Elections législatives en Ukraine (26 octobre 2014) , compte rendu de la réunion AFET du Parlement européen en présence de Tana Zulueta (OSCE/BIDDH)

  Lors de sa réunion du 3 novembre 2014, la commission Affaires étrangères du Parlement européen a reçu Mme Tana de Zulueta, directrice de la mission d’observation de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSSCE) sur les élections législatives du 26 octobre 2014 en Ukraine. Mme de Zulueta avait dirigé une mission du même type pour les élections présidentielles ukrainiennes du 25 mai 2014 et il s’agissait de sa troisième rencontre avec la commission AFET. Cette visite a été l’occasion d’un échange avec les eurodéputés sur les élections législatives et plus généralement sur la situation politique en Ukraine.

 Introduction : structure de la mission d’observation et résultats des élections

 Mme de Zulueta a d’abord présenté la mission de l’OSCE. Cette dernière se composait de 700 personnes. Trente-neuf pays de l’organisation étaient représentés dans cette mission ainsi que le Japon et des observateurs au nom de l’UE pour un total de 200 observateurs le jour des élections. Parmi ces trente-neuf pays, figurait la Russie dont Mme de Zulueta a dit que les observateurs étaient, comme tous les autres, intégrés dans des équipes mixtes en terme de nationalité, et ont rendu des rapports qui ne détonaient pas par rapport aux autres. Une partie de l’équipe était sur place depuis le 17 septembre afin d’observer aussi la période préélectorale. Le jour des élections, ce sont plus de 3000 bureaux à travers le pays qui ont pu être observés, notamment via des observations directes sur le décompte des voix. Mme de Zulueta a fait état d’une évaluation positive sur 99% des bureaux de vote observés.

 Un rapport a été fait pour toutes les régions et le document final a été publié (cf pour en savoir plus). La mission n’a cependant pas observé les régions de Donetsk (sauf à Slaviansk et Kramatosk mais uniquement le jour des élections) et Lougansk. De plus, il n’y a pas eu de vote en Crimée.

 Au final, la participation a été légèrement supérieure à 50%. Seulement 6 des 29 partis qui se présentaient ont pu rentrer au parlement. C’est l’alliance de partis soutenant le Président Porochenko qui a remporté le plus de sièges (132) devant le Front populaire, parti du Premier Ministre (82 sièges) puis le parti Samopomitch (démocrates-chrétiens, 35 sièges). 27 sièges sur les 400 que compte le parlement ukrainien sont restés vacants car 12 députés n’ont pas été élus en Crimée, 9 dans la partie de Donetsk et 6 dans la partie de Lougansk (malgré cela, le Parlement sera bien valide car il suffit de 300 membres élus selon la constitution ukrainienne).

 Bilan globalement positif pour le déroulement de ces élections

 Mme de Zulueta a dressé un bilan qui est dans l’ensemble positif concernant les conditions et la tenue de ces élections législatives. L’administration électorale a bien géré le processus et le calendrier a-t-elle fait valoir. Tout ceci est dans la continuité de ce que l’OSCE avait observé pour les élections présidentielles et c’est très important, a-t-elle souligné, devant les défis à venir car cela évite de nouvelles tensions. Les résultats n’ont, d’ailleurs, été remis en cause par aucun parti politique et le Ministre russe des affaires étrangères a dit les accepter.

Plusieurs députés ont rejoint ce constat : Johannes Cornelis van Baalen (ALDE, Pays-Bas), le président Elmar Brok (PPE, Allemagne) ou encore Marc Demesmaeker (ECR, Belgique) qui a, lui, parlé d’élections « normales » et insisté sur le fait que ces dernières aient le mérite de doter les ukrainiens d’une une véritable représentation du peuple légitime après les évènements de Maïdan et la fuite de l’ancien Président Viktor Ianoukovytch.

 Andrej Plenković (PPE, Croatie), Président de la délégation à la commission de coopération parlementaire UE-Ukraine est intervenu longuement et il a partagé cette idée d’un bon déroulement des élections. Il a présenté l’ensemble de ces rapports, des conclusions et critiques qu’ils contiennent comme un encouragement pour les autorités de l’Ukraine pour améliorer le cadre législatif et faire autant de progrès que possible pour les élections futures. Il a salué le « message pour la paix qui est celui qui ressort des élections » et le travail de la commission électorale qui a fait d’importants efforts et permis aux citoyens qui résident dans les parties dites occupées de participer aux élections. Selon lui, certains éléments ont été déterminants pour créer une atmosphère plus calme entre les élections présidentielles et les législatives : l’accord de Minsk, l’accord de Bruxelles de reporter l’entrée en vigueur de l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine à janvier 2016 ou encore l’accord gazier entre Naftogaz et Gazprom.

Il a replacé ces élections dans un programme en trois temps: Maïdan, les élections présidentielles et les législatives. Selon lui, elles ont donné un nouveau paysage duquel il ressort que la plupart des ukrainiens ont voté pour l’Europe, les réformes et l’intégrité territoriale du pays, sujet sur lequel il a insisté rappelant que l’Ukraine pouvait compter sur le soutien de l’UE. La formation rapide du Parlement et du nouveau gouvernement consolide les institutions Il a aussi souligné l’importance pour l’Union de maintenir ses échanges avec des organisations de la société civile ukrainienne.

 Mais tout n’est pas réglé, loin de là (on compte près de 4000 morts depuis le début du conflit, une grande partie du territoire n’est pas accessible aux autorités ukrainiennes,…). Les deux objectifs clés du pays semblent maintenant être d’avoir des réformes pour rapprocher le pays de l’Europe et de réussir une réintégration pacifique de l’ensemble du territoire. Des attentes ont été créées après l’accord de Minsk et le soutien du Parlement européen et de l’ensemble des institutions européennes est d’une importance cruciale pour l’avenir du pays, a-t-il conclu.

 Les difficultés notées lors des élections :

 Mme de Zulueta a cependant rapporté que la mission de l’OSCE avait constaté des difficultés lors des élections. Selon elle, certaines d’entre elles sont imputables au fait que les citoyens aient été assez nombreux à se rendre aux élections (plus de 50% de participation sur l’ensemble du pays).

 Si, dans l’ensemble, le scrutin s’est plutôt bien déroulé, elle note une claire démarcation entre les zones sous l’autorité de Kiev et les régions de l’est, contrôlées par les séparatistes, où l’on relève, notamment, une moindre participation que dans le reste du pays. Elle regrette que, malgré l’accord de Minsk de septembre, les combats se soient poursuivis pendant et après les élections.

Mme de Zulueta a aussi fait état de deux cas d’intrusion d’hommes en uniforme et armés dans des bureaux de votes, dont un à Kiev, qui ont agit comme une force d’intimidation et affecté le processus de vérification des inscrits sur les listes électorales. Mme de Zulueta a dit que son équipe avait fait un rapport le signalant, et que ce sont particulièrement des membres du Parti communiste qui en ont été victimes. C’est une question qui a été prise très au sérieux par l’équipe de l’OSCE étant donné, qu’au-delà de la gravité même de telles situations, il y avait eu des informations disant que beaucoup d’armes avaient circulé et que différents de chefs de bataillons ont été candidats dans l’est du pays (à Donetsk et Lougansk notamment). Elle a ajouté que le bloc de l’opposition avait contacté les observateurs avant et après les élections pour faire part de leur préoccupation. Cependant, ils se sont dits satisfaits du résultat qu’il n’attaqueront pas et ont remercié les observateurs internationaux de leur attention et de leur impartialité.

 La directrice de la mission d’observation a aussi été déçue de constater la faible représentation des femmes dans le nouveau parlement. Le progrès est minime puisqu’il y en aura 47 contre 43 dans le Parlement sortant, en sachant qu’il n’y a que deux circonscriptions où des femmes ont été élues. Des députés ont réagi sur ces chiffres et mme de Zulueta s’en est réjouie. Elle impute ces derniers notamment au fait que l’argent domine et que la violence perturbe particulièrement la participation des femmes.

 Demesmaeker a, lui, regretté la faible participation aux élections des réfugiés internes. Or, il y a environ 400 000 réfugiés à l’est (venant notamment du Donbass) ce qui pose un réel problème, a-t-il poursuivi, car, puisqu’ils n’ont pas ou très peu voté, ils ne sont pas représentés au parlement. Pourtant les autorités avaient institué des facilitations pour qu’ils puissent s’inscrire sur les listes électorales. Il a donc fait le constat que cela n’avait pas bien fonctionné et a interrogé Mme de Zulueta pour savoir si elle jugeait ces efforts suffisants. Ceci est difficile a évaluer a-t-elle répondu mais on peut tout de même faire deux constats : la faible participation est une constante mais les efforts de facilitation ont été inégaux selon les régions. Une autre partie de la population a peu participé a aussi signalé M. Demesmacker (tout comme la député portugaise du groupe S&D, Ana Gomes) : les jeunes. Selon lui, la complexité du système électoral et la corruption peuvent en être les causes. Mme de Zulueta a nuancé ces propos. Elle a indiqué qu’il n’y avait pas de mécanisme pour évaluer la participation des jeunes mais qu’ils avaient beaucoup voté dans certaines régions et qu’ils semblent avoir eu une influence décisives sur les scores du nouveau parti majoritaire.

 Une remarque concernant les médias aussi ; bien qu’il y ait eu des informations et débats sur différentes chaînes, Mme de Zulueta a estimé que l’idée d’un accès égalitaire aux médias durant le temps de campagne n’était pas très bien appliquée.

 Le député Miloslav Ransdorf (GUE, République Tchèque), qui s’est rendu à Dniepropretrovsk, affirme qu’il y a eu de nombreuses violations de la loi électorale. Outre la présence d’hommes en uniforme et armés dans des bureaux de votes, il a aussi parlé d’achats de voix, de falsification des documents (lors de la remontée des résultats des bureaux au bureau central), de recours à la violence dans les rues avant et pendant les élections, de destruction de matériel électoral et de non ouverture des bureaux dans des endroits où une victoire des partis pro européens était crainte. Le Vice-président de la commission AFET, Javier Couso Permuy (GUE, Espagne) a lui aussi présenté une vision plutôt négative. Il déplore évidemment le contexte délicat dans lequel se sont tenues ces élections et regrette la « très maigre » participation à Kiev et le peu d’appui qu’ont reçu les forces pro européennes malgré leur victoire. Pour lui, il était clair que ces élections ne pouvaient pas être un succès dans la partie Est du pays car « une élection doit servir le pluralisme mais elle ne peut pas fonctionner quand la cohabitation ne fonctionne pas », or la situation de guerre montre bien que la cohabitation ne fonctionne pas. Cette situation révèle, selon lui, un triple problème en Ukraine auquel il faut trouver une solution globale : un problème dans l’organisation de l’Etat, du pays et du voisinage.

  Les principales réformes électorales à conduire

 Eu égard à la situation, l’Ukraine doit effectuer certaines réformes afin de conforter les standards démocratiques dans la perspective des élections futures (idée sur laquelle ont insisté M. Demesmaeker et Mme Gomes dans leur intervention). Ainsi, Mme de Zulueta a indiqué qu’il y avait une volonté politique de poursuivre sur la voie des recommandations de l’OSCE. L’une d’elle est l’introduction d’un code électoral complet. Aujourd’hui, il y a notamment assez peu de textes régissant le financement des campagnes, de nouvelles règles seraient donc nécessaires. Il en faudra aussi, « de façon urgente » a précisé la représentante de l’OSCE, pour assurer une stabilité dans l’administration électorale, notamment pour le personnel présent dans les bureaux de vote. Toutefois, Mme de Zulueta a précisé que l’OSCE n’a pas pour rôle de recommander un système électoral ou un autre mais ces réformes font partie des attentes nationales, a-t-elle conclu.

 Les élections organisées à l’est par les séparatistes et l’intégrité territoriale de l’Ukraine

 La réunion de la commission affaires étrangères s’est tenue au lendemain des élections du 2 novembre, organisées dans les Républiques auto-proclamées de Donetsk et Lougansk par les séparatistes. Avant même qu’elles n’aient lieu, l’UE avait annoncée qu’elle ne reconnaîtrait pas ces élections, à l’inverse de la Russie.

  1. Plenkovic a réaffirmé la position de l’UE en des propos tranchés, affirmant que ces élections « sont illégitimes et contraire à l’ordre légal ukrainien ». Il a ajouté qu’elles ne seront pas reconnues par le pouvoir ukrainien et la majorité de la communauté internationale et que toute tentative de Moscou de leur donner une légitimité irait « à l’encontre de l’accord de Minsk et saperait les tentatives de trouver une solution pacifique » (rejoint dans ce constat par M. Brok qui a parlé de « coup d’arrêt dans le processus »). M. Demesmaeker s’est aussi inquiété du fait que la Russie valide ces élections et que des insurgés s’en servent pour reprendre des territoires occupés par les soldats ukrainiens. Il en a profité pour dénoncer les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées avec, a-t-il dit, « des milices privées et des gens payés par le gouverneur » pour faire pression sur les votants. M. Brok a ajouté à ce propos qu’ « il n’y a pas eu d’autres partis, pas de campagne, pas le choix entre plusieurs positions. C’est l’approche stalinienne à l’ancienne, bien connue ». Il a poursuivi en disant que « du point de vue du droit électoral, du moment et de la façon dont la campagne a eu lieu on ne peut pas dire qu’il y a eu des élections libres ». Il a regretté que ces élections ne se soient pas tenues sur la base du droit ukrainien et que, consciemment, les séparatistes qui tiennent ces régions aient rejetés cette possibilité. Enfin, selon lui, il faut revenir à l’accord de Minsk et la base de la politique de l’UE sur ce dossier est d’essayer de rétablir un ordre commun entre l’est et le reste du pays.

Javier Nart (ALDE, Espagne) a consacré une partie de son intervention à la notion d’intégrité territoriale et a plaidé pour le maintien de l’unité de l’Ukraine de façon « indiscutable » car « la solution partira de là » (« ce doit être le point cardinal comme partout où on a un problème intérieur grave »).

 Le député Jean-Luc Schaffhausser (Non-inscrits, France, Front national) est assez longuement intervenu et a apporté un point de vue divergeant. Il considère les élections du 26 octobre comme une étape nécessaire pour le gouvernement de Kiev pour rechercher la légitimité auprès des électeurs suite à un bouleversement démocratique. Mais, il a aussi regretté que la population russophone « n’ait pas été reconnue dans son identité propre ». Il fait du retour à la paix la priorité absolue et invite pour cela à reconnaître le pouvoir issu des élections du 2 novembre à l’est. Selon lui, ce pouvoir est dans la même logique que celui de Kiev à savoir la recherche d’une légitimité. Ainsi, « il n’est donc pas raisonnable de ne pas reconnaître ce pouvoir. Il faudra bien discuter et se mettre autour de la table. Il faut trouver des solutions d’avenir et arrêter de diaboliser de part et d’autres » (notamment la Russie, qui est largement caricaturée par les pays occidentaux selon lui, une idée partagée par Javier Nart). Bien qu’il se dise en faveur du maintien de l’unité de l’Ukraine, selon lui, les populations russophones de l’est veulent absolument un Etat propre et l’unité est de plus en plus compliquée à concevoir « à partir du moment où on a le sentiment d’être profondément agressé et que lorsque l’on met en place un processus électoral on le rejette ; il n’y a plus d’éléments de discussion politique ». Le risque est d’avoir une escalade, a-t-il poursuivi, et d’arriver à la scission, une scission qu’il a, d’ailleurs, en quelque sorte présentée comme naturelle car, à l’échelle de l’histoire ces régions de l’est ont longtemps appartenu à la Russie. En bref, la clé, d’après lui, est que l’Union, l’Ukraine et la Russie retrouvent un dialogue plus apaisé pour construire un avenir de paix ; et l’Union doit y contribuer c’est pourquoi il a invité ses collègues du Parlement européen à cesser de diaboliser les séparatistes et la Russie car « cela ne donne pas le signe du Parlement de la démocratie et des Droits de l’Homme que nous voulons être ».

 

Clément François

 

Pour en savoir plus :

 site de l’OSCE : http://www.osce.org/ (EN)

 résumé du rapport de l’OSCE sur les élections législatives du 26 octobre 2014 : http://www.osce.org/odihr/elections/ukraine/126043?download=true (EN)

  synthèse des missions de l’OSCE face à la crise en Ukraine : http://www.osce.org/home/116940?download=true (EN)

 – Relevé de conclusions des consultations du Groupe de contact tripartite relatives aux mesures conjointes destinées à mettre en œuvre le Plan de paix du Président de l’Ukraine P. Porochenko et les initiatives du Président russe V. Poutine :

http://www.delegfrance-osce.org/IMG/pdf/protocole_de_minsk_du_5_septembre_2014-2.pdf?1577/daa8f7cc253cc995b463a1cadb7a955a53d9b555 (FR)

 – MEMORANDUM d’application du relevé de conclusions des consultations du Groupe de contact tripartite relatives aux mesures destinées à mettre en oeuvre le Plan de paix du Président de l’Ukraine P. POROCHENKO et les initiatives du Président de la Russie V. POUTINE :

http://www.delegfrance-osce.org/IMG/pdf/memorandum_de_minsk_du_19_septembre_2014-2.pdf?1578/b2d6465dc69bc269b67021f2646349d27c7f955a (FR)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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