« Cachée sous nos yeux » : le plus grand rapport statistique de l’UNICEF sur la violence envers les enfants

« Il ne peut y avoir plus vive révélation de l’âme d’une société que la manière dont elle traite ses enfants. L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde. »

Nelson Mandela

Les cas de violence physique, sexuelle et psychologique envers les enfants sont en augmentation dans le monde. C’est ce qu’affirme le rapport de l’UNICEF « Hidden in Plain Sight » (« Cachée sous nos yeux »), publié le 4 septembre 2014, la plus grande collection de données jamais produite sur la violence envers les enfants, contenant une analyse statistique menée dans 190 pays. En étudiant les formes de violence ainsi que les attitudes et les normes sociales dans le monde, le rapport met en lumière des problèmes jusqu’à présent insuffisamment documentés : les comportements qui perpétuent et tolèrent la violence et la brutalité même dans les endroits où les enfants devraient se sentir plus en sécurité, tels que les écoles et les foyers. Le rapport a pour objectif d’utiliser des données pour rendre la violence envers les enfants, ainsi que ses nombreuses ramifications, plus visibles, de permettre une meilleure compréhension de son ampleur et de sa nature, et de proposer des pistes pour sa prévention. Les résultats présentés par l’UNICEF sont un appel vibrant à l’action.

La protection des enfants contre toutes les formes de violence est un droit fondamental garanti par la Convention relative aux droits de l’enfant et d’autres traités et normes relatifs aux droits de l’homme. Pourtant, la violence demeure très présente dans le quotidien des enfants dans le monde avec des conséquences immédiates comme à long terme. Les enfants qui ont souffert de sévices ou de négligence graves sont souvent ralentis dans leur développement, connaissent des difficultés d’apprentissage et obtiennent de mauvais résultats à l’école. Ils peuvent avoir une faible estime d’eux-mêmes et souffrir de dépression, pouvant mener, au pire, à des comportements à risque ou à des blessures auto-infligées. C’est pour cette raison que la violence envers les enfants s’accompagne de sérieux coûts économiques et sociaux dans la mesure où elle implique une perte de potentiel et une baisse de la productivité. En outre, la conséquence la plus grave est que les enfants qui grandissent dans un ménage violent ont tendance à intérioriser ce comportement comme un moyen de résoudre les conflits, en répétant le cycle de la violence et de maltraitance envers les autres. «La violence engendre la violence. Nous savons qu’un enfant qui a été maltraité tend à répéter ces comportements, en se transformant de victime à bourreau », a déclaré Anthony Lake, le Directeur exécutif de l’UNICEF. Nous devons changer cette attitude et commencer à se battre avec respect et en plaine connaissance : «la violence contre les enfants est partout tous les jours, mais elle n’est pas inévitable. On peut la prévenir si nous refusons qu’elle reste dans l’ombre ».

Les chiffres alarmants mettent en lumière une réalité dramatique et déconcertante qui souvent se déroule à l’intérieur de la maison, où les auteurs sont les parents eux-mêmes, les amis les plus proches ou les aidants familiaux. Il y a des adultes qui encore aujourd’hui considèrent les châtiments corporels et les humiliations comme des éléments nécessaires à l’éducation de leurs enfants. Il est impressionnant de constater que, en 2014, ils représentent encore un tiers du total des violences.

Les données du rapport statistique portent sur divers aspects du phénomène : violence sexuelle, homicide, intimidation, châtiments corporels et attitude envers la violence.

En ce qui concerne le premier aspect, le rapport souligne que dans le monde, environ 120 millions de filles de moins de 20 ans (1 sur 10) ont subi des rapports sexuels forcés ou d’autres actes sexuels forcés et une sur trois des adolescentes mariées âgées de 15 à 19 ans (84 millions) ont été victimes de violences émotionnelles, physiques ou sexuelles perpétrées par leurs maris ou partenaires. La prévalence de la violence entre partenaires est de 70% ou plus en République démocratique du Congo et en Guinée équatoriale et s’approche ou dépasse 50% en Ouganda, en République-Unie de Tanzanie et au Zimbabwe. En Suisse, une enquête nationale menée en 2009 sur les filles et les garçons âgés de 15 à 17 ans a montré que respectivement 22% et 8% d’entre eux ont connu au moins un incident lié à la violence sexuelle et impliquant un contact physique. La forme de violence sexuelle la plus fréquente pour les deux sexes était la cyber-victimisation. Les chiffres des homicides sont épouvantables: un cinquième des victimes d’homicides dans le monde sont des enfants et des adolescents de moins de vingt ans, ce qui s’est traduit par environ 95.000 décès en 2012. En effet, « Le constat qui m’a frappé le plus a été l’explosion de meurtres chez les mineurs », dit Claudia Cappa, coordinatrice du rapport et responsable de la section data and analytics. Les homicides sont les principales causes de décès chez les garçons et adolescents âgés de 10 à 19 ans au Panama, au Venezuela, en El Salvador, à Trinité-et-Tobago, au Brésil, au Guatemala et en Colombie. Le Nigéria affiche le nombre le plus élevé d’homicides dont les victimes sont des enfants : 13.000. Parmi les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord où les États-Unis ont le taux le plus élevé d’homicides. Le rapport note également que pour les actes d’intimidation un peu plus d’un élève sur trois âgé de 13 à 15 ans est régulièrement victime d’actes d’intimidation dans les écoles du monde entier; à Samoa, le rapport est de presque trois sur quatre. En Europe et en Amérique du Nord, presque un tiers des élèves âgés de 11 à 15 ans rapportent s’être livrés à des actes d’intimidation contre d’autres. En Lettonie et en Roumanie, ils sont près de 6 sur 10. En ce qui concerne la discipline violente, environ 17% de tous les enfants subissent des formes graves de châtiments corporels (être frappé à la tête, sur les oreilles ou le visage ou être violemment battu et à plusieurs reprises). Plus de 40 % des enfants âgés de 2 à 14 ans subissent des châtiments corporels extrêmes en Égypte, au Tchad et au Yémen. Dans le monde, trois adultes sur dix pensent que les châtiments corporels sont nécessaires pour bien élever les enfants. Au Swaziland, 82% des personnes interrogées affirment que les châtiments corporels sont nécessaires.

En outre, le rapport vise notamment les attitudes face à la violence : près de la moitié des adolescentes âgées de 15 à 19 ans (environ 126 millions) pensent qu’un mari est en droit de battre sa femme dans certaines circonstances. Cette proportion passe à 80% en Afghanistan, en Guinée, en Jordanie, au Mali et au Timor-Leste. Dans 28 pays sur 60 possédant des données sur les deux sexes, une plus grande part de filles que de garçons croient qu’il est parfois justifié de battre son épouse. Au Cambodge, en Mongolie, au Pakistan, au Rwanda et au Sénégal, les filles sont environ deux fois plus nombreuses que les garçons à penser qu’un mari est parfois en droit de battre sa femme. Les données recueillies dans 30 pays différents montrent qu’environ sept filles sur dix âgées de 15 à 19 ans ont subi des sévices sexuels et/ou physiques et n’ont jamais demandé d’aide : une grande partie d’entre elles ont affirmé qu’elles ne pensaient pas qu’il s’agissait de sévices ou qu’elles ne considéraient pas cela comme un problème.

L’Allemagne n’échappe pas au lot, même si les violences sexuelles sont plus rares. Les chiffres révèlent tout de même qu’un couple sur 11 aurait battu sévèrement son enfant dans sa vie. En comparaison avec d’autres pays européens, les parents allemands donnent moins de fessées à leurs enfants : soit 18 % des parents contre 51% en France ou 54% en Espagne. L’étude souligne également les comportements des enfants entre eux dans le milieu scolaire. En Allemagne, selon des chiffres de 2003 à 2013, 30% des jeunes auraient au moins une fois fait l’objet de brimades et 20% auraient été impliqués dans des bagarres. Du côté des violences sexuelles, les cas sont plus rares. Selon des chiffres de 2011, 6% des allemandes et 1% des allemands adultes auraient déclaré avoir subi des violences sexuelles durant leur enfance.

En regard de ces données glaçantes l’UNICEF présente six stratégies pour permettre à la société dans son ensemble – des familles aux gouvernements – de prévenir et de réduire la violence contre les enfants. Elles consistent, entre autres, à aider les parents ; à enseigner aux enfants des aptitudes à la vie quotidienne ; à changer les mentalités ; à renforcer les systèmes judiciaires, pénaux et sociaux ; et à collecter des éléments de preuve concernant la violence et ses coûts humains et socio-économiques, ainsi qu’à sensibiliser le public, afin de changer les mentalités et les normes sociales.

Les données factuelles qui en résultent sont cruciales pour le suivi des engagements, pour alimenter le développement de nouveaux programmes, politiques et lois et pour évaluer leur efficacité. Les recherches futures doivent être axées non seulement sur le recueil de données relatives à la prévalence de la violence mais aussi sur la compréhension des facteurs sous-jacents qui l’alimentent et sur l’évaluation des interventions destinées à la prévenir et à y remédier. Une diffusion large des données dans des formats accessibles restera essentielle pour sensibiliser et entretenir la volonté politique nécessaire au développement et à la mise en œuvre de stratégies et d’actions efficaces – à tous les niveaux de la société.

« C’est une vérité dérangeante qui aucun gouvernement ou parent ne veux voir », affirme Anthony Lake. « Mais si nous n’affrontons pas la réalité que chacune de ces statistiques révoltantes représentent, c’est-à-dire la vie d’un enfant dont le droit à une enfance sûre et protégée a été violé, nous n’abandonnerons jamais cette mentalité selon laquelle la violence contre les enfants est normale et tolérable ». « Les données de ce rapport nous obligent à agir pour le bien de chaque enfant et pour l’avenir de la société dans le monde. »

(Irene Capuozzo)

 

. La violence à l’égard des enfants dans l’UE: État des lieux – European Parliamentary research service – 18/11/2014 – (FR)

             -. Hidden in Plain Sight: A statistical analysis of violence against children – UNICEF –     04/09/2014 – (EN)

         -. Violence towards children in the EU: Current situation –18/11/2014 – (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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