Migration et intégration. La langue est certainement un obstacle à surmonter un de plus , mais jusqu’à quel point un État peut l’imposer comme condition à la résidence de longue durée ? L’avocat général Szpunar a exprimé son opinion, attendant que la CJUE tranche sur le point.
L’Union européenne considère que lorsque un migrant, originaire d’un État tiers, a vécu pendant cinq ans ininterrompus dans un État membre, ses perspectives de s’y installer durablement sont garanties. Dès lors, il peut bénéficier d’un permis de longue durée, selon ce que dispose la Directive 2003/109/EC (modifiée par la directive 2011/51/EU) relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. Grâce au nouveau titre, le migrant acquiert un ensemble de droits uniformes qui le rapprochent à ceux dont disposent les citoyens de l’Union européenne.
Il est néanmoins nécessaire de rappeler deux aspects fondamentaux. Tout d’abord l’Union ne possède qu’une compétence d’appui en matière d’intégration, ce qui limite la marge d’action à l’égard des États membres. À confirmer cela, l’article 79 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE affirme . Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des mesures pour encourager et appuyer l’action des États membres en vue de favoriser l’intégration des ressortissants de pays tiers en séjour régulier sur leur territoire, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.
Deuxièmement, une directive fixe les objectifs à atteindre, de manière complémentaire aux dispositions nationales censées en préciser les moyens. De plus, en ce qui concerne la directive ‘permis longue-durée’, les États membres peuvent prévoir des conditions ultérieures que le migrant doit remplir afin d’obtenir le nouveau statut. Par exemple, il est souvent prévu qu’il suive un cours de langue, afin de démontrer avoir atteint un certain niveau minimal nécessaire.
En lien avec ce dernier point, la Cour de Justice de l’UE est en train de se pencher sur un cas spécifique (affaire C-579/13) qui concerne en premier lieu les Pays-Bas. En particulier, deux ressortissants des Etats-Unis, ayant déjà obtenu le statut de résidents de longue durée, ont été obligés à suivre des cours supplémentaires de langue. Il est, donc question de savoir comment interpréter le texte de la Directive 2011/51/EU, afin de comprendre si l’imposition d’une obligation d’intégration est encore possible après l’acquisition du statut de résident de longue durée.
Sur ce point, l’avocat général Szpunar vient de se prononcer proposant à la Cour de déclarer que ‘la directive n’interdit pas aux États membres d’imposer des mesures d’intégration aux ressortissants de pays tiers possédant le statut de résident de longue durée. Toutefois, ces mesures ne doivent pas avoir d’autre objet que de faciliter l’intégration de l’intéressé et ne doivent pas conditionner le maintien du statut de résident de longue durée ou l’exercice des droits y afférents’.
Les conclusions de l’avocat général ne lient pas la décision finale de la Cour de justice. Néanmoins, il est intéressant de souligner comment l’avocat Szpunar a appuyé son raisonnement dans une marge large mesure sur la base du but ultime de la directive, visant, d’après lui, à favoriser l’intégration de la personne concernée. Toutefois, si on prend le texte de la Directive, l’objectif est celui d’établir ‘les conditions d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée ainsi que des droits y afférents’, harmonisant, de même, ‘les conditions pour l’exercice du droit au séjour dans les autres États membres des résidents de longue durée’.
En fait, le champ d’application est assez restreint : la marge de manœuvre laissée aux États est très large et, en lisant le texte, on a plutôt l’impression que l’intégration est une condition préalable à l’octroi du statut de résident de longue durée.
Pour autant, l’opinion manifestée par l’avocat générale reprend l’esprit des considérants de la directive ‘résidants longue-durée’, plus larges car non contraignants à l’égard des États. Ici le lien entre le statut acquis, les droits qu’il accorde et l’intégration du migrant est plus clair. Il sera très intéressant de voir, donc, comment la Cour de Justice de l’UE va se prononcer. Sa contribution à l’évolution du Droit européen a été fondamentale depuis toujours, notamment en matière d’immigration, là où le législateur a été contraint par les divergences étatiques. On espère, donc, qu’elle saura interpréter le texte de la directive de manière la plus favorable possible aux migrants, car toute migration est positive : elle contribue à la croissance économique, à la cohésion sociale, à l’enrichissement culturel.
Elena Sbarai
Pour en savoir plus :
- Opinion de l’avocat générale Szpunar FR http://curia. europa.eu EN http://curia.europa.eu
- Directive 2003/109/EC, modifiée par la Directive 2011/51/EU FR http://eur-lex.europa.eu EN http://eur-lex.europa.eu
- Rapport sur la Directive 2003/109/EC EN http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs