L’Union européenne et l’UEFA sur la même longueur d’ondes

Avec cet article sur la collaboration entre l’UE et l’UEFA, nous poursuivons notre série d’articles sur « le sport en danger », cf. « Pour en savoir plus » !La collaboration entre l’Union européenne et l’Union des associations européennes de football (UEFA) a été intensive durant ce mois d’octobre. La Commission et l’UEFA ont en effet conclu un arrangement de coopération dans lequel les deux parties s’engagent à travailler ensemble sur différents défis auxquels le football est confronté : dopage, matchs truqués, violence,… La Commission y confirme aussi son soutien à l’ambitieuse et controversée réforme dite du fair-play financier conduite par le président Michel Platini et pleinement opérationnelle depuis le début de la saison 2013/2014. Ce dernier point a d’ailleurs été l’une des principales thématiques d’une réunion entre les ministres du Sports de l’UE, à laquelle a aussi participé M. Platini, les 20 et 21 octobre derniers à Rome.

 Le 14 octobre dernier, la Commission européenne et l’Union des associations européennes de football (UEFA) ont conclu un arrangement de coopération. Ainsi, les deux parties souhaitent renforcer leur coopération et l’arrangement répond à l’objectif général de « promouvoir et sauvegarder les valeurs d’équité et d’ouverture dans le sport ».

 Le texte aborde un ensemble d’enjeux auxquels est confronté le milieu du sport, et tout particulièrement le football, en Europe aujourd’hui. D’une part, l’accord pointe les potentiels bienfaits du sport et de sa promotion. Ceci en deux directions : au niveau social, en terme d’éducation et de santé publique, et au niveau économique puisque «  le sport représente un vaste secteur de l’économie en pleine expansion et contribue grandement à la croissance et à la création d’emplois, ce qui favorise la stratégie Europe 2020 » (paragraphe 2.2 de l’accord).

D’autre part, l’accord énumère, en son paragraphe 2.3, une série de combats à mener dans le football contre, sans surprises : les risques de corruption, de trucage de matchs (repris au paragraphe 2.11 où il est dit qu’ « il convient d’instaurer une coopération étroite prévoyant un échange d’informations entre les autorités publiques et les instances sportives pour prévenir et détecter les matchs truqués et enquêter sur ceux-ci »), d’instabilité financière, de traite des êtres humains, de dopage, de violence (repris au paragraphe 2.13 où l’arrangement appelle à des efforts visant à renforcer la Convention du Conseil de l’Europe sur la violence des spectateurs de 1985) et les discriminations (repris et développé au paragraphe 2.9 en les termes suivants : « promouvoir le dialogue social dans le sport, protéger les droits fondamentaux consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, lutter contre toutes les formes de racisme, de xénophobie, d’homophobie et toutes les formes de discrimination »).

 Dans cet arrangement, les deux parties entendent aussi apporter des solutions aux problèmes liés aux transferts et agents de joueurs au niveau européen. Plus spécifiquement, elles veulent encadrer la pratique des joueurs en propriété de tiers, y voyant une potentielle source « d’attente à la dignité humaine » des joueurs concernés, de « mise en péril de l’intégrité des compétitions sportives » ou d’obstacle «  à la relation de confiance et de respect mutuel qui devrait exister dans toute relation d’emploi » (paragraphes 2.9 et 2.10). Lors de la réunion de Rome des 20 et 21 octobre, Michel Platini a confirmé cette approche et demandé l’aide de l’UE pour bannir la propriété des joueurs par des tiers, chemin dans lequel s’est aussi engagé la FIFA récemment, car « cela ne respecte pas la dignité des joueurs qui voient leur liberté aliénée au gré des abus d’autorité et des lucratives opérations financières effectuées sur leur dos par leurs propriétaires ». En bref, il s’agit d’une pratique par laquelle les clubs cèdent une partie des droits de leurs joueurs à des fonds privés (permettant à un club de réduire sa dépense au moment de l’achat d’un joueur puisque le fonds en question participe aussi mais ce dernier bénéficie d’une partie de la somme tirée de la revente du joueur, opération pour laquelle il donne son accord).

 Les questions financières sont aussi abordées dans l’arrangement ; d’abord, les parties conviennent de l’importance de « la solidarité financière entre sport d’élite et sport de masse, mais aussi entre les clubs professionnels, quel que soit le sport ». Elle est en effet vue comme un moyen, à long terme, de « maintenir la viabilité financière des clubs et l’équilibre compétitif, protégeant ainsi également l’intégrité des compétitions sportives ».

On remarque également que la Commission a réaffirmé son soutien au fair-play financier, une des réformes majeures de l’ère Platini à la tête UEFA: « La stabilité financière, la transparence et une meilleure gouvernance dans le domaine du sport passent par une autorégulation responsable. À cet égard, et sous réserve de conformité avec le droit de la concurrence, des mesures visant à améliorer la rationalité et la discipline des finances des clubs en privilégiant le long terme plutôt que le court terme, comme l’initiative en faveur du «fair-play financier», contribuent au développement durable et à la saine croissance du sport en Europe ». L’ancien commissaire à la concurrence, l’espagnol Joaquin Almunia, avait déjà apporté son soutien à ce dispositif en soulignant la cohérence entre les règles du fair-play financier et la politique de la Commission en matière d’aides d’Etats. Dans une déclaration commune UE/UEFA de mars 2012, les deux parties s’accordaient à dire que « la règle de l’équilibre financier reflète un principe économique sain qui encouragera davantage de rationalité et de discipline dans les finances des clubs et, par là même, contribuera à préserver les intérêts généraux du football ». L’ancienne commissaire en charge des sports, Mme Androulla Vassiliou a ajouté le fair-play financier qui est à la source de l’équité dans les compétitions sportives car « si l’argent est certainement bienvenu dans le sport pour aider à son développement, ce ne doit pas être au détriment de la nature essentielle du sport ». Michel Platini a demandé le soutien de l’Union pour faire appliquer le fair-play financier. Il s’agit d’un dispositif relativement complexe induisant de profonds changements dans l’économie du football européen, sur lequel il convient d’apporter des précisions.

 Le fair-play financier, un objectif : améliorer la santé financière générale du football de clubs européen

 Le fair-play financier est un instrument de régulation économique qui vise un assainissement des finances des clubs européens. A cette fin, il repose sur deux piliers : la régularité des paiements et l’équilibre économique. Le fair-play financier est en vigueur, dans son intégralité, depuis de la saison 2013/2014. Mais pour certains éléments, cela remonte à plus longtemps. En fait, depuis 2011, les clubs qualifiés pour les compétitions de l’UEFA doivent prouver, pendant toute la saison, qu’ils n’ont pas d’arriérés de paiement envers d’autres clubs (indemnités de transfert par exemple), leurs joueurs (salaires) et les administrations sociales et fiscales (impôts). A partir de la saison 2013/2014, ce sont les exigences relatives à l’équilibre financier qui sont entrées en vigueur : ceci pourrait être simplifié par l’idée qu’un club ne doit pas dépenser plus que ce qu’il ne gagne mais ce n’est pas exact. Les clubs peuvent dépenser 5 millions d’euros de plus que ce qu’ils gagnent par période d’évaluation, en sachant qu’une période d’évaluation dure trois ans. Il existe une exception transitoire : les pertes peuvent en effet aller jusqu’à 45 millions d’euros pour les saisons 2013/14 et 2014/15, puis elles pourront atteindre 30 millions d’euros pour les saisons 2015/16, 2016/17 et 2017/18 si elles sont couvertes intégralement par une contribution ou un paiement direct par les propriétaires du club ou une partie liée. Cette limite sera encore abaissée par la suite, mais le montant exact n’a pas encore été fixé.

 Les performances financières des clubs sont évaluées par un panel financier formé par l’UEFA et a été dirigé par l’ancien Premier ministre belge Jean-Luc Dehaene. Les investissements de long terme comme ceux faits dans les stades, les centres d’entraînement et les centres de formation sont exclus du calcul du résultat relatif à l’équilibre financier.Jusqu’ici, le fair-play financier a montré son efficacité en matière de contrôle des finances des clubs puisque les pertes cumulées des clubs européens ont été ramenées en 2013 à 800 millions d’euros contre 1,7 milliards en 2011. Une tendance saluée par Michel Platini pour qui « nous sommes sur la bonne voie, passant d’un cycle vicieux à un cycle vertueux».

 Un arsenal de sanctions diversifiées

 Le dispositif est aujourd’hui intégralement en vigueur et les premières sanctions pour les clubs qui ne respectent pas les exigences s’appliquent pour la saison en cours, 2014/2015. Ces sanctions vont de la mise en garde au retrait d’un titre en passant notamment par l’amende, l’encadrement de la masse salariale, la limitation du nombre de joueurs inscrits pour participer à une compétition ou encore l’exclusion d’une compétition. L’esprit n’est pas à la sanction, plus à la discussion, au moins dans un premier temps (ainsi, lorsqu’un club ne respecte pas certains critères, il lui est d’abord demandé un rapport détaillant les mesures à prendre pour y remédier). Toute décision de l’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) peut faire l’objet d’un appel dans les dix jours. Une fois qu’un club est en règle vis-à-vis des obligations du fair-play financier, les sanctions cessent de s’appliquer la saison suivante.

L’un des exemples phares d’application du fair-play financier concerne le Paris Saint-Germain, propriété depuis 2011 de Qatar Investment Authority, fonds d’investissement souverain du Qatar, présidé par l’émir Tamin bin Hamad al-Thani. Depuis cette date, ce club est en effet un des plus dépensiers d’Europe avec près de 500 millions d’euros investis dans le domaine du recrutement… sans pour autant avoir des recettes proportionnelles (le modèle économique du PSG repose sur les dépenses directes de l’actionnaire qatari, qui ne sont pas comptabilisées dans les recettes des clubs, c’est là tout l’intérêt du fair-play financier). Il ne répondait donc pas du tout aux exigences du fair-play financier et, après un accord entre le club et l’ICFC, le PSG a écopé des sanctions suivantes : il ne peut aligner que 21 joueurs au lieu de 25 en Ligue des Champions, sa masse salariale a été limitée à 230 millions d’euros, il a écopé d’une amende de 60 millions d’euros dont 20 millions fermes et doit réduire son déficit à 30 millions d’euros à la fin de la prochaine saison.

Une réforme source de débats dans le monde du football

Parmi les opposants au fair-play financier, on retrouve, sans surprise, Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG. Il regrette que le fair-play financier ne fige la hiérarchie actuelle du football européen en empêchant un investisseur de rapidement débloquer des fonds sur le marché des transferts pour faire progresser son club. Selon lui, le fair-play financier est « injuste », « bloque les nouveaux investisseurs, protège les grands clubs et oblige les petits clubs à rester des petits ». Ce sentiment est exacerbé par le fait que le fair-play financier ne prend pas en compte le problème de la dette des clubs qui est colossale pour certains clubs historiques du football européen (l’inclusion de la dette dans les critères du fair-play financier pourrait être une piste qui sera évoqué lors du prochain comité exécutif de l’UEFA en mai 2015, Michel Platini ayant annoncé que le comité discuterait d’éventuelles retouches à apporter au fair-play financier cette date tout en excluant la possibilité de le supprimer). Toujours selon le dirigeant parisien, le fair-play financier pourrait être un obstacle à l’arrivée de nouveaux investisseurs dans le football et ils se détourneront alors vers d’autres secteurs plus accueillants : « Si les nouveaux investisseurs ne peuvent pas venir dans le football, ils iront investir dans le Formule 1 ».

C’est là une vision totalement opposée à celle de Michel Platini pour qui « beaucoup d’investisseurs ne viendront que s’il y a le fair-play financier ». D’après le Président de l’UEFA, le fair-play financier crée justement les conditions d’une meilleure régulation financière et donc un environnement plus rationnel susceptible, in fine, de rassurer les investisseurs et de les amener à investir dans le football. Parmi les opposants à la vision du PSG, on retrouve également l’un des principaux dirigeants du Bayern Munich (club considéré comme économiquement vertueux par les spécialistes), Karl-Heinz Rummenigge, qui est aussi président de l’Association des clubs européens (ECA) qui soutient le fair-play financier. « J’appelle chaque club à adhérer aux règles du fair-play financier, a affirmé M. Rummenigge, Ce règlement ne doit pas être  vu comme une attaque contre les clubs, mais comme une évolution positive sur le long terme ». De toutes façons, ce n’est pas l’objectif du fair-play financier que de niveler la taille et la richesse des clubs. Il vise juste à encourager les clubs à construire un modèle économique solide (pas seulement dépendant d’un actionnaire) et ne pas chercher en permanence des solutions rapides (d’où le fait que les investissements dans les stades et centres ne soient pas comptés). Enfin, il faut relativiser la portée injuste de ces règles car le déficit acceptable est fixé en un montant absolu et non en un pourcentage ce qui permet tout de même aux clubs moyens de construire un potentiel de croissance dans un cadre moins restrictif que les grands clubs.

Un dispositif vainement contesté devant la Commission européenne

 La première plainte contre le fair-play financier été déposée en 2013 par l’avocat Jean-Louis Dupont (qui était déjà à l’origine de l’arrêt Bosman en 1995) auprès de la Commission européenne (et du tribunal de première instance de Bruxelles) au nom de l’agent Daniel Striani. Ses arguments étaient de dire que « le fair-play financier crée les restrictions de concurrence suivantes : limitation des investissements, une structure de concurrence existante figée,la diminution du nombre de transferts, de leurs montants et du nombre de joueurs sous contrat par club, la pression déflationniste sur le niveau de salaire des joueurs et « par conséquent une diminution des revenus des agents de joueurs ».

La Commission a rejeté cette plainte en mai dernier. Elle a affirmé que M. Striani, agent de joueurs, n’avait pas d’intérêt légitime puisque les exigences du fair-play financier ne concernent pas les agents. La Commission conclu que les effets du fair-play financier sur les activités de M. Striani n’apparaissent pas clairement et en conséquence il est dépourvu de l’intérêt légitime à agir. A ce jour, il s’agit bien de la seule plainte qui ait été déposée contre le fair-play financier, ce qui signifie donc qu’aucun club, bien qu’ils soient pourtant les acteurs du marché directement concernés, n’a agit en justice. Ceci, selon la Commission, s’explique notamment par le fait que ces acteurs aient été consultés avant et au moment de l’adoption de ces règles. Autrement dit, tant sur le fond que sur la forme, la Commission valide bien le travail de l’UEFA sur le fair-play financier.

 

 Clément François

 Pour en savoir plus :

 – Décision de la Commission du 14.10.2014 portant adoption de l’arrangement de coopération entre la Commission européenne et l’Union des Associations européennes de football (UEFA) http://ec.europa.eu/sport/news/2014/docs/uefa2014_fr.pdf (FR)

http://ec.europa.eu/sport/news/2014/docs/uefa2014_en.pdf (EN)

 

– Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matchs de football (Conseil de l’Europe) : http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/120.htm (FR)

http://conventions.coe.int/Treaty/en/Treaties/Html/120.htm (EN)

 

– CJUE, arrêt Bosman C-415/93, 15 décembre 1995 :

http://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf;jsessionid=9ea7d0f130d5bc5312df9ff24ceba065aeea9081c4a8.e34KaxiLc3eQc40LaxqMbN4Obh0Qe0?text=&docid=99445&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=289068 (FR)

http://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf;jsessionid=9ea7d0f130d5bc5312df9ff24ceba065aeea9081c4a8.e34KaxiLc3eQc40LaxqMbN4Obh0Qe0?text=&docid=99445&pageIndex=0&doclang=EN&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=289068 (EN)

 –        Le sport en danger, dossier sport de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3305&nea=151&lang=fra&arch=0&term=0      

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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