La présidence italienne est intervenue à un moment difficile pour l’Europe. Au début de juillet 2014, la transition de la Commission européenne et la période post-électorale du Parlement, accompagnées par la grave montée des eurosceptiques, ont limité la stabilité du contexte institutionnel et politique. A cela s’ajoute le fait que le programme politique du nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker ne pouvait être perdu de vue. Néanmoins, Andrea Orlando, ministre de la justice italien, et Angelino Alfano, ministre des affaires intérieures, présentent un bilan positif à la commission LIBE du Parlement européen, lors de la réunion de jeudi 11 décembre 2014.
Part II Affaires Intérieures. Intervention de Angelino Alfano.
A la fin du mois de juin 2014, rappelle le ministre des affaires intérieures italien, le Conseil Européen venait de lancer les priorités politiques pour l’espace de liberté, sécurité et justice. L’Italie, donc, a guidé le Conseil de l’UE à un moment de passage délicat. D’après Alfano, il a fallu garder le lien avec le passé et, en même temps, donner la suite aux lignes directrices du Conseil Européen ainsi que l’investiture toute récente donnée à la nouvelle Commission européenne.
Question migratoire. Sur la base des actions stratégiques indiquées par la Task Force pour la Méditerranée, ainsi que des résultats de la rencontre interministérielle informelle tenue à Milan , le Conseil JAI du 10 octobre a approuvé les Conclusions qui présentent la voie pour une ‘meilleure gestion des flux migratoires’. ‘Il s’agit d’une réponse pragmatique et structurée,’ déclare le ministre des affaires intérieures italien ; en même temps, ‘un modèle qui peut s’appliquer à la Méditerranée autant qu’à d’autres régions européennes concernées par le phénomène.’ La question, telle que décrite par Alfano, est complexe. Il ne suffit pas d’entreprendre une action unique. Au contraire il faut coopérer entre tous les acteurs européens, suivant une perspective d’ensemble.
Triton.Bien que ‘les flux migratoires requièrent une réponse politique à long terme, au-delà des réactions d’urgence,’ reconnait le ministre, Triton a été à ce jour un des résultats les plus positifs. L’Union européenne, ‘pour la première fois a démontré la capacité d’une solidarité concrète.’ Mais la députée maltaise Roberta Metsola (PPE) manifeste ses perplexités quant au succès de l’opération Frontex, à portée considérablement réduite par rapport à la mission italienne Mare Nostrum, souligne-t-elle. De surcroit, les députées italiennes Elly Schlein (S&D) et Barbara Spinelli (GUE) dénoncent la lettre de Klaus Rösler, directeur du secteur opérationnel de l’agence Frontex, qui porte plainte au ministère de l’intérieur italien pour ‘les trop nombreux secours en mer, hors de la zone couverte par l’opération’ et que Frontex ne saurait prendre en charge .
En revanche, le ministre Alfano e exprimé une position très claire à ce propos : ‘Le secours en mer dérive de l’insurmontable Droit de la mer : personne ne peut refuser un appel au secours.’ Et il ajoute de manière résolue: ‘L’opération Mare Nostrum a progressivement reculé jusqu’aux frontières Schengen, fixées à 30 milles de la côte italienne. Jusqu’à maintenant, 326 personnes ont été secourues. Voilà la vérité, sans détours.’
Le Régime d’Asile Européen Commun.Un autre sujet sensible, sur lequel la présidence italienne a dû se pencher, est l’asile, ‘défis dans le défis’ migratoire. Sur la base des priorités tracées par le Conseil Européen fin juin 2014, reprend Alfano, les ministres des affaires intérieures ont avancé dans la mise en œuvre du RAEC. Cependant, il faut travailler davantage, reconnait Alfano, entre autres vers la reconnaissance mutuelle du statut de réfugié entre les états membres, objectif qui toutefois sera difficilement atteint à court terme.
En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, objet de la modification de l’article du règlement de Dublin, les négociations seront clôturées par la présidence lettone. Néanmoins, répond Alfano à la reportrice du dossier Caterina Chinnici (S&D), ‘le Conseil s’est limité à expliciter ce qui était implicite dans la proposition de la Commission, tout en respectant l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE’. Et il promet, que ‘des trilogues seront organisés au plus vite pour offrir des meilleurs garanties aux mineurs non accompagnés.’
A ses successeurs, la présidence italienne suggère la création des centres d’introduction et d’examen des demandes d’asile dans les pays tiers, en collaboration étroite avec l’UNHCR. En même temps, lors d’une deuxième phase, il faudra prévoir des mécanismes de réinstallation des réfugiés entre les États membres de l’Union. Cependant, comme cela résulte déjà clairement des Conclusions du 4 et 5 décembre 2014, il ne pourra en être question que sur une base volontaire.
Par ailleurs, le ministre des affaires intérieures Angelino Alfano se félicite de l’amélioration des systèmes d’accueil des réfugiés. Ce qui, en revanche, provoque la réaction de Laura Ferrara (EFD), qui rappelle au ministre les manifestations des refugies en Grèce, la tragédie de Ceuta et Melilla, ainsi que les derniers arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dénonçant les manquements de l’Italie à ce sujet.
Dimension externe de la question migratoire.La présidence italienne a réservé une attention particulière à la dimension externe de la question migratoire, pour renforcer davantage la synergie entre les acteurs internes et externes de l’action de l’Union Européenne. A ce propos, l’approche globale lancée par la Commission européenne en 2005 a été inspirateur de la multiplication des Partenariats pour la Mobilité (Maroc et Tunisie), notamment celui avec le Nigeria prêt à la signature. D’autres exemples concrets relèvent de la plus ample inclusion du Service d’Action Extérieure de l’UE (EEAS) et la réunion conjointe des ministres des affaires intérieures et des affaires étrangères, tenue à Rome le 27 novembre 2014. Lors de cette rencontre, les ministre ont entamé pour la première fois un dialogue constructif sur la question migratoire.
Un pas très important vers l’affirmation d’une approche globale et intégrée, proclame le ministre Alfano, a été le Processus de Rabat, étendu au dialogue de Khartoum. C’est à cette occasion que les ministres européens aux affaires intérieures et extérieures ont eu un échange de vues fructueux avec leurs homologues africains, sur le thème de la mobilité et du développement.Deux processus qui à ses yeux ont un bel avenir.
Mais certains députés de la commission parlementaire LIBE ne partagent pas son esprit positif. Malin Björk, de la coalition des Verts, accuse ‘une externalisation inacceptable : comment peut-on dialoguer avec des dictatures ?’ Elle est rejointe par l’intervention de Laura Ferrara (EFD), qui demande plus d’éclaircissements quant aux projets concrets en accord avec les garanties à donner au respect des droits fondamentaux.
Pour sa part, le ministre Alfano tient à être clair : ‘toute hypothèse de travail repose sur une base volontaire, toute hypothèse de participation prévoit l’inclusion des organisations internationales multilatérales attentives au respect des Droits fondamentaux, comme l’Organisation International à la Migration (OIM) et l’UNHCR.
Système d’évaluation Schengen. Alors que le ministre Alfano n’avait pas abordé la question ‘Schengen’, objet d’un document spécifique approuvé lors de la dernière réunion du Conseil JAI, Carlos Coelho (S&D) manifeste sa déception quant au système d’évaluation de Schengen. A son avis, le Conseil s’auto-félicite des résultats des 15 dernières années, il est fortement douteux que la Roumaine et la Bulgarie soient d’accord. Mais aux insinuations de Carlos Coelho d’une tentative intergouvernementale de revenir en arrière, Alfano déclare son soutien au Système ‘de plus en plus efficace.’
Autres affaires intérieures évoquées. Le trafic et la traite des êtres humains sont un ‘tour-operator assassin’ qu’il faut démanteler, déclare le ministre Alfano, exprimant ainsi l’esprit de la présidence italienne, lorsqu’elle a abordé la question pendant son mandat.
D’ailleurs les italiens se sont engagés dans la lutte contre la criminalité organisée, en coopération avec la commission spéciale CRIM au Parlement européen, ainsi que grâce au lancement du réseau @ON, approuvé lors de la dernière réunion du Conseil JAI. D’autres discussions ont été entamées à propos des mesures pour la traçabilité des flux financiers et la transparence des appels d’offres publiques.
D’autres actions plus concrètes ont fait l’objet d’accord pendant la présidence italienne en matière de lutte contre le terrorisme, notamment pour s’opposer à la radicalisation et le recrutement des combattants étrangers. Ce dernier point a fait l’objet d’un accord sur les grandes lignes stratégiques le 5 décembre 2014 au Conseil JAI.
Plus spécifiquement, selon le ministre Alfano, il sera nécessaire de renforcer, à droit constant, les instruments de contrôle des frontières, grâce surtout au SIS II et à l’action d’Europol; mais aussi une réponse judiciaire est envisagée, incluant Eurojust. Par ailleurs, sous la présidence italienne, le Conseil s’est efforcé de valoriser l’action des équipes multinationales ad hoc, dans la lutte contre le terrorisme des extrémistes et, au niveau européen, de renforcer les réseaux de collaboration grâce à l’approbation d’un protocole opérationnel. En même temps, les lignes directrices pour la lutte contre la radicalisation sur le web, approuvées en octobre dernier, sont en cours d’implémentation, a-t-il rappelé.
L’ensemble des points abordés ci-dessus, seront introduits dans la stratégie de sécurité intérieure (ISS) 2015-2020, qui sera approuvée définitivement l’année prochaine.
Le dossier PNR, initialement pas abordé par le ministre Alfano a fait l’objet d’une question posée par le député des Verts, Jan Philipp Albrecht. La présidence italienne a cherché à s’opposer à un ene approche rigide du Conseil, mais Alfano reconnait les difficultés rencontrées à trouver le juste équilibre entre le respect de la vie privée, le droit à liberté de circulation et la sécurité, les trois étant également importants. La présidence italienne n’ a pu trouver le temps nécessaire pour y parvenir.
En conclusion, un bilan qui a présenté essentiellement les projets pour l’avenir, sans démontrer trop d’avancées concrètes pour le présent, notamment sur la question migratoire. Il reste à voir comment la Présidence lettone donnera suite aux programmes et aux priorités stratégiques lancées sous présidence italienne ou annoncées.
Elena Sbarai
Pour en savoir plus:
-. Council meeting JHA, 4-5 December 2014 EN http://www.consilium.europa.eu
-. JHA Council conclusions on the legacy of Schengen evaluation within the Council and its future role and responsibilities under the new mechanism, 4-5 December 2014 EN http://www.consilium.europa.eu FR http://www.consilium.europa.eu
-. Site official de la présidence italienne au Conseil de l’UE http://italia2014.eu/it/
-. EU-Logos, priorités de la présidence italienne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, 28 juillet 2014 http://europe-liberte-securite-justice.org
-. EU-Logos, Le Commissaire Avramopoulos tient sa parole : dialogues entre le commissaire à la migration et aux affaires intérieures et à la citoyenneté et sa commission parlementaire préférée. 8 décembre 2014 http://europe-liberte-securite-justice.org
-. Work programme Latvia Presidency 2015 http://www.eu2015.lv