Sommet de Washington (17-19 février) : plus de soixante pays et organisations s’engagent à lutter contre l’extrémisme violent

Plus de soixante pays et organisations ont participé, du 17 au 19 février 2015, à un sommet contre l’extrémisme violent organisé à Washington par le Président américain Barack Obama. Ce sommet a vu l’intervention, parmi d’autres, de la Haute Représentante de l’Union Européenne Federica Mogherini et de ministres des affaires intérieures de plusieurs pays européens.

 Plus de soixante pays du monde ont participé à un sommet contre l’extrémisme violent (CVE, « Countering Violent Extremism ») qui s’est tenu à Washington du 17 au 19 février 2015. Le sommet a vu l’intervention, entre autres, de la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union Européenne (UE) Federica Mogherini, ainsi que de ministres des affaires intérieures de plusieurs pays européens comme la France et le Royaume Uni.
Ce sommet a été convoqué par le Président américain Barack Obama à la suite des attentats de Paris des 7 et 9 janvier, et s’inscrit dans un contexte européen et international marqué par les violences et attentats de Copenhague du 14 février ainsi que par les violences croissantes perpétrées par l’Etat Islamique en Syrie et Irak. En fait, déjà en Septembre 2014, Obama avait invité les Etats Membres des Nations Unies à s’engager de façon plus sérieuse dans la lutte contre l’extrémisme violent et à mettre en place des étapes concrètes afin de faire face aux conditions qui favorisent l’émergence de l’extrémisme. Le sommet de Washington s’inscrit donc dans ce cadre.

 Qu’est-ce que le CVE ?

Le but principal du sommet était de discuter des mesures concrètes que les pays participants peuvent mettre en oeuvre afin de développer une approche globale pour faire face aux idéologies extrémistes qui incitent à la violence.
Comme l’explique la Maison-Blanche, la lutte contre l’extrémisme violent inclut les aspects préventifs du contre-terrorisme et les interventions visant à affaiblir l’attraction des mouvements extrémistes et des idéologies promouvant la violence. Ainsi, le CVE vise à s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme à travers un engagement au niveau des communautés qui porte sur trois axes principales : sensibilisation, lutte contre la rhétorique du recrutement extrémiste et renforcement des efforts des communautés visant à bloquer les processus de radicalisation des individus.

 L’extrémisme violent, comme l’a rappelé le Président Barack Obama pendant le sommet, ne concerne pas seulement les terroristes qui tuent des innocents, mais aussi toute l’infrastructure des extrémistes, qui inclut les propagandistes, les recruteurs et ceux qui financent ces groupes.
Toujours d’après le Président, une partie essentielle de la lutte contre l’extrémisme violent réside dans la promotion de l’état de droit. En effet, comme il l’a souligné, les ingrédients fondamentaux d’une stabilité et d’un progrès véritable et durable ce sont des institutions capables de mettre en oeuvre la justice, des forces de police qui respectent les droits de l’homme, des sociétés civiles puissantes et caractérisées par une liberté de pensée, d’expression, d’association et de religion. Bref, comme l’a souligné le Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki-Moon, « missiles may kill terrorists. But good governance kills terrorism »

 Une déclaration commune

Derrière la décision de convoquer un sommet international se trouve le constat qu’une menace globale comme le terrorisme ne peut être gérée individuellement par aucun état. Comme l’a souligné la Haute Représentante de l’UE F. Mogherini lors de son intervention, seulement une alliance globale peut faire face de façon efficace à cette menace. Egalement, le Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki-Moon a prôné tous les pays et les organisations internationales et régionales à unir leurs efforts afin de forger une réponse à multiples facettes.

A cet effet, à la fin du sommet, une déclaration commune des pays et des autres acteurs participants a été adoptée (cf. « pour en savoir plus »). Dans cette déclaration, les participants condamnent tout d’abord les attaques terroristes récentes et soulignent leur engagement dans la lutte contre toute forme d’extrémisme. Ils affirment aussi que l’extrémisme violent « ne doit être associé à aucune religion, nationalité, civilisation ou groupe ethnique ».
En deuxième lieu, ils remarquent que les mesures policières et militaires peuvent être aussi contre-productives si elles ne sont pas complétées par des stratégies au niveau des communautés et par une vision globale de l’état de droit. Par conséquent, dans la déclaration du sommet les participants prônent toute une série de mesures visant à faire face aux conditions d’exclusion économique, politique et sociale (qui représentent un « terrain fertile » pour le recrutement extrémiste) en promouvant des opportunités économiques, d’éducation et de formation professionnelle.
Si les participants au sommet prônent pour des mesures concrètes au niveau de législations et de politiques afin de lutter contre l’extrémisme violent, ils soulignent aussi que ces mesures ne doivent pas nuire à la jouissance des libertés fondamentales comme la liberté d’expression, d’association ou de mouvement.

 Ensuite, la déclaration insiste sur la nécessité de s’opposer au discours des extrémistes, qui s’épanouit notamment sur les réseaux sociaux, un thème qui a été évoqué à plusieurs reprises par les intervenants au sommet.
La « délégitimation » de la rhétorique extrémiste, d’après les participants, doit passer aussi par la promotion d’une éducation religieuse qui encourage la tolérance, la non-violence et le respect mutuel.
Enfin, la déclaration souligne l’engagement des participants à mettre en oeuvre l’agenda contre l’extrémisme violent agenda sur lequel un accord a été réalisé pendant la réunion ministérielle. Cet effort culminera avec un autre sommet qui se tiendra aux marges de la réunion de l’Assemblée Générales des Nations Unies prévue pour septembre 2015.

En ce qui concerne les initiatives de suivi du sommet, la déclaration envisage une série d’axes de travail, notamment :
1) La promotion du partage des informations ;
2) Le renforcement du rôle de la société civile dans la prévention de la lutte contre l’extrémisme violent ;
3) Le renforcement des relations entre les communautés et les forces de police ;
4) L’utilisation des moyens stratégiques de communication afin de délégitimer les idéologies extrémistes violentes
5) Le renforcement du rôle des voix religieuses promouvant la tolérance ;
6) La réhabilitation et la réintégration des extrémistes violents ;
7) Le financement des opportunités politiques et économiques destinées aux communautés vulnérables à la radicalisation ;
8) L’introduction des stratégies de coopération au développement dans la lutte contre le recrutement mené par les extrémistes violents.

Aucun « choc de civilisations »

Pendant le sommet, le Président Obama et d’autres participants ont remarqué à plusieurs reprises que la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent n’est pas un « choc de civilisations ».
Ainsi, B. Obama a souligné que l’ISIL cette propagande selon laquelle les Etats-Unis et l’Occident en général soient en guerre contre l’Islam – est selon Obama, « un mensonge ». Cette propagande est utilisée par ces groupes extrémistes, qui sont en permanence à la recherche de légitimité, afin de radicaliser les jeunes. Or, d’après le Président, il est important d’affirmer que les adhérents de l’ISIL ne sont pas des leaders religieux, mais des terroristes. « We are not at war with Islam » a-t-il affirmé, « we are at war with people who have perverted Islam ».
En même temps, B. Obama a insisté sur le fait que les leaders musulmans doivent également s’engager dans un effort pour discréditer la notion que l’Occident vise à supprimer l’Islam. Ainsi, les communautés musulmanes auraient, d’après le Président, la responsabilité de repousser non seulement les interprétations perverties de l’Islam mais aussi la notion d’un Occident qui s’oppose à l’Islam en tant que tel. Enfin, il a rappelé l’importance d’éviter toute stigmatisation des communautés entières en fonction de la religion.
A cause de ces positions exprimées lors du sommet de Washington, visant à éviter toute référence aux racines religieuses de l’extrémisme violent, le Président Obama a été farouchement critiqué par ses adversaires républicains comme le sénateur John McCain, qui a repris sur Twitter les propos de B. Obama en répliquant que « l’idée selon laquelle l’islam radical n’est pas en guerre avec l’Occident est un horrible mensonge ».

Le refus de la notion d’un « choc de civilisations » a été également clair dans l’intervention de la Haute Représentante de l’UE Federica Mogherini, qui a souligné : « This is not a fight between East and West. This is a criminal misuse of a noble religion to perpetrate terrorist attacks in a fight for power ».

Le problème des « foreign fighters »

Parmi les questions abordées par le sommet promu par le Président Obama, c’est une importance majeure que revêt le problème des foreign fighters, c’est-à-dire des combattants étrangers qui garnissent les rangs de l’ISIL. En effet, comme l’a rappelé le Secrétaire d’Etat John Kerry lors de son intervention, il est estimé que, depuis le début de la guerre, plus de 20.000 foreign fighters ressortissant de plus de 100 pays se sont rendus en Syrie et en Irak afin de combattre avec l’ISIL, dont au moins 4000 ressortissants de l’Europe occidentale.
Pour ces raisons, aux marges du sommet s’est tenue une réunion ministérielle de partage d’information sur le problème des foreign fighters et de leurs déplacements.

Durant le sommet, le maire de la ville belge de Vilvoorde a témoigné du recrutement massif qui a eu lieu dans sa ville de 42.000 habitants, où 28 jeunes se sont rendus en Irak et Syrie et 40 se préparaient à partir.

Ensuite, le Secrétaire Général de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) Lamberto Zannier a rappelé que la prévention du recrutement des foreign fighters sera au coeur d’un sommet régional convoqué par la présidence serbe de l’OSCE de 2015, qui aura lieu à Vienne dans les prochains mois.

Il faut noter que ce thème a fait l’objet aussi, pendant le sommet de discussions à Paris entre le ministre français de l’intérieur Bernard Cazeneuve et le premier vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. Tous les deux ont remarqué l’importance du projet européen de mettre en place un registre européen des passagers aériens (PNR, « passenger name record »), sur lequel le Parlement Européen vient d’adopter une résolution le 12 février. De plus, F. Timmermans a invité les Etats Membres de l’Union Européenne à utiliser les systèmes existants au niveau européen (notamment l’accord Schengen, Europol et d’autres services) afin de renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité et dans la lutte contre le terrorisme.

 Le recrutement des extrémistes violents via les médias

Un des thèmes qui a été au coeur des discussions lors du sommet de Washington était la question délicate du rapport entre les médias et l’extrémisme violent, qui découle du fait qu’une grande partie du recrutement des extrémistes passe par l’internet, et notamment par les réseaux sociaux.

Comme l’a souligné B. Obama, l’utilisation par les groupes terroristes des médias comme Facebook, Twitter ou Youtube vise spécifiquement à cibler les jeunes afin de les radicaliser. Si dans le passé la radicalisation se faisait dans des formes traditionnelles d’association, a remarqué la Haute Représentante Mogherini, aujourd’hui elle se fait principalement dans la solitude des chambres des jeunes. Pour cette raison, F. Mogherini a prôné l’établissement de partenariats avec le secteur privé et particulièrement l’industrie des télécommunications afin de combattre le recrutement terroriste.

Ce thème a été évoqué surtout par le ministre français de l’intérieur Bernard Cazeneuve, qui a invité les pays participants à une meilleure coordination dans la lutte contre le recrutement des terroristes sur l’internet. En particulier, il a prôné une harmonisation des législations en matière de retrait de contenus illégaux au niveau international.
Deuxièmement, il a souligné la nécessité d’obtenir la coopération dans la lutte contre l’extrémisme violent des « géants » de l’internet. Cette coopération devrait consister, d’après le ministre, dans le retrait des contenus de propagande djihadiste lorsqu’ils sont signalés par les autorités, dans une assistance aux gouvernements dans le développement de contre-discours afin de combattre la propagande extrémiste, et dans une collaboration dans les enquêtes antiterroristes. A cet effet, au lendemain du sommet le ministre français s’est rendu dans la Silicon Valley pour se rencontrer avec des représentants d’entreprises comme Google, Apple, Facebook, Microsoft et Twitter.

Dans ce débat qui porte sur la possibilité d’augmenter le contrôle et la régulation de l’internet s’est prononcé aussi le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Niels Muiznieks, qui a écrit qu’il faut toujours considérer les conséquences en termes de libertés individuelles des mesures de sécurité et de contrôle de l’internet. En effet, à son avis, l’idée de donner aux services de sécurité un accès sans entraves aux communications numériques montre qu’on ne considère pas suffisamment « les dangers que la surveillance de masse fait courir aux droits de l’homme, et notamment au droit du respect de la vie privée ». N. Muiznieks conclut ainsi que la confiscation des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme est une erreur et une mesure inefficace, et appelle à la prudence dans l’adoption de toute nouvelle législation de lutte contre le terrorisme et au renforcement du contrôle démocratique des services de sécurité.

 L’importance de la prévention

La prévention est au coeur de la lutte contre l’extrémisme violent et, comme il a été rappelé par la Haute Représentante F. Mogherini, l’Union Européenne a défini sa vision dans une Stratégie de l’UE en matière de radicalisation, qui a été adoptée en 2005 et est mise à jour régulièrement.
Dans la prévention, revêt une importance fondamentale l’éducation des jeunes. En effet, comme souligné par le Président B. Obama, « where young people have no education, they are more vulnerable to conspiracy theories and radical ideas » et, dans les propos du Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki-Moon, « education will play a decisive role – in school and home alike – in winning the battle for the minds of future generations ».
A ce propos, F. Mogherini a remarqué que les ministres de l’éducation des Etats Membres de l’UE vont se rencontrer à Paris le 17 mars, dans le cadre d’une initiative conjointe de l’UE et du gouvernement français, afin d’envisager de nouvelles mesures pour la lutte contre la radicalisation en Europe.
Enfin, l’importance des programmes éducatifs a été soulignée également par le ministre letton de l’intérieur Richards Kozlovskis, qui représentait la présidence lettonne de l’Union Européenne.

Plusieurs participants ont remarqué le fait que la prévention de la radicalisation est un procès que doit s’attaquer aux causes profondes de l’extrémisme, qui résident souvent, comme affirmé à plusieurs reprises par B. Obama et son Secrétaire d’Etat J. Kerry, dans de conditions d’exclusion sociale, économique et politique qui nourrissent le ressentiment et le sentiment d’injustice qui est exploité par les terroristes.
Le Président Obama, en particulier, a consacré une partie importante de ses interventions à ce thème. En effet, il a indiqué qu’il faut intervenir sur les conditions économiques qui privent les jeunes de toute opportunité de développement et d’avancement et qui rendent certaines communautés un terrain fertile pour le recrutement mené par les extrémistes. Deuxièmement, il faut aussi intervenir sur les mécontentements politiques qui sont exploités par les terroristes. Comme il l’a souligné, quand les droits sont niés, le désaccord est réduit au silence et le changement démocratique est empêché, il se crée un environnement favorable pour la propagande extrémiste.
Le Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki-Moon a, lui aussi, expliqué que prévenir l’émergence de l’extrémisme violent requiert une investigation des causes profondes : « preventing violent extremism demands that we get to the roots. […] Oppression, corruption and injustice are greenhouses for resentment ».

Giulia Bonacquisti

 

Pour en savoir plus :

     -. Fiche d’information de la Maison-Blanche sur le sommet de Washington (EN), http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2015/02/18/fact-sheet-white-house-summit-countering-violent-extremism

     -. Intervention de l’Haute Représentante de l’UE Federica Mogherini (EN), http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2015/150219_01_en.htm

     -. Intervention du Président des USA Barack Obama (EN), http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2015/02/18/remarks-president-closing-summit-countering-violent-extremism

     -. Intervention du Secrétaire d’Etat des USA John Kerry (EN), http://www.state.gov/secretary/remarks/2015/02/237596.htm

     -. Intervention du Secrétaire Général de l’OSCE (EN), http://www.osce.org/sg/142011?download=true

     -. Intervention du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe (EN), http://www.coe.int/fr/web/secretary-general/-/washington-intervention

     -. Intervention du Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki-Moon (EN), http://www.un.org/sg/statements/index.asp?nid=8408

     -. Déclaration du sommet de Washington (EN), http://iipdigital.usembassy.gov/st/english/texttrans/2015/02/20150220313708.html#axzz3TQTKxOXh

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire