Motion de censure au Parlement européen : l’alliance des europhobes fait un flop. La position de Jean-Claude Juncker renforcée ? Un test en vraie grandeur !

La motion de censure déposée le 18 novembre par les europhobes (dont le Front National et les élus 5 étoiles de Beppe Grillo) au Parlement européen pour faire tomber Jean-Claude Juncker a été soumise au vote jeudi 27 novembre à midi. Elle a été rejetée par 461 voix contre 101 et 88 abstentions, soit un résultat opposé au but initial : le président de la Commission est conforté. La motion de censure déposée par des partis eurosceptiques du Parlement européen, dont le Front national français, pour faire tomber la Commission européenne a donc été repoussée . Pour que la Commission soit dissoute, la motion aurait dû récolter une double majorité, c’est-à-dire les deux tiers des suffrages exprimés et le soutien de plus de la moitié des eurodéputés (minimum 346 voix) selon les règles du Parlement.

Ce résultat était attendu, les principales formations de droite et de gauche ayant maintenu leur soutien au collège de commissaires et à son président, Jean-Claude Juncker, qui était spécifiquement visé par la procédure. Mais le paradoxe est que ce vote conforte le président de la Commission européenne, alors même que de nombreux eurodéputés sont extrêmement critiques sur son passé. En effet, 461 eurodéputés ont voté contre la motion de défiance, apportant ainsi leur confiance au président de la Commission. Or seulement 426 eurodéputés avaient voté pour Juncker lors de son investiture. Répondant aux eurodéputés lundi dernier, dans le cadre du débat sur la motion de censure, Jean-Claude Juncker a plaidé le caractère légal des pratiques du Luxembourg, précisant que 22 Etats membres disposaient de dispositifs similaires. « Je considère que de l’interaction entre des dispositions légales nationales divergentes résulte et résultait une situation qui pouvait conduire dans des cas extrêmes à une sous imposition des sociétés européennes et autres qui ne reflète aucunement ce que j’appellerai le consensus éthique et moral qui est de convenance », a-t-il reconnu.

Les eurodéputés ont « snobé » la motion de censure des eurosceptiques. La Gauche unitaire européenne, qui réunit notamment des partis communistes, avait indiqué qu’elle refuserait d’associer ses voix à celles de « l’extrême droite » après avoir elle-même échoué à présenter une motion de censure en son nom propre.

Quelles sont les réactions ? essentiellement celles des députés européen car la presse nationale a donné peu d’écho à un évènement dont le résultat était connu à l’avance. « Les eurosceptiques et l’extrême droite qui ont déposé la motion de censure contre Jean-Claude Juncker pour les pratiques de préférence fiscale dénoncées par le LuxLeaks portent en fait exactement les mêmes logiques que celles qu’ils prétendent combattre. Ce sont celles du peu de considération pour l’intérêt général européen, au profit d’un égoïsme national et d’une concurrence entre États où chacun essaye de tirer la couverture à soi au détriment de l’autre » a déclaré Pascal Durand, élu Vert au Parlement européen ou ,ajoutons le, de la recherche d’un positionnement de pure politique intérieure nationale.

Steven Woolfe, eurodéputé de UKIP estime quant à lui que « le Parlement européen a voté pour protéger le président de la Commission malgré le scandale des ‘LuxLeaks’ plutôt que pour protéger leurs propres peuples, dont les budgets nationaux ont été amputés à cause du système d’évitement fiscal de Jean-Claude Juncker au Luxembourg ». L’eurodéputé dénonce aussi le vote des autres partis britanniques : « C’est une honte que le parti travailliste soutienne les accords de Jean-Claude Juncker avec les multinationales. Empalés sur les grilles de l’UE, les conservateurs se sont abstenus – ce parti avide de pouvoir ne défendra donc plus aucun principe ? »

L’eurodéputée libérale démocrate Catherine Bearder (Royaume-Uni) a réagi à l’absence de Nigel Farage lors du vote au Parlement, alors même qu’il est l’un des instigateurs de cette motion, avec certains députés du Front national. « Les députés de UKIP sont connus pour travailler très peu, mais cette fois-ci Nigel Farage n’est même pas venu voter sur sa propre motion. Cela montre bien que sa proposition n’était rien d’autre qu’un coup médiatique éhonté. Pendant que les députés de UKIP font les pitres, d’autres eurodéputés travaillent dur pour que Jean-Claude Juncker et la Commission aient réellement à répondre de leurs actions en organisant une enquête indépendante minutieuse »

Dans son communiqué suite au vote, le PPE qualifie la motion de censure de « pétard mouillé », rejeté par la plupart des eurodéputés. « Le Parlement européen ne doit pas se faire dicter son comportement par les partis populistes qui, une nouvelle fois, mettent en cause la Commission européenne à des fins démagogiques. La Commission s’est récemment mise en place avec une nouvelle organisation et de nouvelles propositions; elle doit se mettre au travail pour apporter des réponses efficaces et responsables à la crise ! », selon Françoise Grossetête, vice-présidente du groupe. « Monsieur Farage et Madame Le Pen voulaient qu’on parle d’eux. C’est fait. Mais que d’énergie et de temps passés à organiser un vulgaire coup politique », conclut quant à lui Philippe Juvin.

« M. Juncker, il faut agir ou partir ! », exhortent quant à eux les Verts. Europe-Écologie-Les-Verts et ils invitent à refuser d’en rester là : « Le scandale a ouvert une brèche politique. Il est urgent de tout faire pour qu’elle ne puisse pas se refermer. […] Nous ne voulons pas d’un discours sur le fait qu’il aurait changé en occupant de nouvelles fonctions. Nous voulons des actes forts et un agenda précis. »

Marc Tarabella, chef de délégation PS au parlement européen, pour sa part rappelle que la motion « avait pour but de rendre l’Europe ingouvernable ». « Dénoncer les problèmes est une des tâches des Eurodéputés mais quand ils ne proposent comme solution que la destruction de l’Europe au mépris des citoyens, ils ne servent à rien ou ne servent que leurs propres intérêts ! »

Le groupe de la gauche GUE/NGL a réitéré son opposition au président de la Commission. Ses membres appellent à présenter une motion en faveur de « la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la fiscalité, ainsi qu’une réelle enquête sur les accords fiscaux dans plusieurs États membres ». « Le vrai scandale est que l’évitement fiscal soit essentiellement légal dans l’UE, ce qui entraîne les États dans une course à la meilleure structure d’évitement fiscal », ajoute-il.

Est-ce parce qu’il avait anticipé sa défaite que Nigel Farage n’a pas participé au vote et n’a donc pas voté en faveur à une motion de censure dont il était à l’origine. 40 ELDD ont eux par contre voté en faveur et 37 chez les non-inscrits. Ce vote a révélé, comme toujours, des tensions au sein de certains groupes politiques Pour le groupe CRE et aussi pour celui de la GUE/NGL : 16 député du groupe CRE ont soutenu l’idée de la démission du président de la Commission européenne de même que 6 élus de la gauche radicale européenne (GUE/NGL). Ce dernier groupe a vu la plus grande partie de son groupe s’abstenir ; il avait lui aussi initié une motion de censure mais avait échoué à recueillir le nombre de signatures nécessaires. Dans un communiqué le groupe a expliqué qu’il était uni pour demander le départ de Jean-Claude Juncker responsable de la mise en œuvre du système d’évitement fiscal et des mesures imposées par les mesures d’austérité imposées. Il entend désormais concentrer ses efforts sur sa demande de création d’une commission d’enquête parlementaire et sur les investigations de la Commission sur les « tax rulings ». Quant au groupe des Verts, également demandeurs d’une commission d’enquête, il s’est montré divisé entre ceux qui étaient soucieux avant tout de faire échouer une initiative de l’extrême droite et quelques élus soucieux d’envoyer un message au président de la Commission et de lui adresser un avertissement sans frais. Pascal Durand (Vert français) « ne voulait pas donner la main à l’extrémisme ». Dix élus verts ont ainsi choisi l’abstention.

Dans les autres familles politiques dominantes, les membres de la grande coalition (PPE, S&D, ALDE, il y a eu en revanche beaucoup moins d’état d’âme. Un élu PPE s’est abstenu, et une élue S&D a voté en faveur de la motion de censure. Pour Philippe Juvin (PPE) la motion déposée par les populiste «n’était qu’un pétard mouillé (…) le PPE ne doit pas se faire dicter son comportement par les partis populistes, qui une nouvelle fois mettent en cause la Commission européenne à des fins démagogiques » et l’on pourrait ajouter, non seulement la Commission mais aussi l’Europe et cela à des fins purement démagogiques.

En conclusion faisons remarquer qu’il est heureux que ce soit au début de la législature que les populistes ont démontré la profonde inanité de leur stratégie. Par ailleurs la coalition ne s’est pas laissée détournée de ses objectifs stratégique s par un quelconque chant des sirènes. Elle est restée profondément et solidement unie par l’essentiel. Espérons que la leçon portera pour le reste de la législature et que le Parlement européen pourra se concentrer sur ses véritables obligations, les sujets ne manquent pas.

A n’en pas douter ce fut un test grandeur nature !

Pour en savoir plus :

Analyse par Vote Watch des votes lors de la motion de censure https://twitter.com/VoteWatchEurope

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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