Le 6 novembre 2014 les députés de la commission LIBE ont écouté et interrogé les représentants du Conseil et de la Commission sur l’opt-back-in du Royaume-Uni sur 35 mesures en matière de coopération policière et judiciaire pénale. Lors des débats, très tendus, les députés ont fait pression pour plus d’informations et de transparence. Une meilleure compréhension d’un processus crypté.
Le cadre juridique et procédural
Le 1er décembre 2014 marquera la fin la période transitoire prévue pour la communautarisation de l’ancien troisième pilier, concernant la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Cela aura comme effet la pleine compétence de la Commission et de la Cour de Justice de l’UE en la matière, ainsi que l’application de la procédure législative ordinaire, comme cela avait déjà été introduit par le traité de Lisbonne dans les autres domaines JAI (justice et affaires intérieures).
Il faut savoir que le Royaume Uni, en cette matière, bénéficie d’un statut particulier, à dimension variable, sur la base d’un complexe dispositif d’opt-in et opt-out qui lui permet de choisir les instruments législatifs auxquels le Royaume-Uni souhaite participer ou pas. De plus, selon l’article 10 du protocole 36, il a le privilège ‘any time after the measure is adopted’ de revenir sur ses engagements.
En effet, c’est sur cette base que le 24 juillet 2014 le RU a notifié au Conseil la décision d’ “opt-back-in” concernant certaines des mesures de l’acquis du troisième pilier, auxquelles il était exclu auparavant (35/130). Il faut souligner, toutefois, que cette volonté de la part du RU ne concerne que les actes ‘non-lisbonisés’, à exception de ceux qui ont été amendés après le 1er décembre 2009. (date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne)
Afin de garantir une cohérence juridique par rapport aux autres mesures où le Royaume-Uni n’est pas intéressé à rentrer, ainsi qu’aux autres instruments où il s’est déjà engagé, des négociations sont donc en cours entre le gouvernement Britannique, d’une part, et le Conseil de l’Union et la Commission, de l’autre. Plus précisément, le Conseil est chargé de l’examen de la demande de participation aux mesures Schengen ; dans le cas d’espèce, celles relatives à la protection des données, à la convention Schengen, au SIS II et au réseau SIS II (6/35). En même temps, la Commission s’occupe de l’analyse de compatibilité des dispositions restantes, qui ne sont pas liées au cadre normatif Schengen. Parmi ces dernières on retrouve le Mandat d’Arrêt Européen, Europol, Eurojust et le Réseau Judiciaire Européen.
Les résultats des négociations en cours aboutiront à l’ensemble des arrangements transitoires et financiers, à condition du vote unanime au Conseil, qui éviteront toute lacune juridique et politique. L’ensemble des débats aura terme le 1er décembre, où le RU déposera sa notification officielle.
Il est évident que, selon ce que prévoit la procédure formelle, le Parlement Européen n’a aucun rôle dans le processus d’opt-back-in du RU. Cependant, étant donné l’importance du dossier, deux échanges de vues entre les institutions et une présentation orale par le service juridique ont eu lieu dans la commission LIBE, en avril et en juillet 2014. En plus, en juin 2014 la Commission a transmis un document officieux indiquant l’état des négociations (non liées à Schengen) à ce jour. Dans ce cadre, le 6 novembre 2014 les députés de la commission LIBE ont écouté et interrogé les représentants du Conseil et de la Commission. Ils ont fait pression pour plus d’information et de transparence.
Echange des vues à Libe: la Commission et le Conseil
Pour sa part, la Commission a énoncé plus en détail ses perspectives concernant le » troisième pilier « JAI. D’une part, elle a souhaité la coopération avec le Parlement Européen dans l’examen des actes obsolètes (pré-Lisbonne), qui seront, donc, objet d’une révision appliquant la procédure de codécision. Mais, surtout, elle s’est exprimée quant à la décision du Royaume Uni de revenir sur les mesures ‘opt-out’, dans le cadre du protocole 36. Sur ce point la Commission s’est limitée à éclairer son rôle limité à garantir la cohérence juridique, sur les questions non-Schengen, renvoyant à la notification officielle du Royaume-Uni qui aura lieu le 1er décembre prochain.
Dans un deuxième tour de parole elle a précisé les quatre instruments qui devront être ajoutés à la liste des 35 mesures, afin d’éviter tout risque de vide juridique. Notamment, il y a trois actes concernant Europol et un dernier qui porte sur le Réseaux Judiciaire Européen. Les chiffres sont bons, mais pour une liste claire et exhaustive, insiste-t-elle, il faudra attendre le 1er décembre.
L’action de la Commission, comme expliqué auparavant, est complétée par celle du Conseil, qui est également intervenu lors de la dernière réunion LIBE. Lui aussi a tenu à souligner l’importance de son rôle afin d’éviter les lacunes opérationnelles et procédurales de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. D’ailleurs, d’après ses déclarations, il s’agit des questions délicates qui ne touchent pas seulement la sécurité du Royaume Uni, mais aussi celle des citoyens de l’Union.
Le représentant du Conseil a beaucoup insisté dans son intervention : ‘la présidence du Conseil procède sur cette voie afin d’assurer la participation la plus large possible’ ; de même, il a présenté de manière très détaillé le calendrier des réunions : quatre réunions de travail, dont une qui a eu lieu le 7 novembre 2014 ; de plus, au mois d’octobre, les débats ont été approfondis lors du Conseil JAI et celui des Affaires Générales.
En effet, dans le document qui résume les conclusions de cette réunion, il y a quelques informations : ‘Le Conseil a été informé de l’état d’avancement des préparatifs de la fin de la période de transition post-Lisbonne pour les mesures relevant de l’ex-troisième pilier, période qui s’achève le 30 novembre 2014.’ Un seul détail révèle : ‘le Royaume-Uni a présenté une déclaration, à inscrire au procès-verbal de la session, sur ses intentions en ce qui concerne les décisions Prüm ainsi que la décision-cadre relative à la probation.’
Toutefois, dans sa présentation, le Conseil reste mystérieux quant à la substance des négociations, mentionnant à peine la persistance d’une réserve de la part d’un état en particulier, pas spécifié malgré l’insistance des députés. En même temps, il prend la défensive: ‘les Etats membres font tout ce qu’ils peuvent, mais c’est le RU qui confirmera sa position’.
Echange de vues à Libe: plus de transparence
Sophie in ’t Veld, députée néerlandaise ALDE, n’est pas du tout satisfaite (elle l’a fait savoir avec sa vigueur habituelle) par la manière très incomplète dont le Parlement européen a été informé par la Commission, à travers une lettre à la présidence. Elle soutient le renforcement de l’Espace de Liberté Sécurité et Justice, pas seulement se focalisant sur sa cohérence. De même, elle invite le Conseil à donner plus de précisions sur la réserve sur la table des négociations : ‘il faut être transparents !qui pose cette réserve ?de quoi s’agit-il ?qu’est-ce qu’on fait pour lui faire face ? Comment intervient l’Union ?’.
Sollicité par la députée, Mr. Orlando, représentant du Conseil, révèle: les négociations et les discussions ont été longues et complexes. Plusieurs États ont présenté des doutes et soulevé des obstacles, qui ont été finalement levés, exception faite pour une dernière réserve. Elle rentre dans le domaine non-Schengen, notamment en lien avec le traité de Prüm. Il s’agit du ‘Business case’ britannique, qui a fait objet d’une déclaration de la part du RU, lors du Conseil Affaires Générales. Orlando, au nom du Conseil, rassure: ‘Nous cherchons à garantir la réciprocité; nous avançons, surtout grâce aux contacts bilatéraux, mais je ne peux pas vous révéler le nom l’État responsable du blocage.’
Echange des vues à LIBE : députés anglais vs. députés européens.
C’est Kirkhope (ECR, anglais) qui a ouvert le débat, remarquant qu’il faut agir le plus rapidement possible pour intégrer le Royaume Uni dans le troisième pilier, notamment réglant les problématiques lié à la sécurité, à EUROPOL et au traité de Prüm. Il se félicite du climat et de l’attitude positifs des négociations qui s’apprêtent à être clôturées, même si certaines questions restent ouvertes vu qu’il s’agit des mesures qui n’ont pas été mises à jour depuis longtemps et qui, donc, devront être révisées dans l’avenir, ce qui pourrait avoir un impact sur le travail de la commission.
Jan Philipp Albrecht (Verts, allemand) considère qu’une situation dont le Royaume Uni accepte les obligations procédurales tout en laissant de côté celles substantielles relatives aux Droits Fondamentaux ne serait pas conforme aux Traités. Dans ce cas il faudra ouvrir des procédures d’infraction.
Comme nous venons de le voir, lors de son intervention, Sophie in ’t Veld a aussi présenté une demande d’éclaircissements sur les arguments des différentes parties , tenant compte du vote intervenu au Parlement britannique, ainsi que plus de transparence à l’égard du Parlement européen sur les modalités du dialogue entre le RU et l’Union : ‘sommes-nous au courant des points supplémentaires ajoutés à la liste par la Commission ?’, demande-t-elle. Enfin elle demande une liste claire et exhaustive des mesures opt-in et opt-out, afin d’avoir une vision complète des mesures pour lesquels il y aura, ou pas, une coopération avec le Royaume Uni en cette matière.
Gerard Batten (membre non inscrit du Royaume Uni), se sentant personnellement concerné, a voulu intervenir en réponse à la députée Sophie in’ t Veld. Tout d’abord il l’a invitée à lire le rapport complet sur les opt-in et opt-out anglais, publié sur son site personnel.
En outre, il a clarifié la position du gouvernement britannique, notamment sur le Mandat d’arrêt Européen. ‘Le 29 octobre,’ a-t-il reporté, ‘Cameron a annoncé qu’il n’y a pas de transfert des pouvoirs et les juges peuvent refuser une demande d’extradition faite sur la base du MAE. Il a dit aussi que les gens ne peuvent pas être détenus longtemps dans les pays étrangers’. La révision des opt-out, d’après la position britannique, ne comporte pas de vrais pouvoirs, les mesures ‘n’ont aucune portée et ont seulement un caractère redondant’.
De plus, Mr. Batten rappelle que le MAE prévoit 32 catégories de délits qui sont vagues, la marge de manoeuvre des juges, donc, reste ample. ‘Mais alors,’ se demande-t-il, ‘pourquoi il serait possible d’extrader quelqu’un, sans qu’il y ait une preuve, autre que celle de la gravité du délit?’ ; en même temps, il exprime ses doutes quant aux garanties sur le respect de la brièveté de la détention.
Enfin, il conclut: ‘On remplace un système qui fonctionne depuis des siècles par un système complètement inconnu. La question c’est que nous abandonnons notre souveraineté à la Cour de justice. Nous abandonnons l’état de droit pour l’idéologie de l’Union Européenne.’ Ces déclarations très agressives soulèvent la remarque formelle du président LIBE (Claude Moraes), pour avoir dépassé le temps de parole, ainsi que le commentaire de la députée Sophie In’t Veld: ‘Le système du droit de l’Union n’est pas étranger au Royaume Uni qui a participé à plein titre au processus décisionnel’. Mais Mr. Batten contre attaque : ‘merci d’avoir rappelé que le gouvernement britannique est un nid de traîtres’.
En complément au débat…
Un document publié par le Parlement britannique (voir en savoir plus) présente un cadre complet des discussions entamées au niveau européen ainsi que national. D’une première lecture, il est déjà évident que la question du Mandat d’arrêt Européen est et restera une question clé. Mais les négociations européennes semblent être bien avancées.
Une curieuse discordance concerne les mesures ajoutées au paquet britannique par la Commission et le Conseil, à des fins de cohérence ; partant, certains académiques, tout en respectant l’importance d’éviter des vides juridiques, assument une vision plus critique dénonçant l’attitude fermée de la part des institutions de l’Union, à cause des tensions apparues dans d’autres domaines politiques. En outre, la position du député Batten, confirme qu’un autre point clé touche la compétence de la Cour de Justice de l’UE qui pourra s’exprimer sur tous les actes relatifs aux 35 mesures négociées.
D’une façon plus générale, la position du gouvernement britannique peut être résumée par les déclarations de Theresa May, Home Secretary du Royaume- Uni, qui a souligné : ‘The Government’s policy is clear. We have exercised the United Kingdom’s opt-out and are negotiating to rejoin a limited number of measures where we believe that it is in the national interest to do so.’
En conclusion, comme l’explique de manière très exhaustive le Professeur Steven Peers, (cf. « pour en savoir plus »), la notification du 1er décembre ne mettra pas un point final aux négociations. En effet d’autres questions restent ouvertes : d’une part, comme a été soulevé lors de la réunion LIBE par Kirkhope, beaucoup d’actes sont en cours de révision, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les arrangements futures entre l’UE et le RU. En outre, le Traité de Prüm (*) respectera un autre calendrier qui dépasse la date prévue pour les élections nationales au Royaume Uni, ce qui ajoute des doutes sur la stabilité des accords qui seront conclus début décembre.
Cette passe d’armes illustre deux choses : le Royaume-Uni se comporte comme « un enfant gâté » : ses partenaires ont multiplié les concessions, d’autre part ce protocole 36 donne un avant goût de ce que serait une négociation de sortie du Royaume-Uni ou de son maintien dans l’Union européenne. Le résultat ne pourrait être qu’inextricable, une paralysie institutionnalisée. C’est pourquoi il faut être reconnaissant à Jean-Claude Piris (ancien directeur général du service juridique du Conseil, acteur et témoin de ces trente dernières années) d’avoir dans un article de la Fondation Robert Schuman mis en garde et tenté de mettre un peu de clarté en décrivant un petit nombre de scénarios et les conditions de leur mise en œuvre. Au passage Jean-Claude Piris fait l’historique des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, bref et saisissant. Cet historique a été marqué « par des malentendus, un manque d’enthousiasme et un nombre croissant de dérogations. Quarante ans après leur adhésion, les Britanniques pourraient bientôt avoir le choix de rester dans l’Union européenne ou d’en sortir. Paradoxalement la question se pose au moment où le Royaume-Uni a atteint la plupart de ses objectifs en matière de politique européenne :
-élargir l’Union européenne, sans la renforcer, et sans changer ses institutions ;
– bénéficier pleinement des avantages du Marché intérieur en dépit de nombreuses dérogations dans d’autres domaines ;
– garder un contrôle strict de sa défense et de sa politique étrangère, tout en libéralisant le commerce extérieur ;
– se débarrasser de tout symbole de fédéralisme, etc »
Notons que l’énumération se termine par un etc qui a tout son poids. La conclusion tombe : ‘’ les autorités du Royaume-Uni devront choisir parmi trois scénarios possibles avant de tenter d’orienter le peuple britannique vers l’un d’entre eux ‘’ .
Elena Sbarai
(*) Le traité de Prüm a été conclu en 2005 avec l’objectif de renforcer la coopération européenne en améliorant l’échange d’informations, dans les domaines concernant la lutte contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et l’immigration illégale. De même, il a des implications sur des secteurs tels que la consultation automatisée et le prélèvement de matériel génétique ou de profils ADN dans un but répressif. (Décision 2008/615/JAI http://eur-lex.europa.eu)
En savoir plus
Version consolidée TFUE, Protocol 36 FR http://eur-lex.europa.eu EN http://eur-lex.europa.eu
communiqué de presse (version provisoire), session du Conseil Affaires générales du 21 octobre 2014 FR http://www.consilium.europa.eu
Steven Peers, Statewatch analysis, The UK opt in to pre-Lisbon EU criminal law, July 2014 EN http://www.statewatch.org
Vaughne Miller, International Affairs and Defence Section, The UK block opt-out in police and judicial cooperation in criminal matters: recent developments (SN/IA/6930) 6 November 2014 EN http://www.parliament.uk
Question d’Europe n° 328 Fondation Robert Schuman 13 octobre 2014, Jean-Claude Piris : L’accélération de l’intégration différenciée et de la coopération renforcée http://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-328-fr.pdf
Editorial n° 151 de Eulogos « le noyau dur européen a vingt ans » http://eulogos.blogactiv.eu/2014/10/30/editorial-du-n%C2%B0-151-de-nea-say-l%E2%80%99idee-de-creer-un-%C2%AB-noyau-dur-%C2%BB-d%E2%80%99etats-europeens-une-avant-garde-voulant-avancer-plus-vite-a-vingt-ans-depuis-rien-ou-si-peu/