Depuis 2004 et les attentats de Madrid qui on fait 191 morts et blessé pas moins de 1 800 personnes, le 11 mars est la Journée européenne de commémoration des victimes du terrorisme. A la lumière des événements de ce début d’année 2015, à Paris et Copenhague, puis, aux portes de l’Union européenne (UE) à Tunis, la liste des victimes semble s’allonger inexorablement. A l’occasion d’une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de l’UE le 12 février 2015, le Président du Parlement européen, Martin Schulz, avait commencé son discours en ces termes : « Nous sommes appelés à protéger les citoyens européens contre les attentats terroristes. » Cette intervention, a-t-il expliqué, se justifie par le fait que « la menace s’est transformée ».
La lutte contre le terrorisme est, aujourd’hui plus que jamais, un sujet d’actualité pour l’UE. Qu’est-ce que le terrorisme ? A l’heure actuelle, il n’existe aucune définition juridique universelle du terrorisme. Comme le rappelle Amnesty international, les Nations Unies ont plusieurs fois tenté d’adopter une définition commune, sans succès, en raison des contextes nationaux particuliers et des vues divergentes. Étymologiquement, le terme « terrorisme » vient du nom « terreur » auquel est ajouté le suffixe « -isme ». Jusque là, rien de bien nouveau. Le terme « terreur » vient du latin terrere qui signifie « faire trembler ». Quant au suffixe « -isme », il renvoie à un système, une doctrine, une croyance, un mode de pensée, d’action ou de vie, voire à une tendance. Le terrorisme désigne ainsi généralement l’utilisation de stratégies violentes pour imposer un point de vue. Cependant, comme l’a souligné Martin Schulz, le phénomène est complexe et en mutation. De même, les motivations des individus sont diverses, si bien qu’une définition unique, acceptable universellement, s’est avérée impossible à trouver. A l’échelle de l’UE, la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme (2002/475/JAI) dresse la liste des infractions terroristes. La conception du terrorisme portée par cette décision-cadre combine un ou des actes criminels graves avec la volonté d’intimider une population, de manière à faire pression sur un gouvernement ou une organisation internationale.
Comment l’UE lutte-t-elle contre le terrorisme ? La coopération entre les États européens en matière de lutte contre le terrorisme remonte à 1976 et la première réunion du groupe TREVI (Terrorisme, Radicalisme, Extrémisme et Violence Internationale). Il s’est donné pour objectif d’échanger des informations sur la menace terroriste et de définir des stratégies entre États membres. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, suivis de ceux perpétrés à Madrid le 11 mars 2004 puis à Londres les 7 et 21 juillet 2005, cette coopération s’est accentuée. Même si la lutte anti-terroriste demeure une compétence nationale, l’UE s’est dotée de moyens d’actions parmi lesquels :
- Le Système d’Information Schengen (SIS): Il s’agit d’un fichier informatique européen qui permet aux services responsables du contrôle des frontières, aux policiers et douaniers, ainsi qu’aux autorités judiciaires d’un État Schengen de disposer des données sur le signalement de personnes, d’objets et de véhicules. Si depuis 2013, le SIS est de plus en plus utilisé, plusieurs États membres ont mis en place leur propre système d’information. Pour rappel, 26 États constituent l’espace Schengen, dont 22 États membres de l’UE.
- Le mandat d’arrêt européen: depuis 2002, un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires d’un État membre est valable sur l’ensemble du territoire de l’Union.
- Le Fonds de sécurité intérieure : a été mis en place pour la période 2014-2020 dans le but de promouvoir la coopération européenne en matière d’application du droit de l’UE, de gestion des risques et des crises et de contrôle des frontières extérieures de l’UE.
- Le Réseau de sensibilisation à la Radicalisation (RAN : Radicalisation Awareness Network): mis en place en septembre 2011 par la Commission européenne, RAN met en relation et soutient les acteurs engagés dans la lutte contre la radicalisation violente et le recrutement de personnes à des fins terroristes, de manière à favoriser l’échange des expériences et bonnes pratiques.
Au-delà de ces instruments, l’UE s’appuie également sur un certain nombre d’acteurs dans sa lutte contre le terrorisme. Parmi eux :
- û Europol : est une Agence de l’UE qui a pour mission de coordonner le partage d’informations entre les polices nationales et surveiller les menaces criminelles graves en Europe.
- û Eurojust : depuis 2002, Eurojust a pour mission de « promouvoir et renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales dans la lutte contre la criminalité transfrontalière grave engagée dans l’Union européenne. »
- û Frontex : est une Agence de l’UE chargée du contrôle des frontières de l’Union en assurant la coordination de la coopération opérationnelle entre les États membres.
- û Le Coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme : est actuellement Gilles de Kerchove. Il a pour mission la coordination des activités menées au sein de l’UE dans le domaine de la lutte antiterroriste. Il veille notamment à la coordination des travaux des différentes formations du Conseil de l’UE qui ont un lien avec la lutte antiterroriste.
Quels sont les travaux en cours ? La Commission européenne a présenté en 2011 une proposition de directive sur le registre des passagers aériens, ou PNR (Passengers Name Record). Ce registre reprendrait une série de données sur les passagers aériens puisque la directive visait à contraindre les compagnies aériennes à fournir aux États membres les données des passagers qui entrent ou sortent de l’Europe. La collecte de ces données, jugées par les responsables de sécurité comme indispensable à la prévention et la détection d’infractions terroristes ou d’infractions graves, est considérée par d’autres comme une atteinte aux droits et libertés fondamentales. Le projet de directive a été rejeté par la commission des libertés civiles (LIBE) du Parlement européen en avril 2013. Pourtant, le débat sur la proposition a refait surface en raison de la menace que représentent les Européens qui rentrent chez eux après avoir combattu pour l’État islamique et que l’on appelle les « combattants étrangers ». Le 26 février 2015, un nouveau texte, présenté par le député Timothy Kirkhope (UK, ECR), a été débattu en commission LIBE. Le délai pour le dépôt des amendements au texte est fixé pour le 1er avril 2015. Dans une tribune publiée dans Le Figaro et The Daily Telegraph, le 2 mars 2015, 18 eurodéputés français et britanniques ont jugé urgente l’adoption d’un PNR européen pour « détecter des parcours suspects de potentiels terroristes ou de dangereux criminels ». Gilles de Kerchove, Coordinateur de l’UE, a quant à lui indiqué que « le Parlement européen a des préoccupations fondées quant à la vie privée, mais si nous n’avons aucune législation européenne, la conséquence sera que les États membres développeront leur propre PNR ce qui entraînera un système moins effectif ». D’ores et déjà, 15 PNR nationaux ont bénéficié d’un financement par la Commission, dont le PNR français. D’après le journal Le Monde, la France prévoit la mise en service de son PNR pour octobre 2015. Il comprendra 24 items sur chaque passager, conservés durant cinq ans mais masqués au bout de deux ans. Ces informations ne seront pas nécessairement échangées avec les autorités des pays voisins, d’où le manque d’efficacité évoqué par Gilles de Kerchove.
Les récents attentats ont également conduit certains Ministres de l’Intérieur des États membres de l’UE à réfléchir ensemble à améliorer l’échange d’informations. Le groupe des pays directement concernés par la menace terroriste ne cesse de grandir : d’abord l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ont décidé de travailler ensemble puis l’Autriche, l’Espagne, et enfin l’Irlande s’y sont ajoutés. En juillet 2014, leurs Ministres de l’Intérieur ont approuvé des mesures visant à une meilleure utilisation du SIS, à des contrôles ciblés aux frontières et à un échange d’information entre les autorités et avec Europol. A cet égard, Guy Verhofstadt (ALDE, Belgique) a également proposé la création d’un Eurointel, à savoir un centre européen du renseignement. Une telle proposition risque néanmoins de susciter la réticence des services qui sont généralement peu réceptifs à l’idée d’échanger les informations dont ils disposent. Une autre piste est explorée, celle du contrôle d’Internet et des réseaux sociaux qui favorisent la radicalisation et la propagande.
De leur côté, les Ministres européens de l’Éducation se sont engagés à lutter contre la radicalisation des jeunes européens conduisant au terrorisme. Ceux-ci se sont réunis le 17 mars 2015 à Paris pour discuter des moyens à mettre en œuvre pour faire de l’éducation un instrument de lutte contre l’extrémisme, à la fois au niveau national et européen. Ainsi, ils ont adopté une « Déclaration commune sur la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non discrimination ». Ils s’y engagent à unir leurs forces pour lutter contre la marginalisation, l’intolérance, le racisme, la radicalisation et pour l’égalité des chances. Le Commissaire européen à l’Éducation, Tibor Navracsics a, par ailleurs, annoncé qu’il allait présenter d’ici la fin de l’année des recommandations pour approfondir la question de l’inclusion, de la diversité et des valeurs civiques dans les écoles. Toutes ces questions seront à l’ordre du jour du Conseil Éducation des 18 et 19 mai 2015. Un prochain article évoquera cette question de manière plus détaillée.
En dépit de la coopération entre les États membres de l’UE, la lutte antiterroriste demeure une compétence gérée par les autorités de ces États. Le cas français en est symptomatique. 2 680 emplois vont être créés en France dans les trois prochaines années dans le domaine du contre terrorisme et 425 millions d’euros y ont été affectés. Dans la même lignée, le 13 novembre 2014 a été promulguée une loi renforçant les dispositions de lutte contre le terrorisme. Afin d’éviter que certains ressortissants ne se radicalisent à l’étranger et risquent de présenter une menace à leur retour en France, le texte met en place une interdiction administrative de sortie du territoire. De même, le Ministre de l’Intérieur pourra prononcer une interdiction administrative d’entrée sur le territoire français à l’encontre de tout ressortissant étranger lorsque sa présence en France constituerait « une menace grave pour l’ordre public ». Le nouveau texte avait pour ambition de prendre en compte l’évolution des pratiques terroristes. Pour cette raison, il pénalise l’« entreprise individuelle à caractère terroriste » et renforce la répression de l’apologie du terrorisme et de l’incitation au terrorisme, en permettant notamment le blocage de sites internet faisant l’apologie du terrorisme.
Cette mesure phare a été appliquée pour la première fois, non sans mal, lundi 16 mars. La loi permet à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication de dresser une liste de sites à bloquer, après validation par les services de renseignement. Les autorités ont ainsi ciblé cinq sites considérés comme « djihadistes » et ont envoyé le 11 mars des demandes de blocage aux principaux fournisseurs d’accès à internet. Les internautes ont ainsi été redirigés vers une page comportant un avertissement du Ministère de l’Intérieur lorsqu’il tentait d’accéder aux sites bloqués. Bernard Cazeneuve a ouvert un dialogue à ce sujet avec des géants comme Facebook, Google et Twitter ; dialogue qui s’avère « compliqué » selon Le Monde. La page Facebook de Islamic-News, l’un des sites bloqués par les autorités françaises, est toujours active. Une collaboration internationale est donc nécessaire pour lutter contre la propagande djihadiste. Seuls, le gouvernement français et son site Internet stopdjihadisme.fr risquent de ne pas faire le poids.
De même, le gouvernement de Manuel Valls a adopté en Conseil des ministres le 19 mars un projet de loi sur le renseignement. L’objectif est de fournir un cadre juridique aux activités des services de renseignement français. La prévention du terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive ainsi que des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique figurent parmi les motifs pour lesquels les services peuvent avoir recours à des « techniques spéciales » de recueil du renseignement. Ces techniques comprennent l’accès administratif à des données de connexions, l’interception de contenus électroniques des mails et des conversations téléphoniques, le recours à des appareils enregistrant les paroles et les images de personnes ou à des logiciels captant les données informatiques, l’emploi de balises permettant de localiser en temps réel un véhicule ou un objet et de dispositifs mobiles de proximité qui aspirent toutes les données possibles en passant à proximité de la cible (ou IMSI catchers). De plus, des logiciels espions permettront aux agents de lire et enregistrer ce que les personnes surveillées tapent sur leurs claviers d’ordinateur, pour une durée de deux mois maximum. Enfin, des agents « spécialement habilités » pourront s’introduire dans un véhicule, un lieu privé ou un système automatisé de traitement des données pour poser ou retirer des dispositifs de captation. La mise en œuvre de ces techniques spéciales de renseignement sera soumise à l’autorisation écrite et motivée du Premier Ministre pour une durée de quatre mois renouvelables. Le projet de loi indique que les renseignements recueillis devront être détruits au terme d’une durée de douze mois à compter de leur recueil, avec une réduction à un mois en cas d’interceptions de sécurité ou une durée de cinq ans pour les données de connexions. L’élargissement du champ d’intervention des services de renseignement est contrebalancé par la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Les observateurs et praticiens s’accordent à dire que ce projet de loi sur le renseignement est indispensable puisque l’ensemble des mesures autorisées est déjà pratiquée par les services, et cela, en toute illégalité. Des voix se sont cependant élevées contre les atteintes aux droits et libertés fondamentales que de telles mesures pourraient engendrer. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale des interceptions de sécurité, s’est dit préoccupé par le fait que « la loi autorise un élargissement sensible des populations concernées par la surveillance , et elle organise une relative incapacité de la commission à contrôler ces intrusions. ». « Je ne désespère pas que la loi soit améliorée par le Parlement » a-t-il ajouté. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a quant à elle mis en garde contre les atteintes à la vie privée et à la protection des données personnelles dans son avis du 5 mars. Soulignant que les mesures envisagées sont « plus larges et intrusives que ce qu’autorise le cadre juridique actuel », la CNIL fait valoir que « les atteintes portées au respect de la vie privée doivent être limitées au strict nécessaire ».
La plupart des États ont travaillé à la fois sur le volet préventif et répressif. A cet égard, le document de Briefing du Parlement européen de février 2015 sur les combattants étrangers souligne que la France, contrairement au Danemark, a préféré l’approche répressive. Le Danemark a, en effet, depuis longtemps une stratégie de lutte contre la radicalisation. A cette fin, des ateliers sont organisés dans les écoles, des groupes sont mis en place pour que les parents se soutiennent et une structure a été créée pour prendre en charge les jeunes radicalisés à leur retour. Ces jeunes, sur la base du volontariat, peuvent être suivis par un tuteur ou « mentor ». A Copenhague, des manuels ont été édités dans le but de former le plus de tuteurs possible. Un plan national de déradicalisation a été lancé par le gouvernement danois en septembre 2014. Ajoutons à cela que des mesures plus répressives ont été adoptées comme le retrait de permis de résidence ou des peines de prison pour ceux qui sont partis combattre.
Dans son discours du 12 février, Martin Schulz avait appelé à une approche multidimensionnelle de lutte contre le terrorisme, alliant la prévention, la protection et la répression. Si, comme nous l’avons vu, « une grande partie des efforts se situe certainement à l’échelon local et national […] l’Union européenne doit aussi y contribuer » avait-il déclaré. « J’attends de la Commission qu’elle examine comment l’Union européenne peut soutenir au mieux les États membres dans ce domaine et aussi comment faire face à cette radicalisation qui passe par internet. » De son côté, le journal Le Figaro a souligné dans un article du 20 mars les « appels pressants de Paris à une réponse européenne plus musclée ou mieux partagée » mais pour le journaliste Jean-Jacques Mével, « l’Europe peine à réagir ».
Charline Quillérou
Pour en savoir plus
Discours de Martin Schulz, Président du Parlement européen, le 12 février 2015
Amnesty international, Définition du terrorisme
Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:32002F0475
Council Framework Decision of 13 June 2002 on combating terrorism
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=CELEX:32002F0475
Comment l’Union européenne lutte-t-elle contre le terrorisme ?
Briefing, European Parliament, « Foreign fighters : national and EU responses in an international context »
http://www.europarl.europa.eu/EPRS/EPRS-Briefing-548980-Foreign-fighters-FINAL.pdf
Communiqué de presse de la commission LIBE sur le PNR
Loi française du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
Le Monde, « Lutte anti-terroriste : les difficiles progrès de l’UE », 30 janvier 2015
Le Monde, « Un projet de loi sur mesure pour les services secrets », 21 mars 2015
Avis de la CNIL sur la loi sur le renseignement, 5 mars 2015
http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/deliberations/D2015-078-PJLRenseignement.pdf
Le Figaro, « Guerre anti-terroriste : Paris en appelle à l’UE », 20 mars 2015
EU-LOGOS, « Lutte contre le terrorisme : Schulz : « nous sommes appelés à protéger les citoyens européens contre les attentats terroristes » (Le Président du Parlement européen le 12 février ) Pour empêcher la radicalisation des jeunes, l’éducation ne sera-t-elle pas plus efficace que le PNR ? »
http://europe-liberte-securite-justice.org/2015/02/13/lutte-contre-le-terrorisme-schulz-nous-sommes-appeles-a-proteger-les-citoyens-europeens-contre-les-attentats-terroristes-le-president-du-parlement-europeen-le-12-fevrier-pour-emp/
EU-LOGOS, « Lutte contre le terrorisme : quelques points de repères ! Le terrorisme, c’est quoi pour l’Union européenne ? »