Très inquiètes des expulsions sommaires et du projet de leur légalisation par le gouvernement espagnol qui autorise les ‘renvois à chaud’ à Ceuta et Melilla, des députés de la commission parlementaire LIBE interrogent la Commission. Lors de la plénière du Parlement Européen du mardi 25 novembre 2014, ils ont fait pression, puisqu’elle réagisse face à la gravité des faits.
Il n’y a rien de nouveau….. Depuis des années les autorités espagnoles à la frontière marocaine, notamment à Ceuta et Melilla, renvoient des centaines des migrants qui fuient leur pays, pas seulement du Maroc, espérant être accueilli en Europe. Oui. L’Europe est prête à les accueillir. A coups de bâtons et avec des pistolets. Une enquête est en cours en Espagne à propos des évènements du 6 février 2014, où ‘au moins 15 migrants ont trouvé la mort au large de Ceuta après avoir été la cible de tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène de la part des gardes civils espagnols’ et 23 personnes ont fait objet d’un retour sommaire.
Nombre d’ONG et d’organisations internationales impliquées et très actives sur le terrain en offrent les preuves incontestables. Human Rights Watch, Amnesty International, the European Council on Refugees and Exiles et l’UNHCR, parmi d’autres, dénoncent les expulsions sommaires de migrants et l’usage excessif de la force par les services répressifs espagnols à l’encontre de migrants qui tentent d’entrer en Europe par les villes de Ceuta et Melilla, en Afrique du Nord.
Le gouvernement espagnol reconnaît avoir eu recours à du matériel antiémeutes, mais il justifie les mesures prises contre l’immigration illégale qui menace la sécurité de l’Espagne et de ses citoyens. En conséquence, il considère nécessaire d’intervenir : ‘Il faut faire face aux assauts massifs et empêcher que les migrants franchissent la frontière’.
En conséquence, le ‘Grupo Parlamentario Popular’ a proposé un amendement à la loi sur la Sécurité Publique, qui risque d’être approuvé: “Additional Disposition 10. Special regime for Ceuta and Melilla Foreigners detected on the boundary line of the demarcation of Ceuta and Melilla attempting an unauthorized crossing of the border in a clandestine, flagrant or violent way, shall be rejected in order to prevent their illegal entry into Spain”. (Voir en savoir plus)
Quel réel danger ? Il ne s’agit pas de garder la sécurité intérieure alors que les droits fondamentaux priment au-delà de toute nationalité. Les Conventions internationales parlent claire. La Convention de Genève du 1951, relative au statut des réfugiés, contraint les parties au respect du principe de non refoulement. La Convention Européenne des Droits de l’Homme et les arrêts de la Cour de Justice qui veille et garantie de sa correcte application, oblige tout État partie, dont l’Espagne, à respecter le Droit à la vie, le Droit à un recours effectif. De plus, elle interdit les traitements inhumains et dégradants et toute expulsion massive. De surcroît, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, droit fondamental de l’Union autant que les Traités, impose aux États membres le respect du Droit d’asile (article 18) et à la protection contre les expulsions collectives et principe du « non-refoulement » (article 19). La Constitution espagnole, enfin, à l’article 13 (étrangers, asile, expulsion) précise l’ensemble de ces droits sur le plan national. D’autres garanties juridiques sont prévues par la Loi organique 4/2000 à l’article 22 (qui interdit les déclarations sommaires et garantit aux migrants en situation irrégulière le droit à un avocat et à un interprète pendant la procédure d’expulsion, y compris les refus d’entrée, et les expulsions qui ont lieu à la frontière après une entrée irrégulière). Ainsi que par la loi 12/2009, à article 16.1, sur le droit d’asile et à la protection, garantit le droit de toutes les personnes présentes sur le territoire espagnol de demander une protection internationale.
En conclusion, le renvoi automatique et immédiat, tel que prévu par l’amendement en question, empêcherait l’accès effectif à la protection internationale, partant du principe que tout migrant franchissant la frontière soit a priori un clandestin illégal. De surcroit, la disposition légalise les renvois forcés et les violences perpétuées par la police espagnole et marocaine à la frontière, comme dénonce le Commissaire du Conseil de l’Europe pour les Droits de l’Homme, Nils Muižnieks, nous sommes en pleine violation des Droits fondamentaux.
En effet, il n’y a aucune indication quant à la procédure à suivre. Malgré cela, ‘les principes d’opportunité, de nécessité, de congruence et de proportionnalité seront respectés ; les agents seront tenus à faire appel aux services d’assistance sanitaire lorsqu’un clandestin est blessé,’ (ANSA, voir en savoir plus). Toutefois, quelle est la crédibilité à la lumière des rapports et des dénonciations des ONG précités ?
Les députés de la commission LIBE font pression : l’Union doit agir contre les ‘renvois à chaud’ en Espagne!On peut ainsi résumer les questions qui ont été posées à la Commission : ‘Estime-t-elle que ces pratiques sont conformes aussi bien à la lettre qu’à l’esprit du droit de l’Union, y compris de sa charte des droits fondamentaux, et/ou aux valeurs européennes communes? Quelles mesures envisage-t-elle de prendre afin de réagir aux abus qui ont déjà eu lieu et d’éviter que de tels abus ne se reproduisent à l’avenir?’
Lors de la plénière au Parlement, les députés ont relevé les menaces graves et les violations lourdes des lois et des droits fondamentaux, tels que prévus par les conventions internationales, les Traité, les règlements et les directives de l’Union et la Constitution de l’Espagne, elle-même.
Birgit Sippel (S&D) a rappelé que l’ancienne commissaire aux affaires intérieures, Cecilia Malström, avait déjà exprimé de fortes critiques adressées à la loi espagnole qui permettrait l’expulsion immédiate, niant tout droit à la personne concernée. Cecilia Wikström (ALDE) et Ska Keller (Verts) ont souligné que ces pratiques illégales ont déjà lieu depuis longtemps, comme il a été démontré par les photos montrées par Marina Albiol Guzmán (GUE) et par les témoignages lus par la députée Teresa Rodriguez-Rubio (GUE) qui dénonce : ‘Les transferts forcés et les traitements inhumains ont lieu depuis dix ans. Les migrants sont jetés dehors comme des ordures.’
Jordi Sebastià (Verts) invite le commissaire Avramopoulos à se rendre directement à Ceuta et Melilla. Il devra y discuter avec les agents de la ‘coalition des forces de l’ordre espagnol-marocaines’, pour ‘savoir mais surtout pour voir ce qu’elles font.’
Le Parti Populaire espagnol lève sa voix .Son représentant, Agustín Díaz De Mera (PPE) démontre le vrai défi à surmonter. Il s’oppose à ‘l’interprétation partielle et lacunaire d’un projet qui propose une solution.’ D’après lui, l’Espagne respecte le Droit et garantit la protection internationale à tout réfugié. Mais, ‘seulement 1,5% des migrants sont des véritables demandeurs d’asile’, donnant ainsi lui-même la preuve d’une manque d’accès effectif à la protection internationale ! Ernest Urtasun (Verts) le souligne lors du débat : ‘si les personnes sont expulsées automatiquement, il n’est pas possible d’entamer la procédure à laquelle ils ont droit.’
Plus nuancée, même si éloignée du choeur humaniste, la position de Lara Comi (PPE) met plutôt l’accent sur la différence fondamentale entre demandeur d’asile et migrant irrégulier : ‘Il faut une action rapide pour déterminer si les migrants sont des clandestins, et, dans ce cas, ils doivent être renvoyés pour sauvegarder la sécurité nationale et l’ordre public,’ et ajoute, ‘il faut avoir une tolérance zéro contre les clandestins.’
Le droit de l’Union en péril ! D’un tout autre avis, le député Juan Fernando López Aguilar (S&D): il s’agit d’une ‘discrimination qui dégrade la personne victime mais aussi ceux qui en sont promoteurs’. Et, faisant appel au commissaire Avramopoulos, il lui demande de ‘reprendre le flambeau’ et de s’opposer à ces pratiques qui violent toute forme de Droit, par le biais d’un instrument légale ; c’est un ‘abus qui met à mal le droit européen.’ Sur ce point, Ernest Urtasun (Verts) mais en alerte la Commission qui risque de créer un ‘précédant pour les prochaines violations , grâce au vide juridique où le droit européen ne serait pas d’application.’
La réponse de la Commission. Le commissaire Avramopoulos a remercié d’avoir soulevé la question, car la situation est très grave. La Commission a l’intention de suivre de près la situation et soutien le gouvernement espagnol qui doit faire face aux afflux massifs des migrants. Des discussions ont commencées, il y a 15 jours, avec le premier ministre espagnol et le ministre de l’intérieur. D’après les déclarations du commissaire, ils sont prêts à prendre des engagements. Le dialogue est en cours, afin de connaître quelles procédures seront prévues, ainsi que leurs conséquences sur les migrants. Il faut comprendre en quoi consiste la ‘légalisation du renvoi à chaud’ et les intentions de cet amendement. ‘Toute mesure de surveillance devra être proportionnelle aux objectifs recherchés,’ a affirmé Mr. Avramopoulos, notamment ‘la bonne gestion des frontières extérieures’.
La Commission, en tant que gardienne des Traités, poursuit les dialogues afin d’évaluer s’il y a effectivement des violations des lois et des droits fondamentaux.
Elena Sbarai
En savoir plus :
-. Question orale du 17 novembre 2014, (FR) www.europarl.europa.eu ( EN ) www.europarl.europa.eu
-. Texte originale de l’amendement proposé www.hrw.org
-. Joint Letter on Spain to the UN Special Rapporteur on the Human Rights of Migrants, du 30 October 2014 www.hrw.org
-. ECRE Weekly Bulletin, Spain’s attempt to give legal cover to push back policy in Ceuta and Melilla under fire, October 2014 www.ecre.org
-. AnsaMed, Immigrazione: governo Spagna modifica legge per rimpatri, 23 Ottobre www.ansamed.info