La directive sur le secret des affaires: une menace contre la transparence et la démocratie

Le 28 novembre 2013, la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur «la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites». Face à l’appropriation illicite des secrets des affaires, cette proposition a comme but de créer un marché unique de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, il y a des angles morts qui affectent des droits fondamentaux, en particulier le droit de la liberté d’expression et d’information. En vue de l’examen au Parlement européen en mai 2015, beaucoup d’organisations syndicales et ONG ont publié une tribune contre la directive et exprimé une forte désapprobation.

Les dispositions de la directive

«Tout droit de propriété intellectuelle commence par un secret: un écrivain ne dévoile pas l’intrigue sur la quelle il travaille, un constructeur automobile ne diffuse pas les premiers croquis d’un nouveau modèle de véhicule, une entreprise ne révèle pas les premiers résultats de ses expériences technologiques (…) »

Dans le cadre de la stratégie Europe 2020, la Commission européenne vise à créer une Union de l’innovation afin de promouvoir l’efficience économique et la compétitivité. La Commission propose de protéger et garantir les droits de propriété intellectuelle, puisque la confidentialité représente une condition nécessaire afin de préserver des avantages compétitifs, appelés «secrets d’affaires, renseignements non divulgués ou informations commerciales confidentielles». La proposition de la Commission veut ainsi sauvegarder l’exposition des secrets d’affaires au vol, à l’espionnage et à d’autres appropriations illicites. C’est pour la Commission une nécessité.

L’initiative se relie à l’art. 114 TFUE qui prévoit l’adoption de règles relatives au rapprochement des législations nationales pour un meilleur fonctionnement du marché intérieur. Pour comprendre ce qui vient d’être dit, les divergences nationales en matière de protection des secrets des affaires devraient être dépassées par une convergence législative renforcée, en envisageant l’adoption d’ options comme: la sensibilisation aux mesures et l’adoption de procédures au niveau nationale ;la convergence des droits civils nationaux en ce qui concerne le caractère illicite des actes d’appropriation de secrets d’affaires; la convergence des voies de recours en droit civile en cas d’appropriation illicite, mais aussi une possible convergence des droits pénaux nationaux.

La définition d’un secret d’ affaires

L’article 2 de la proposition identifie trois éléments qui constituent un secret des affaires :

  • D’abord la confidentialité couvre toutes les informations, c’est-à-dire les connaissances technologiques, les données commerciales, mais aussi les informations concernant les clients, les fournisseurs et les stratégies de marché.
  • Deuxièmement en raison du caractère confidentiel, les informations ont une valeur commerciale, précisément parce que elles sont secrètes.
  • En dernier lieu, les détenteurs du secret des affaires doivent prendre des dispositions raisonnables pour préserver cette confidentialité.

Le chapitre 2 de la proposition de directive définit les circonstances qui enfreignent un secret d’affaires suite à une négligence grave ou intentionnelle. Autrement dit, l’obtention illicite d’un secret sans l’autorisation de son détenteur intervient lorsqu’il y a: un accès non autorisé à tout document, matériel ou matériaux, un vol, un acte de corruption, un non-respect d’un accord de confidentialité ou d’une autre obligation de préserver le secret, tout comportement contraire aux usages commerciaux honnêtes. L’accès au secret des affaires, donc, peut être considérée comme licite seulement s’il est considéré comme une création indépendante ou licitement entrée en possession de la personne qui obtient l’information, ou si la personne a un comportement conforme à des usages commerciaux honnêtes.

En ce qui concerne les mesures, procédures et réparations à adopter, les dispositions générales précisent d’abord l’exigence d’adopter des mesures qui soient justes, équitables et aussi proportionnelles contre l’appropriation illicite. De toute façon la voie civile est envisagée. Le texte de la proposition ne fait pas référence à des sanctions pénales, mais fait seulement référence à la possibilité de fixer des «dommages-intérêts». Toutefois, on n’exclu pas que les États optent pour un régime plus stricte que le texte européen.

La directive v. la transparence et la démocratie.

Le projet de directive sera examiné au Parlement européen en mai 2015. Il apparaît que nos droits intellectuels seront protégés, grâce aussi à des mesures de sauvegarde visant à garantir la liberté d’expression et d’information. Cependant un grand nombre d’ organisations syndicales et ONG ont manifesté leur inquiétude. Mardi 7 avril 2015, environ 60 organisations de 9 pays européens ont publié un appel contre la directive du secret des affaires, en exigeant que les députés de la Commission européenne revoient leur copie sur la directive.

Quels sont les angles morts?

Il apparaît que la définition commune du secret des affaires, qui assure une compétitivité protégée des organismes de recherches européennes et des entreprises, cache de nombreux d’angles morts. Trois dispositions rendent cette directive «dangereux à plusieurs titre» :

  • À commencer par la définition du secret des affaires, «large et floue », c’est-à-dire démesurément ample qui concerne tout ce qui révèle la confidentialité.
  • En second lieu, cette définition si large s’étend également à la protection juridique des entreprises dans le cas où il y aurait une obtention, une utilisation ou une divulgation illicite. Des mesures de sauvegarde sont prévues lorsqu’émerge un usage abusif de procédures judiciaires. Autrement dit, quelle que soit l’obtention ou la diffusion d’un secret des affaires, il sera alors vu comme une infraction.
  • En dernier ressort, bien que la proposition contienne des mesures de sauvegardes de la liberté d’expression et d’information, celles-ci apparaissent comme inadéquates. La proposition de directive, en effet, ne donne pas la possibilité aux chercheurs, aux syndicalistes, aux journalistes, aux travailleurs, mais aussi aux consommateurs de pouvoir accéder à des données très importantes pour l’intérêt public général. De plus la directive ne présente pas la possibilité d’effectuer un dialogue social européen.

Le droit à la liberté d’information et d’expression n’est pas réellement garanti, puisque les journalistes, mais en général les lanceurs d’alertes, ne sont pas protégés s’ils vont obtenir certaines données afin d’informer la société civile et garantir un travail qui soit transparent et égalitaire.

Un grand trou noir de la directive concerne les entreprises pharmaceutiques, de l’environnement, mais aussi de la sécurité alimentaire, c’est-à-dire les trois plus importants domaines où la société civile pourrait contester et obliger à se conformer aux règles politiques fondamentales sur la transparence.

En ce qui concerne la santé, par exemple, les données d’intérêt public relatif aux aspects du développement clinique, la divulgation des recherches pharmaceutiques, des recherches biomédicales, mais surtout la connaissance sur l’efficience des effets indésirables des médicaments seront affectés. Aussi en matière d’environnement cette directive va contre la Convention d’Aarhus, dont l’UE applique les dispositions concernant l’accès des informations, la participation du public au processus décisionnel et à l’accès de la justice en matière d’environnement. La directive peut être une bénéfice pour les entreprises dans ce secteur afin de ne pas divulguer certaines information concernant les produits dangereux (tel que les produits chimiques contenus dans les plastiques, les vêtements etc , qui peuvent causer des lésions pas seulement à l’environnement, mais aussi à la santé humaine).

La sécurité alimentaire doit être également protégée. Cette directive, par exemple, ne peut pas comprendre la «sauvegarde» des données des évaluations relatives à la sécurité alimentaire de l’Autorité européenne des sécurités des aliments (EFSA).

Le contexte de la proposition nous présente les secrets des affaires comme des atouts fondamentaux pour promouvoir l’efficience économique et la compétitivité, afin d’améliorer les conditions dans lesquelles se déroulent les activités innovantes des entreprises. Mais ce panégyrique de la Commission nous cache beaucoup de choses inquiétantes relatif à la transparence et à la démocratie ce qui devraient nous alarmer.

Des signataires ont lancé un appel européen pour exiger que la directive soit revue. Cet appel est notamment signé par: Ignacio Fernandez Toxo (CCOO, Espagne), Martin Jefflen (Eurocadres), Sarah Harrison (Courage Foundation), Julian Assange (WikiLeaks), Dominique Guibert (Association européenne pour la démocratie et les libertés, Mendel), Jim Boumelha (Fédération internationale des journalistes), Candido Mendez (UGT, Espagne), Anne Demelenne (FGBT, Belgique), Arnaud Zacharie (CNCD – 11.11.11), Fausto Durante (CGIL, Italie), Fernandez Mauricio (CGTP, Portugal), avin Mac Fadyen (Center for Investigative Journalism, G.-B.), Daniel Lebègue (Transparency International France), Séverine Tessier (Anticor), Lucie Watrinet (Plateform Paradis fiscaux et judiciaires), et l’ensemble des organisation syndicales françaises.

«Le droit d’utiliser et de diffuser librement des informations doit être la règle, et la protection du secret des affaires l’exception» tel est le principe majeur mis en exergue par les signataires.

Annalisa Salvati

Pour en savoir plus :

    -. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, 28.11.2013 http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2014_2019/documents/com/com_com%282013%2908 13_/com_com%282013%290813_fr.pdf

     -. Communiqué de presse : «La directive européenne secret des affaires, un danger pour les libertés» http://www.ugict.cgt.fr/ugict/presse/cp-stoptradesecrets

     -. « La protection du secret des affaires préoccupe aussi l’UE », www.euractiv.fr http://www.euractiv.fr/sections/innovation-entreprises/la-protection-du-secret-des-affairespreoccupe-

     -. « Bruxelles vole au secours du secret des affaires », Le monde le 07.04.2015     http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/04/07/bruxelles-vole-au-secours-du-secret-desaffaires_4610925_3232.htm

     -. « Secret des affaires…le retour. Attention danger! », www.bruxelles2.eu http://www.bruxelles2.eu/2015/03/25/secret-des-affaires-le-retour/

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire