanitaire, malgré ses instruments traditionnellement associées aux mesures de défense et sécurité. Etes-vous satisfaite de la réponse de l’Union ?

Malheureusement sur les questions liées à l’immigration la méthode intergouvernementale domine sur la méthode  communautaire : l’Union a établi des règles générales et après c’est aux états d’agir comme ils veulent, selon leurs exigences. Naturellement l’Italie est particulièrement concernée par les débarquements et l’immigration, par rapport aux autres pays de l’Union ; d’autant plus que la législation espagnole, maltaise et grecque, est beaucoup plus sévère et favorable aux expulsions. C’est pourquoi, la charge est plus lourde sur les structures administratives et le structures d’accueil italiennes.

Bien sûr, s’il s’agit de Frontex la logique dominante est intergouvernementale, mais, en ce qui concerne l’immigration et l’asile, le traité de l’Union prévoit la méthode codécisionnelle. Il y a un dialogue entre le Parlement et le Conseil, quelle aurait pu, donc, être une réponse alternative à Triton ?

Doit-on  aborder la question comme si l’UE était un état ?. L’Italie agit à travers des lois contraignantes sur l’ensemble de son territoire, au contraire l’Union adopte des règlements, comme celui de Dublin qui porte sur la distribution des responsabilités des États dans l’examen des demandes d’asile. Toutefois, il ne gère pas la question de manière équilibrée, mais c’est l’État de première entrée qui doit s’occuper de la procédure d’asile. En revanche, si nous agissions comme un état confédéré, comme les États-Unis, où les normes en matière d’immigration sont les mêmes dans chaque unité territoriale, lorsqu’un migrant arrive en Italie, en Pologne ou en Irlande, il serait soumis aux mêmes règles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Toutefois, l’approbation des lois nécessite une période longue, entre temps comment l’Union pourrait-elle réagir à la demande d’une réponse immédiate?

Il suffit de voir la volonté politique des États. Mais évidemment elle n’existe pas, car il s’agit d’une patate chaude que personne veut recevoir. D’ailleurs, même l’Italie, avec Mare Nostrum, n’a pas voulu devenir le pays d’accueil des migrants. En réalité, il y a de gens qui ont gagné de l’argent grâce à l’opération, comme c’est le cas des centres de rétention : celle-là est la vrai raison de l’intérêt italien à lancer Mare Nostrum. Il ne me semble pas que les politiciens italiens aient toujours été à l’avant-garde dans l’accueil des migrants. Les deux questions sont liées : au sauvetage suit l’accueil, de même si nous éloignons les migrants, le problème s’éloigne.

Mais, donc, vous soutenez l’opération Mare Nostrum et ses succès?

En ce qui concerne le sauvetage de vies en mer oui, car la mission couvre les eaux internationales et empêche des tragédies. D’autre part, toutefois, elle n’est pas une solution durable et la situation  pourrait continuer indéfiniment. Le problème peut être résolu seulement en impliquant les interlocuteurs de l’autre côté de la Méditerranée. Cependant, la question se pose : que se passe-t-il quand dans certains cas, comme en Libye, il n’y a pas d’interlocuteurs ni un gouvernement. En outre, il faut renforcer la lutte contre le trafic d’êtres humains, qui est à l’origine des intérêts et des profits de la criminalité organisée sur ces questions.

Comment devraient agir Triton, et l’Union Européenne s’ils veulent garder et promouvoir les aspects positifs de l’opération Mare Nostrum?

Tout d’abord, il faut modifier le règlement de Dublin et changer le fonctionnement de l’agence Frontex. Ensuite, l’opération spécifique, devrait garantir le passage sûr des migrants et mettre en place des couloirs humanitaires dans les pays en conflit d’où partent les migrants. Toutefois, je tiens à souligner qu’une opération tampon n’est pas suffisante à résoudre le problème.

Mais comment on peut-on agir afin de mettre fin aux violations des droits fondamentaux des migrants? Le règlement Frontex prévoit déjà des dispositions visant à assurer leur respect, ce qui a été renforcé par des nouvelles mesures concernant la surveillance des frontières maritimes extérieures (Règlement (UE) n ° 656/2014). Estimez-vous qu’elles offrent des garanties suffisantes au respect des droits de l’homme, dans les opérations Frontex en Méditerranée? En même temps, il s’agit d’obligations internationales qui doivent être mises en œuvre dans leur totalité, quel serait l’impact de la fin de Mare Nostrum sur les droits de l’homme ?

Il faut certainement chercher de sauver le plus de vies possibles, certainement, mais il faudra du temps pour trouver une véritable solution. Ni les expulsions, ni la continuation de l’opération peuvent mettre fin au problème. Il faut aussi considérer qu’il y a une autre dimension de la question : au fil du temps, ce type d’opérations a engendré un sentiment de haine parmi la population d’accueil. Les mouvements racistes en profitent pour accroître leur soutien, jusqu’au moment où le pouvoir politique perd le contrôle face aux désordres sociaux.

Il faut, donc, une réponse claire et commune de la part des états de l’Union, afin d’éviter que ces sentiments de haine et de racisme augmentent. Il est évident qu’expulser et se renfermer dans la bulle européenne est contraire à ce but. L’Union a les forces pour agir, car elle ressemble les états qui ont fait l’histoire du monde entier.

Certainement, mais l’action se fonde sur une base volontaire et les états ne semblent pas être trop solidaires entre eux. Qu’est-ce que vous en pensez, notamment par rapport aux contributions à Triton ?

France et Allemagne ont déjà accordé leur soutien, toutefois il s’agit toujours de la même logique : ils donnent des ressources mais le problème reste entre les mains de l’Italie. C’est ainsi que l’Union Européenne gère la question. La solidarité est respectée seulement dans les domaines où il y a des forts intérêts économiques, manipulés par les lobbies et les multinationales qui ne se sentent pas concernées par la thématique de l’immigration. Elles interviennent dans les pays tiers, dont ils  exploitent les ressources, créant les causes  des conflits et de guerres, qui, à leur tour, sont à l’origine des flux migratoires.

Comment on peut agir afin de créer et renforcer la solidarité entre les états? le dialogue entre les institutions et au sein des institutions doit être amélioré et à cet égard la commission LIBE, pourrait-elle être un outil en ce sens ?

Parmi les membres de la commission il n’y a pas des positions contradictoires, au-delà des extrémismes. Le problème est que les seuls qui peuvent agir de manière incisive, sont les gouvernements.

Toutefois, le Parlement Européen garde un rôle important et effectif. Renforcer le dialogue parmi les membres de la commission, pourrait-il avoir un impact positif sur la solidarité ?

Oui, je crois que les conditions sont favorables. Je ne peux pas connaître comment se dérouleront les débats, mais je pense qu’il sera possible d’avoir un dialogue positif. Cependant, même si nous réussissons à trouver un accord sur la modification du règlement de Dublin, il faudra toujours passer par le Conseil où les gouvernements nationaux assument des positions restrictives qui créent  des obstacles à l’action du Parlement.

Toutefois, l’Italie même est parmi les pires élèves de la classe européenne, en particulier en ce qui concerne la transposition et l’application des directives du paquet asile. Estimez-vous que cette performance pourrait nuire à la crédibilité de l’Italie, ce qui réduit les chances d’obtenir une réponse positive, à l’appel pour plus de solidarité entre les États membres de l’UE?

Oui, mais elle est aussi parmi les pays qui reçoivent le nombre le plus élevé de migrants. Certainement la conduite italienne a un effet négatif sur sa crédibilité. En effet, nous n’avons pas montré la force politique nécessaire pour résoudre le problème, malgré la présidence italienne au Conseil. Nous n’avons pas créé une réponse politique à long terme.

Le nouveau commissaire grec et la présidence italienne au Conseil de ministres, pourraient-ils  être une opportunité pour l’Italie et l’Union, grâce à la nationalité des pays les plus concernés par les flux migratoires?

Non, je ne crois pas que le commissaire Avramopoulos ait plus de sensibilité que Mme. Malmström. Il a de l’expérience militaire et en matière de défense, il a été choisi pour mener une politique restrictive.

Cela en dépit de la volonté d’élargir le budget Frontex et modifier son mandat?

Non, il a affirmé qu’il veut poursuivre la voie légale et, donc, lutter contre l’immigration illégale. Quand on utilise des termes comme ‘légale’ et ‘illégale’ , il faut faire attention, car ils se lient à des concepts bien plus larges. Il est très difficile de distinguer un réfugié d’un criminel. Les deux termes sont utilisés afin de justifier des politiques restrictives ou permissives. En conséquence, les mots du commissaire ne signifient rien. Il faut temps pour évaluer l’esprit de ses déclarations.

Et la présidence italienne?

Elle aurait dû être un point fort, vu qu’elle est particulièrement concernée par cette problématique. Cependant elle est désormais à la fin de son mandat. Alfano a présenté à la commission LIBE le programme de la présidence italienne, et je crois qu’ils n’avaient pas vraiment compris ce qu’ était Frontex Plus. Il y avait une grande confusion, sans avoir  une idée précise sur comment aborder le problème. Il y a des fonds, qui seront investis dans Triton, mais quand il s’agit d’entrer dans les détails personne a une idée précise, comme la modification du règlement Frontex.

Et maintenant, qu’est-ce que nous devons attendre dans les jours à venir?

Triton risque d’être une mission plus restreinte que Mare Nostrum, notamment en termes de ressources et de capacités opérationnelles. Il sera limité aux eaux territoriales, alors que Mare Nostrum couvrait aussi les eaux internationales. Si on met fin à la mission , il aura certainement  d’autres tragédies en mer. De son côté, l’Union Européenne continuera à répondre de manière hypocrite, comme  le fait dans son discours M. Barroso à Lampedusa.

Il faut résoudre le problème à travers la voie diplomatique, réunissant tous les états les plus importants de l’Europe, qui ont des gros intérêts matériels en Afrique. Le problème est que tant qu’ils mettent le pétrole avant des droits fondamentaux, il est évident que certains phénomènes se représenteront toujours. Ils sont eux-mêmes les responsables des causes à l’origine des situations de crise qui engendrent les flux migratoires. Au contraire il faut respecter les droits fondamentaux et développer des politiques de dialogue avec les pays tiers à travers des mesures concrètes.

Ma mission personnelle sera de m’opposer à toute proposition qui soutient l’exploitation des ressources dans les pays tiers. En revanche, j’approuverai les initiatives qui visent au sauvetage des vies humaines. Car une législature ne sera jamais suffisante pour résoudre le problème. Il faut, donc, travailler aussi au niveau diplomatique, en dehors de l’Union Européenne, qui devra être un instrument de rapprochement des états entre eux. N’oublions pas qu’elle naisse pour garder la paix, le problème est que jusqu’au présent, elle s’est limitée aux frontières européennes, sans considérer ce qui se passe en dehors de notre territoire.

 (Elena Sbarai)

 

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Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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