Un sévère avertissement pour les uns et les autres qu’ils siègent au Parlement européen ou se trouvent rassemblés dans la fastueuse salle Clémentine du palais apostolique au Vatican. Sans conséquences dans l’immédiat, ils sont appelés à laisser des traces profondes . Deux discours qui se font écho. Le pape François sermonne la bureaucratie vaticane : après les « sept péchés capitaux », les dix commandements », les « quinze maladies curiales », lui qui il y a plusieurs mois avait dénoncé les « évêques d’aéroports ».Des discours incisifs, moraux ou moralisateurs mais aussi très politiques.
1-. Pour la Curie romaine, le traditionnel échange de vœux avec le pape, à l’approche de Noël, s’est transformé cette année en une vigoureuse séance d’admonestation, la charge la plus incisive de son pontificat contre les maux dont souffre, selon lui, l’administration vaticane.
«Alzheimer spirituel», «schizophrénie existentielle», «pétrification mentale et spirituelle», de ceux « qui se cachent derrière leurs dossiers », «terrorisme du bavardage», «maladie du sinistre visage funèbre»… Comparant la Curie à un corps, le pape a dressé un «catalogue» de quinze «maladies curiales» dont il discerne les symptômes parmi les fonctionnaires romains. Pour chacune d’elles, il a ciselé des mots choisis pour frapper les esprits et pour stigmatiser. A travers elles, il a fustigé pêle-mêle le carriérisme, l’«arrogance», « totalement dépendants de leur présent, de leurs passions, caprices et manies »l’hypocrisie d’une «vie cachée et souvent dissolue», la recherche de la «vaine gloire», le «vide spirituel», la «médiocrité», la «médisance», les «meurtriers au sang-froid de la renommée des collègues», ceux qui se sentent «immortels» ou «indispensables» dénonçant les tristes figures « qui estiment que pour être sérieux (…) il faut traiter les autres avec rigidité, dureté et arrogance » « alors qu’une bonne dose d’humour sain nous fait du bien »… «La Curie est appelée à s’améliorer», a finalement lancé le pontife argentin aux responsables de dicastères (l’équivalent des ministères), conseils, offices ou tribunaux, car «de telles maladies et tentations sont naturellement un danger pour chaque chrétien et pour chaque curie, communauté, congrégation, paroisse, mouvement ecclésial».
Avec son équipe, il a déjà fait le ménage dans les finances en réformant l’Institut pour les œuvres de religion (IOR), la banque du Vatican, réputée pour sa gestion opaque et soupçonnée de longue date de corruption et de blanchiment. Il a fait réaliser un audit externe de la gestion de la cité-Etat et a redessiné le pouvoir économique. La quasi-totalité des fonctions financières et économiques du Vatican ont changé de mains. Elles sont dorénavant supervisées par le cardinal australien George Pell, membre du conseil de neuf cardinaux (C9) représentant tous les continents – et divers courants de l’Eglise – dont s’est entouré le pape pour manœuvrer face à la Curie et mener une réforme qui bousculera de nombreuses positions réputés acquises. Présentée aux responsables de dicastères, la réorganisation a déjà braqué une partie de l’appareil curial. En retard sur le calendrier, elle devrait être soumise à un consistoire (réunion des cardinaux) en février, mais ne devrait pas aboutir avant 2016. En réalité, l’ambition réformatrice du pape François va bien au-delà de la seule Curie. Elle consiste à recomposer le pouvoir et la gouvernance au sein de l’Eglise en y faisant plus de place aux Eglises «locales» (nationales), aux laïcs, aux femmes.
Ce n’est pas la première fois que le pape jésuite dénonce avec des mots parfois très durs le cléricalisme comme une véritable menace mortelle pour l’Eglise. «Le peuple de Dieu veut des pasteurs et pas des fonctionnaires ou des clercs d’Etat», disait-il dans un entretien d’août 2013 aux revues culturelles jésuites. Ailleurs, il dénonce les «évêques d’aéroport» ou ceux «qui préfèrent être des généraux d’armées défaites plutôt que de simples soldats d’un escadron qui continue à combattre».Une Curie restructurée et allégée irait de pair, aux yeux du pape, avec une décentralisation des lieux de décision dans l’Eglise. «Une excessive centralisation, ajoute-t-il, au lieu de l’aider, complique la vie de l’Eglise et sa dynamique missionnaire.» Une exhortation que devrait entendre bien des responsables de grandes administrations européennes, nationales ou internationales.
L’intérêt de cette charge contre les maux de la bureaucratie vaticane va bien au-delà du cas romain et vise aussi la plupart des grandes administrations, à commencer par les administrations européennes. Sur ce plan certaines maladies dénoncées acquièrent une tonalité toute spéciale : maladie de la mauvaise coordination, maladie de l’activité excessive, de l’agitation, légiférer plus en quelque sorte, qu’il nomme « marthalisme »,(allusion à Sainte Marthe qui selon l’évangile aurait été gentiment rabrouée pour son zèle déployé autour de la personne du Christ),maladie de la rivalité, maladie des clans et des cercles fermés, maladie de la planification excessive et du fonctionnarisme, maladie de la pétrification mentale, maladie de la schizophrénie que ni les diplômes, ni les titres académiques ne peuvent combler, maladie de la rumeur et du commérage, terrorisme des bavardages, maladie de la « tête d’enterrement ». .. En un mot disons : c’est bien vu !
C’est pour cela que le discours prononcé devant la Curie dépasse largement l’administration vaticane et s’adresse à tous. Tout le monde en a pris pour son grade et cela fait du bien. Cela ne concerne pas seulement ce petit groupe, statistiquement très peu nombreux, dans cette liste il y en a pour tout le monde : les politiques, les chefs d’entreprises, les journalistes, les personnages qui se croient importants que l’on croise à chaque instant de nos journées , les directeurs généraux, les chefs de services, les ambassadeurs et chefs de gouvernements en tout genre. Nous sommes tous concernés et cela devrait faire un bien fou à tout le monde.
2-. Face au Parlement européen disons simplement que l’évêque de Rome, comme il aime à se désigner lui-même, a su trouver les mots, ces mots qu’on ne trouve pas, habituellement , dans la bouche des responsables politiques d’aujourd’hui lorsqu’ils parlent d’Europe, ces mots ils manquent habituellement pour parler de l’Europe, de sa nécessité et de son message d’espoir. Ce que le pape François apporte c’est une « une simple contribution qui n’est pas un danger pour la laïcité ».Derrière sa volonté de promouvoir des politiques de l’emploi, et l’accueil des migrants et l’écologie, il y a une conviction forte : l’Europe est en danger. Elle n’est pas encore à l’abri des dangers, sa démocratie est directement menacée par les nombreux extrémismes et le « tout économique ». A Strasbourg il a donc affirmé « l’exigence de maintenir vivante la démocratie des peuples d’Europe : « l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables ». En un mot, la dignité de l’homme, l’article 1 de la Charte européenne des droits fondamentaux.
Pour retrouver la maîtrise d’elle-même et son rayonnement dans un monde en mutation rapide et profonde, l’Europe doit renouer avec ses racines, avec une certaine conception de l’homme, mais elle doit aussi faire preuve de volonté politique et faire preuve de leadership diraient d’autres. Le pape François reproche à l’Europe d’avoir renoncé à exercer ses missions politiques. Ces dernières années elle a nourri « la méfiance de ses citoyens vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles. François a regretté « la prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique au détriment d’une authentique orientation anthropologique. Par exemple confrontés à la question migratoire, a souligné le pape, les membres de l’UE sont incapables « de soutien réciproque » et favorisent ainsi des solutions Etat par Etat « qui ne tiennent pas compte de la dignité humaine des immigrés, favorisant des travaux d’esclaves et des tensions sociales continuelles » » « On ne peut tolérer que la mer Méditerranée devienne un grand cimetière ». L’accueil des migrants est une obligation, réclame-t-il.
François a averti, rappelant sa vision géopolitique désormais bien connue : «A côté d’une Union européenne plus grande, il y a aussi un monde plus complexe, et en fort mouvement. Un monde toujours plus interconnecté et globalisé et donc de moins en moins euro-centrique ». Un langage de responsabilité et de lucidité. Que les européens n’oublient pas qu’ils seront regardés de plus en plus « avec distance, méfiance et parfois suspicion ». Il n’en est que plus à l’aise pour dénoncer les replis identitaires et lancer son appel : « à vous législateurs revient le devoir de protéger et faire grandir l’identité européenne, afin que les citoyens retrouvent confiance dans les institutions de l’Union ».
François rêve d’une « nouvelle collaboration sociale et économique, affranchie de conditionnements idéologiques, qui sache faire face au monde globalisé, en maintenant vivant ce sens de solidarité et de charité réciproques qui a tant caractérisé le visage de l’Europe ». Sans jamais perdre de vue l’un des fondamentaux de l’Europe : « son architecture propre(…) basée sur les principes de solidarité et de subsidiarité ».
«L’Europe retrouvera-t-elle son autorité et son prestige qui lui ont permis d’avancer ? En tout cas François est venu l’encourager à le faire, à retrouver son caractère intrépide et conquérant qui était le sien au départ, le propre des idées neuves. L’Europe aurait-elle oublié qu’elle a su maîtriser les nationalismes et créer des solidarités nouvelles ? C’est plus que le message catholique traditionnel bien modernisé auquel s’ajoute une critique contre l’économisme et contre un capitalisme déshumanisé dans lequel l’Europe semble s’être perdue.
François l’exhorte à se ressaisir : « je vous exhorte à travailler pour que l’Europe redécouvre sa bonne âme », liée au christianisme par une histoire « bimillénaire ». En retrouvant sa capacité à s’ouvrir à la dimension transcendantale de la vie, selon lui, « un lien renouvelé, une relation correcte » entre religion et société rendrait la société européenne mieux armée « pour faire face à un fondamentalisme religieux qui est surtout ennemi de Dieu ».
Parce qu’elle a oublié la dignité due à chacun, l’Europe aurait ouvert la voie à ce que François appelle « la culture du déchet », qui met au rebut les plus faibles : personnes âgées, jeunes, pauvre, migrants non directement utiles et productifs. Parmi les causes du déclassement de l’Europe le pape a mis au premier rang « comme absolu » aurait supplanté « l’être relationnel » avec toutes ses conséquences néfastes : « ces individus sont traités comme des objets dont on peut programmer la conception, la configuration et l’utilité et qui ensuite peuvent être jetés quand ils ne servent plus quand ils deviennent faibles, malades ou vieux ». L’Europe a trop cédé « à une revendication toujours plus grande des droits individuels qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social ou anthropologique, presque comme une monade toujours plus insensible aux autres monades présentes autour de soi. Au concept de droit, celui de devoir ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer des droits individuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel les droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même ».Il regrette que chacun devienne la mesure de soi-même. En se construisant comme une communauté d’Etats, l’Europe se serait paradoxalement déconstruite comme une société d’humains, « formés d’individus, de familles, de groupes intermédiaires ».
« A l’Europe nous pouvons lui demander : où est ta vigueur ?où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande ? où est ton esprit d’entreprise et de curiosité ?où est ta soif de vérité que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ? (…) d’un peu partout on a une impression générale de fatigue et de vieillissement et non plus féconde et vivante (…)il lui faut de la mémoire ,du courage, une utopie saine et humaine (…)
L’Europe un simple musée du passé ou bien « est-elle encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière »
En conclusion, la phrase de Martin Schulz, socialiste président du Parlement européen qui quelques jours avant la visite du pape déclarait : le pape « est un point de référence, pas seulement pour les catholiques(…) un élément d’orientation dans une époque où beaucoup sont désorientés ». Il y a urgence en Europe, dans cette Europe où il avait déjà dénoncé « la mondialisation de l’indifférence qui s’habitue à la souffrance de l’autre »
Observons chez les députés européens, un instant décontenancés à l’annonce de la visite, une satisfaction quasi unanime, preuve qu’ils auront manifestement trouvé dans le discours du pape un passage ou un symbole qui fait écho à leurs priorités ou à leurs préoccupations du moment.
Pour en savoir plus :
-. Pope Francis’Image in Positive Much of World. A new survey Report by the Pew Research Center http://www.pewglobal.org/2014/12/11/pope-francis-image-positive-in-much-of-world/
-. Revue de presse de Notre Europe: “Standing ovation pour le pape pourtant très critique Toute l’Europe contact@lettres.touteleurope.eu ; le pape au Parlement européen « entre curiosité et rejet » Toute l’Europe contact@lettres.touteleurope.eu
-. Texte intégral du discours du pape François des Quinze maladies de la Curie https://www.google.be/?gfe_rd=cr&ei=HnmiVI68LqGB7QbXnIHoAQ&gws_rd=ssl#q=la+croix.com&tbm=nws&start=50 le texte original est publié en italien dans l’Osservatore Romano des 22-23 décembre 2014
-. Texte intégral du discours du pape François au Parlement européen (25 novembre 2014) http://info.catho.be/wp-content/uploads/2014/11/Discours-du-pape-Francois-au-Parlement-europeen.pdf