Le 16 octobre 2014, la commission Affaires étrangères du Parlement européen a accueilli Mme Tea Tsulukiani, ministre de la justice de la Géorgie, un an après leur première rencontre. Le principal thème abordé, ce jour-là, avait été le programme de réforme de la justice en Géorgie.
Depuis, un accord d’association a été signé (en juin 2014) entre l’Union et la Géorgie et le Parlement géorgien l’a ratifié. Des avancées ont aussi été réalisées dans l’harmonisation des visas. En juillet dernier, le conseiller de l’Union sur les réformes en Géorgie a souligné les progrès accomplis par le pays en matière de respect des Droits de l’Homme. Javier Couso Permuy (GUE, Espagne), Vice-président de la commission AFET, a rappelé la confiance que place l’Union en la Géorgie pour poursuivre le processus. C’était donc le bon moment pour refaire le point entre ce pays et l’Union.
La ministre géorgienne a ainsi pu s’exprimer sur les réalisations de la Géorgie depuis sa dernière rencontre avec le Parlement européen et sur les progrès encore à effectuer. Elle a signalé que ces rencontres ont été une vraie motivation pour avancer dans les réformes et que c’était une démarche encourageante.
Un rapprochement avec l’Union européenne déjà entrepris et jugé positif par la ministre
Le rapprochement de la Géorgie et de l’Union est un processus entamé depuis plusieurs années et qui s’est déjà traduit par certaines réalisations concrètes. Mme Tsulukiani est ainsi revenue sur les mesures de libéralisation des visas et sur l’accord d’association. Concernant la libéralisation des visas, après la conclusion de l’accord, le moment est maintenant venu pour sa mise en œuvre et la ministre a mis en avant le fait que son pays en respectait bien les premières étapes, comme convenu. La Géorgie attend de l’Union « une aide pour monter à bord du processus de libéralisation des visas le plus tôt possible ».
Quant à l’accord d’association, elle en a présenté la signature comme une étape très importante pour un rapprochement aussi bien politico-juridique qu’économique. Toutefois, cet accord ne doit pas être vu comme une finalité mais comme un point de départ vers davantage de démocratie dans le pays, a-t-elle ajouté. En ce sens, le gouvernement a mis en place un plan national pour la mise en œuvre de l’accord d’association et le Premier Ministre géorgien a décider de superviser lui-même la mise en œuvre de cet accord ce qui est un signe positif de l’importance qu’entend y attacher la Géorgie.
D’une manière générale, la relation de la Géorgie avec l’UE contribue, selon Mme Tsulukiani, à consolider les institutions et la démocratie ce qui peut permettre à la Géorgie de devenir un modèle de stabilité politique pour une région tendue. En des temps où l’UE est particulièrement critiquée en son sein, elle a ainsi tenu à valoriser le rôle de l’Union à l’égard de son pays en disant que « l’UE contribue en Géorgie à l’état de droit et à la stabilité démocratique. Nous sommes un exemple positif ». In fine, il peut en ressortir une plus grande sécurité dans cette zone. Cette affirmation rejoint une préoccupation exprimée par la suite par Javier Couso Permuy qui a demandé à Mme Tsulukiani ce que pouvait faire la Géorgie pour contribuer à l’équilibre géopolitique dans la région. Il a justifié cette question par le fait que le pays soit limitrophe de la Turquie et de la Russie et constitue « un point de transit dans la mer capsienne » qui a une place importante pour la paix religieuse et l’énergie.
Dès lors, la ministre géorgienne a insisté sur la nécessaire « irréversibilité » du processus d’européanisation. Pour cela il faut poursuivre le travail pour des résultats supplémentaires dans les domaines de la bonne gouvernance, de la justice, des Droits de l’Homme, de l’Etat de droit et de l’équité des procès. Le pays compte aussi sur l’aide de l’Union, aussi bien au niveau technique que financier, dans la mesure du possible. Sur ce dernier point Iveta Grigule (Non-inscrits, Lettonie) rejoint la ministre géorgienne et, selon elle, le Parlement européen doit apporter un tel soutien aux pays qui souhaitent se tourner vers l’UE. Elle a poursuivi en expliquant qu’il ne fallait pas attendre que les pays souhaitant entrer dans l’UE soient au même niveau que les démocraties anciennes, cela ne se fait pas du jour au lendemain, notamment pour les pays de l’ex-URSS dans lesquels les structures démocratiques étaient absentes durant cette longue période. Les élections législatives de 2012 en Géorgie on donné des signes rassurants sur l’état de la démocratie dans le pays et, a-t-elle conclu, c’est la responsabilité de l’UE que d’apporter une assistance quand cela est nécessaire.
Une partie importante de l’intervention de Mme Tsulukiani a porté sur les réalisations de son pays ces dernières années pour le renforcement de la démocratie et des Droits de l’homme. La ministre a affirmé qu’il s’agissait là de l’objectif premier de son action. Cela s’est notamment traduit par l’adoption, par le Parlement de Géorgie, d’une stratégie nationale pour les Droits de l’Homme en avril et juillet 2013. Ceci se double d’une stratégie septennale pour les Droits de l’Homme comprenant un processus global auquel les agences étatiques et les ONG sont parties prenantes.
La démocratie en voie de consolidation en Géorgie
D’abord, la ministre a expliqué que les trois dernières élections (présidentielles, parlementaires et locales qui ont eu lieu en 2012 et 2013), avaient révélé une véritable dissociation entre le parti politique au pouvoir et les structures concernées par les élections mettant ainsi fin à la collusion Etat/parti que l’on pouvait trouver avant. La commission électorale centrale et le groupe de travail chargé d’élections libres et transparentes (auquel Mme Tsulukiani a participé) ont permis de vérifier que le processus d’élections était libre et transparent et a mis un terme aux influences indues dans les campagnes électorales. Les pratiques démocratiques saines « deviennent la norme » en Géorgie a dit la ministre qui s’en est félicité. Ces progrès ont d’ailleurs été relevés avec satisfaction par le Conseil de l’Europe.
Kati Piri (S&D, Pays-Bas) a rejoint cette position en parlant d’un « pas important » fait par la Géorgie avec les dernières élections libres et le changement de pouvoir démocratique qui s’en est suivi, « une étape unique dans la région ». D’après elle, afin qu’il n’y ait pas de marche arrière, il faut maintenant davantage inclure la société civile et l’opposition au parlement.
Marek Jurek (Pologne, ECR) a lui, tout en reconnaissant les nombreux progrès accomplis par la Géorgie dans un contexte délicat, davantage mis l’accent sur les doutes qu’il perçoit dans cette démocratisation du pays. Il s’est ainsi dit inquiet des mesures qui ont été prises contre l’ancien parti au pouvoir. Ici, l’enjeu n’est pas seulement les relations de la Géorgie avec l’Occident (et l’UE en particulier) mais ce sont toutes les avancées qui sont compromises sans un consensus large au sein de la société et au sujet de l’Etat de droit et de sa nature. Andrej Plenković (PPE, Croatie), Vice-président de la commission AFET, a lui aussi été plus nuancé sur les progrès de la Géorgie. Il a d’abord témoigné, au nom de son parti, de la satisfaction de voir la coopération entre la Géorgie et l’UE s’intensifier et a félicité le pays pour le changement de pouvoir démocratique en 2012/2013. Mais il est ensuite revenu sur la dernière résolution parlementaire adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur le fonctionnement des institutions démocratique en Géorgie ; cette résolution fait le constat que malgré les progrès accomplis, ce processus était entaché par le comportement de certains représentants. L’une des caractéristiques de la démocratie est que l’opposition d’aujourd’hui puisse devenir la majorité de demain, a-t-il ajouté, et il ne faut pas que les voies judiciaires constituent un obstacle à cela par un détournement des procédures judiciaires à l’encontre de membres de l’ancien gouvernement.
Mme Tsulukiani a exprimé ses regrets face à cette situation. La résolution montre, d’après elle, que l’opposition a tout fait pour compromettre la confiance des membres du Conseil de l’Europe. Elle a regretté cette attitude de l’opposition qui, selon elle, s’emploie à démonter la stratégie de la Géorgie pour la justice, la démocratie et l’Etat de droit depuis le changement de majorité. Les critiques émises par le Conseil de l’Europe ne sont pas une bonne nouvelle pour elle car, en tant qu’ancienne fonctionnaire de cette institution, la perception qu’en ont les géorgiens lui tient a cœur.
Concernant les poursuites pénales engagées contre d’anciens leaders (notamment l’ancien Président Tsakashvili), la ministre a fait allusion aux doutes apparus dans certains pays occidentaux et dissipés lorsqu’ils ont vu que ces poursuites étaient bien fondées sur des faits (répression d’une manifestation pacifique en 2007, violence à l’égard d’un député,…) et non animées par une idée de revanche. Et ceci est crucial pour avancer, car, d’après la ministre, « le peuple géorgien a besoin d’entendre qu’il y a eu des erreurs ». Le renforcement de l’autonomie des juges trouve une résonance toute particulière pour ce genre d’affaires: « le succès de nos réformes est tel qu’un juge géorgien peut se permettre de douter dans un procès impliquant un représentant de haut rang, dans le passé aucun juge géorgien ne se serait permis de douter dans une affaire particulièrement sensible ». En outre, Mme Tsulukiani a été interrogée sur la prétendue confiscation des biens de M. Tsakashvili dans le cadre de ces poursuites. Elle a dit que ceci était erroné ; il ne s’agit pas d’une confiscation mais de mesures conservatoires visant à geler les actifs (suite à une décision de la justice géorgienne d’août 2013), ce qui est bien différent d’une confiscation. De plus, il s’agit exclusivement de biens acquis par M. Tsakashvili depuis 2009 (tous les biens acquis avant 2009 par Tsakashvili ne sont pas concernés par cette affaire).
Des avancées en matière de justice
Au niveau judiciaire, les réformes sont en cours et constituent la priorité du gouvernement, notamment en vue de cet objectif maintes fois répété de consolidation de la démocratie.
La clé, d’après la ministre, est le renforcement de l’autonomie des juges et elle travaille sur un plan à trois étapes en ce sens. Il y a un an, elle avait évoqué devant le Parlement européen un besoin de « dépolitiser » le système judiciaire (faire cesser les pressions sur les juges,…) ce qui constituait la première étape. La deuxième était un système d’évaluation juste des juges. La troisième repose sur l’indépendance des juges et leur marge de manœuvre au sein du système judiciaire. La Commission de Venise a donné une opinion favorable sur tout ce travail réalisé en la matière par la Géorgie.
L’accès à la justice constitue une autre priorité. En décembre 2013, le pays a adopté une série de mesures pour la transparence du service de la justice, le renforcement des garanties des avocats et l’indépendance de l’institution chargée des prisons.
En droit pénal, on constate des évolutions sur plusieurs points. Des avancées ont été enregistrées, grâce à des réformes de mai 2013, quant à l’indépendance des procureurs. Le ministre de la justice qui détenait autrefois l’autorité principale en matière de justice ne la détient plus. Il ne peut plus interférer dans des procès pénaux en tant que tel a expliqué Mme Tsulukiani. C’est l’impartialité et l’autonomie vis-à-vis du pouvoir politique du système des poursuites qui en sort renforcé. De plus, le principe de l’égalité des armes entre la défense et l’accusation a longtemps posé problème en Géorgie. La ministre a fait part de son expérience d’avocate à la Cour européenne des droits de l’Homme pour témoigner des problèmes récurrents de son pays sur ce point vis-à-vis des obligations issues de la Convention. Des réformes de la procédure pénale ont donc été adoptées en juin 2013 pour assurer l’égalité des armes entre la défense et l’accusation au pénal. Quant au procès avec des jurés, cela a été introduit par le gouvernement précédent. L’expérience de la Géorgie est limitée en la matière. Mme Tsulukiani souhaite « étendre la compétence des jurés mais avant cela il faudra le rendre compatible avec les exigences de la CEDH ». Les mécanismes pour « marchander » sa liberté avec le procureur ont disparu tout comme les plaidoiries qui viseraient à procéder à ce type d’arrangement. La protection contre toute forme de discrimination directe ou indirecte a été renforcée par l’adoption de nouvelles lois en mai dernier. Enfin, au niveau de la protection des victimes, ce sont les standards les plus élevés qui ont été introduit puisque la Géorgie s’est inspirée de la jurisprudence de la CEDH et sur la directive de l’UE sur les droits des victimes.
Pour finir sur ce point, la ministre de la justice a proposé quelques chiffres qui reflètent les progrès de la Géorgie dans le domaine de la justice. Sur les cinq dernières années, les plaintes devant la CEDH à l’encontre de la Géorgie de la part de personnes qui ne peuvent trouver de résolutions devant les tribunaux géorgiens pour leur litige sont passées de 200 au premier semestre des années 2010, 2011 et 2012 à 79 en 2013 puis à 50 en 2014. D’une manière générale, en dépit d’avis parfois divergents, les observateurs internationaux commencent à s’accorder pour dire qu’il y a de véritables progrès en Géorgie.
Le combat contre la corruption
La lutte contre la corruption a aussi été un sujet abordé par Mme Tsulukiani et qui a fait réagir le député Tamás Meszerics (Les Verts, Hongrie). Comme plusieurs de ses homologues originaires de pays d’Europe de l’Est intervenus, il a établi un parallèle entre les problèmes de la Géorgie et ceux qu’a connu son pays avant d’entrer dans l’Union. Après avoir salué le succès de la transition en Géorgie et reconnu que ce pays « fait des efforts sur la voie de l’Union et en embrasse valeurs », il a fait part de sa préoccupation en matière de corruption (une difficulté pour tous les pays en transition), notamment celle au plus haut niveau qui est « celle qui porte le plus gravement atteinte à la démocratie parlementaire ». La ministre géorgienne avait rappelé la participation de la Géorgie au Partenariat gouvernance ouverte (elle en est même membre du bureau directeur depuis 2014) et les réformes visant une plus grande transparence et une bonne gouvernance. Mme Tsulukiani a aussi fait part du travail de son pays pour protéger les lanceurs d’alerte et mieux prendre en compte les normes internationales en la matière.
En conclusion, la démocratie et l’Etat de droit ont progressé en Géorgie ces dernières années, mais, bien sûr, il a encore du travail à faire. Cherchant à afficher au maximum sa bonne volonté, la ministre s’est engagée à suivre les recommandations et conseils du Parlement, s’est réjoui de la perspective d’une poursuite de ces échanges avec les députés européens et accueilli les quelques critiques des eurodéputés comme la preuve de l’attention que « les amis de la Géorgie » portent à cette dernière.
Prochaine étape : l’adoption du rapport sur l’accord d’association
Tous les députés intervenus ont apprécié le travail du rapporteur Andrejs Mamikins (S&D, Lettonie) sur ce dossier. D’abord l’implication du député letton a été saluée ; en effet, il avait notamment mené une mission d’enquête à Tbilissi début septembre, afin de voir lui-même ce qui se passait sur le terrain et afin de rencontrer différentes personnalités du monde politique géorgien y compris la ministre de la justice et des membres de l’opposition.
Ensuite, la qualité de son rapport sur l’accord d’association a été mise en avant. M. Mamikins a présenté ce projet de rapport et signalé que la date limite de dépôt des amendements est le 27 octobre. Dans ce rapport, il rejoint la tendance générale à constater des progrès en Géorgie, notamment sur l’indépendance des tribunaux qui est maintenant complète (ce qui se traduit par des enquêtes témoignant d’une confiance en hausse des citoyens géorgiens dans leur système judiciaire) mais il pointe toutefois le problème de la justice sélective. Enfin, M. Maminkins a insisté lors de la discussion sur l’importance de remettre les choses dans une perspective temporelle plus large. Il ne faut notamment pas oublier que, même si la Géorgie a entamé son processus d’intégration européenne il y a plusieurs années, c’est un pays qui a connu la guerre il y a six ans et qui doit, encore aujourd’hui, faire face à un territoire divisé.
Pour en savoir plus :
– Accords d’association : la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine signent un accord d’association avec la Géorgie ce 27 juin 2014 (Article EULogos): http://europe-liberte-securite-justice.org/2014/06/30/accord-dassociation-la-georgie-la-moldavie-et-lukraine-signent-un-accord-dassociation-avec-lunion-europeenne-ce-27-juin-2014/ (FR)
– Accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part :
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:22014A0830(02)&qid=1414155332777&from=FR (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:22014A0830(02)&qid=1414155332777&from=FR (EN)
– Geogria enters second stage of visa liberalisation action plan: http://agenda.ge/news/10830/eng (EN)
– Résolution 2015(2014) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe: Le fonctionnement des institutions démocratiques en Géorgie http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewPDF.asp?FileID=21275&Language=FR$ (FR)http://assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewPDF.asp?FileID=21275&Language=EN (EN)
– Service européen pour l’action extérieure, relations UE-Géorgie :
http://eeas.europa.eu/georgia/index_fr.htm (FR)http://eeas.europa.eu/georgia/index_en.htm (EN)
– Synthèse de l’audition de Johannes Hahn, commissaire désigné pour la politique européenne de voisinage et les négociations de l’élargissement (Article EULogos) :