Pour freiner le mouvement et continuer de financer sa protection sociale et ses retraites, l’Europe a besoin d’attirer des immigrés mais pour bon nombre de ses citoyens, cette solution est inacceptable. « Il faut oublier cette idée reçue qu’accueillir des migrants coûte cher » affirme Angel Gurria secrétaire général de l’OCDE « Les migrants sont un atout pas un problème ».
Le « Vieux » Continent peut compenser pendant quelques années le vieillissement de sa population active en augmentant le taux d’emploi des femmes et des seniors, en favorisant la mobilité en Europe et en optimisant l’emploi de la population immigrée actuelle, estiment les experts de l’Union et de l’OCDE. Mais à plus long terme, l’UE devra attirer un nombre important de travailleurs qualifiés venus de l’extérieur de ses frontières. Et donc surmonter l’opposition d’une partie de l’opinion publique.
« Si vous fermez la porte (à l’immigration), vous en paierez le prix économique », explique Jean-Christophe Dumont, spécialiste des migrations internationales à l’OCDE. « Pour l’instant, on peut mieux utiliser les immigrés qui sont déjà là, en faisant mieux correspondre leurs qualifications aux besoins du marché du travail. A plus long terme, il ne s’agira pas seulement de leurs qualifications, mais aussi de leur nombre. »
Si les tendances actuelles se maintiennent, l’Allemagne, première puissance économique de la région, mais aussi l’Espagne et la Pologne, verront leur population diminuer, avec pour conséquence une diminution de leur potentiel de croissance.
Sans changement des flux migratoires, la population allemande pourrait tomber de 82 millions à 74,7 millions de personnes d’ici 2050, estime Eurostat, l’institut européen de la statistique. D’autres projections annoncent même une population ramenée à 65 millions de personnes d’ici 2060.
Clairement le sort de l’Allemagne est tout particulièrement pointé du doigt. Elle ne sera plus le pays le plus peuplé d’Europe d’ici le milieu du siècle. Cette évolution se traduira par « des contraintes importantes » en termes d’offre de main d’oeuvre dans plusieurs pays de l’UE, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et la Finlande, conclut de son côté une étude de la Commission européenne. En Allemagne, où le taux de natalité est le plus faible d’Europe, l’institut d’études économique IW estime à 22 milliards d’euros par an le coût de la raréfaction des travailleurs qualifiés.
A l’opposé, la Grande-Bretagne, la France, l’Irlande et dans une moindre mesure l’Italie peuvent tabler sur une poursuite de la croissance démographique. La Grande-Bretagne devrait ainsi devenir le pays le plus peuplé d’Europe d’ici 2050 avec 77,2 millions d’habitants, tandis que la France rattraperait l’Allemagne avec 74,3 millions. Ces chiffres ne pèsent pourtant pas lourd dans le débat politique face aux discours du Front national de Marine Le Pen en France, du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) de Nigel Farage en Grande-Bretagne ou encore du Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders aux Pays-Bas. Et d’autres encore… une centaine de députés européens restent insensibles, comme eux à ce discours. Après six ans de crise économique, leurs accusations contre les immigrés censés « voler » le travail des travailleurs locaux, faire baisser les salaires et alimenter la hausse de la délinquance sont de mieux en mieux reçues par les électeurs des classes moyennes.
C’est le niveau de vie des européens qui est en jeu. Dans ce débat, un aspect est souvent négligé: celui de l’impact grandissant de l’évolution démographique sur le financement des retraites et de la santé. Or, avec le départ à la retraite de la génération du baby boom d’après 1945, la part des plus de 65 ans dans la population va rapidement augmenter tandis que le nombre des moins de 15 ans diminuera de près de 15% d’ici 2060, prévoit Eurostat. Aujourd’hui le ratio de dépendance démographique des seniors (le rapport entre la population de plus de 65 ans et celle des 15-64 ans) est de 27,5% en moyenne dans l’UE. Et il devrait atteindre 49,4% en 2050: il n’y aurait alors plus que deux actifs pour un retraité. C’est pour ralentir ce mouvement que de nombreux pays ont déjà relevé l’âge de la retraite à 65 ans ou au-delà et ont augmenté la durée de cotisation.
Parallèlement, le vieillissement signifie qu’une part croissante de la population raisonne davantage du point de vue de ses besoins que de ses envies, explique Paul Hodges, coauteur du livre électronique « Boom, Gloom and The New Normal », sur l’impact économique du vieillissement. »De la démographie dépend la demande », résume-t-il. « Des gens plus âgés ont moins besoin de logements, de voitures et de produits de grande consommation et ils doivent s’adapter à une baisse de leurs revenus lorsqu’ils arrivent à l’âge de la retraite, ce qui freine l’économie. »Avant la crise économique qui a éclaté en 2008, la croissance de la zone euro avoisinait 2% par an en moyenne, avec en gros 1% lié à l’augmentation de l’emploi et 1% aux gains de productivité. Ce potentiel de croissance a chuté avec la crise et ne s’est pas redressé dans la plupart des pays. Si l’Europe se prive de l’impact positif de l’immigration sur l’emploi, l’Europe ne pourra donc compter que sur d’importants gains de productivité – improbables aujourd’hui – pour maintenir son niveau de vie. Ou se résoudre à voir celui-ci baisser.
Les mentalités ne changent pas ou très difficilement or les réalités statistiques sont bel et bien là. Pour espérer surmonter son défi démographique et maintenir son économie, l’Allemagne doit se transformer en pays d’immigration. C’est en cours :selon une étude de l’OCDE rendue publique début décembre i, l’Allemagne est devenue la première destination d’immigration en Europe. En 2012, le pays a accueilli 400.000 migrants et la tendance devrait se poursuivre. Parmi les pays de l’OCDE, il n’y a que les États-Unis qui fassent plus avec un million de migrants.
«C’est le signe que notre pays est attractif», s’est réjouie la chancelière Angela Merkel en clôturant lundi 1er décembre un «sommet sur l’intégration» réunissant des représentants des Länder et du monde de l’entreprise. «Notre pays deviendra de plus en plus divers», a-t-elle expliqué. En 2013, 19,7 % de la population allemande avaient des origines étrangères. Mais le défi de l’intégration reste entier et la chancelière a dû reconnaître que la politique volontariste qu’elle pratiquait depuis presque une décennie à échoué, « la politique multiculturelle. (cf .infra « Pour en savoir plus »). Première terre d’immigration en Europe, l’Allemagne s’interroge sur l’intégration. Symptomatiquement le débat sur le voile, la burqa longtemps discret s’enflamme et l’on hésite à légiférer car pense-t-on la loi est inefficace. Seules la Hesse, la <Sarre ou la Basse Saxe ont interdit ont interdit le voile pour les employés des services publics. La décision de la Cour européenne de Justice autorisant l’interdiction du port du voile a été ressenti comme un encouragement à engager fortement le débat : désormais la question se pose. L’embauche des jeunes d’origine étrangère devient difficile, mais Angela Merkel ne veut pas envisager le CV anonyme auquel la France s’est ralliée depuis longtemps mais avec un succès mitigé. Il n’a ainsi pas été question de parler du voile, lors du «sommet sur l’intégration» à la Chancellerie. Les échanges ont été plutôt consacrés à la lutte contre la discrimination à l’embauche et aux mesures favorisant la formation des jeunes d’origine n’est étrangère. Ceux-ci ont trois fois plus de difficultés à trouver un emploi que ceux dont les noms sonnent allemands. Ce n’est pas un hasard si le Journal conservateur , le Figaro a consacre une plaine page de son journal à cette thématique : « Première terre d’immigration en Europe, l’Allemagne s’interroge sur l’intégration » (cf. infra « Pour en savoir Plus ». Le Conseil de l’Europe a lancé une série de travaux sur la société culturelle suite aux recommandations d’un groupe d’éminentes personnalités présidé par Joshka Fischer. L’inquiétude monte en même temps que la perplexité. La chancelière doit être très déçue d’être contrainte de constater que « sa » politique du multiculturel ,à laquelle elle tenait tant, a échoué. Pis même, trois ans avant que n’éclate le phénomène des « foreign fighters » djihadistes, le Conseil de l’Europe par la voix de son secrétaire général mettait en garde contre les dangers du multiculturalisme.
Le Conseil de l’Europe, gardien de la Convention européenne des droits de l’homme, a appuyé le nombre croissant de chefs de gouvernement ayant constaté l’échec du multiculturalisme, lequel constitue une menace à la sécurité. «Nous constatons maintenant que le multiculturalisme permet à des sociétés parallèles de se développer au sein des États », a déclaré Thorbjørn Jagland, secrétaire général du Conseil, dans une interview au Financial Times. « Il faut arrêter cela. Il est également manifeste que certaines sociétés parallèles ont développé des idées radicales qui sont dangereuses. Le terrorisme n’est pas acceptable.»[…]
Mr Jagland a déclaré que les dirigeants européens [Angela Merkel, David Cameron, Nicolas Sarkozy] avaient ouvert un « important débat » qui doit être poursuivi. « Nous devons éviter de nous méprendre sur le multiculturalisme, car la diversité des cultures est souhaitable. Nous devons toutefois mettre l’emphase sur ce qui assure la cohésion de la société. » Les trois dirigeants européens ont invoqué l’identité européenne déterminée par les valeurs communes et les droits fondamentaux enchâssés dans la Convention européenne des droits de l’homme, y compris l’égalité entre les sexes et l’interdiction du mariage forcé. «Nous ne devrions pas accepter des attitudes et des comportements contraires à ces principes», a-t-il dit.
- Jagland a ajouté que les récents événements en Afrique du Nord montrent le danger de permettre à l’Europe d’affaiblir les droits humains au nom de la tolérance des différences culturelles ou ethniques. « Le respect des droits de l’homme est une question de sécurité. Lorsqu’il n’y a pas de droits humains, il y a de l’instabilité dans la société », a-t-il dit. […]
Le Conseil de l’Europe a demandé à un groupe formé d’universitaires éminents et d’anciens politiciens de formuler des recommandations sur la façon dont les gouvernements peuvent faire face aux défis posés par la diversité culturelle croissante. Le groupe déposera son rapport en mai. Source : Council of Europe warns on multiculturalism, par Peggy Hollinger, Financial Times, 16 février 2011
Faisons le point, il est temps, sur ce débat ouvert par le Conseil de l’Europe !
Pour en savoir plus :
– . Le vieillissement de la population active dans les pays de l’OCDE http://www.oecd.org/els/emp/2080262.pdf
-. Vieillissement et politique de l’emploi dans les pays de l’OCDE, études pays par pays http://www.oecd.org/fr/emploi/emp/vieillissementetpolitiquesdelemploi.htm
– . Première terre d’immigration, l’Allemagne s’interroge sur l’intégration http://www.lefigaro.fr/international/2014/12/01/01003-20141201ARTFIG00387-premiere-terre-d-immigration-en-europe-l-allemagne-s-interroge-sur-l-integration.php
-. Angela Merkel reconnait l’échec de sa politique d’intégration multiculturelle :BBC http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-11559451 , REUTERS http://uk.reuters.com/article/2010/10/16/uk-germany-merkel-immigration-idUKTRE69F19T20101016 ,the GUARDIAN http://www.theguardian.com/world/2010/oct/17/angela-merkel-german-multiculturalism-failed
-. Rapport de l’OCDE sur les tendances en matière migratoire, et tendances 2014 http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/social-issues-migration-health/international-migration-outlook-2014/summary/french_952a382b-fr#page1 (résumé) (FR)