Au cours de la réunion de la commission Libe de jeudi 23 avril, une nouvelle initiative visant à combattre les trafiquants en Méditerranée a été présentée par Europol et par la Commission européenne. Il s’agit de l’opération surnommée « Jot Mare » (pour Joint operation team), lancé le 17 mars 2015 et basée à La Haye, dans les bâtiments d’Europol. L’opération, axée sur le renseignement, se propose de lutter contre les groupes criminels organisés qui facilitent le transport des migrants irréguliers, les activités liées à la traite des êtres humains, à la drogue, ou au terrorisme. Les actions menées contre ces groupes reposent sur un échange intensifié d’informations et sur la coopération entre les États membres, Europol, et d’autres acteurs tels qu’Interpol et Frontex, partenaires clés.
«Notre façon de travailler traditionnellement ne nous permettra pas de lutter contre ces passeurs en Méditerranée» a reconnu le représentant d’Europol invité à cette occasion. Il a fait savoir que des enquêtes ouvertes dans les États membres démontrent que la violence est encore plus utilisée tant par les passeurs, qui menacent avec les armes les clandestins lors qu’ils se refusent de monter sur les bateaux, que par les forces de l’ordre. Egalement, les enquêtes ont dévoilé des situations encore plus dangereuses, ce qu’on appelle «mouvements secondaires», c’est à dire le traffic des personnes à l’intérieur de l’Union même, transportées dans des camions frigorifiques ou d’autres circonstances assez dangereuses pour leurs vies. De plus, on a enregistré une tendance assez marquée chez les passeurs d’offrir leur service aux clandestins à travers les media, d’où la nécessité d’activer aussi un control des réseaux sociaux.
Le représentant de Europol a ensuite illustré un exemple concret d’une opération contre les facilitateurs. «Nous avons assisté les autorités grecques dans le cadre de l’opération Daidalos. Nous avons arrêté 16 personnes qui transportaient des groupes de syriens en Grèce et puis dans d’autres pays de l’UE. Nous avons estimé que ce groupe criminel demandait entre 4000 et 9 000 euro par personne et le bénéfice était seulement pour le groupe. Donc imaginez l’attrait que ce type d’activité représente pour les groupes de la criminalité organisé!» a-t-il dénoncé. Enfin, en saluant les résultats obtenus, il a affirmé «nous souhaitons avoir d’autres opérations comme Daidalos!»
En conclusion de son intervention il a sollicité les États membres, l’agence Frontex ainsi que Interpol, à une collaboration plus étroite pour mieux collecter et redistribuer les informations, lancer de nouvelles enquêtes, bloquer les trafiquants, arrêter les bateaux avant qu’ils quittent les rives, et rendre cette pratique moins attrayante pour les criminels.
Laurent Muschel, directeur de Migration et Asile à la Commission européenne, a salué l’opération «Mare», laquelle, a-t-il dit, sera efficace pour combler le vide informatif et pour partager des informations de renseignements . «La coopération entre États membres, Europol et Frontex est un élément clé, mais ce qui manque est la confiance dans les institutions européennes, dans la possibilité d’avoir un échange d’informations» a-t-il souligné. Puis il a soulevé la question des enquêtes financières, «un des éléments où nous sommes faibles. Il faut pouvoir voir d’où provient cet argent, et nous allons le faire» il a précisé.
Ces interventions ont été suivies par un débat très animé mais qui a pris une toute autre direction que celle souhaitée par les orateurs. En effet les eurodéputés, au lieu d’exprimer leurs opinions sur l’opération JOT Mare, sont revenus sur les différentes questions liées au problème de la migration en général et notamment sur le plan en 10 points proposé par le Commissaire Avramopoulos il y a quelques jours.
Tout d’abord, quant à la question de la responsabilité des tragédies en Méditerranée, d’après la députée Elga Stevens «c’est la faute des trafiquants qui disent aux réfugiés qu’ils peuvent traverser la Méditerranée en sécurité, ce n’est pas la faute de l’UE!». Son intervention a causé la réaction d’autres députés comme l’allemande Cornelia Ernst qui a répliqué: «je pense qu’il est idiot de jeter la faute sur les passeurs, le problème c’est une toute autre chose. Le problème est la politique de fermeture et le système d’asile. Vous pouvez arrêter les trafiquants mais ils passeront par d’autres voies». Sur la même ligne se sont exprimés d’autres députés en reconnaissant la culpabilité de l’Union européenne qui «n’est pas à la hauteur pour répondre à la crise qui se joue en Moyen Orient» comme l’a évoqué Mme Vergiat. «Notre faute est que nous n’avons pas une politique tout court!» a énoncé la députée maltaise Miriam Dalli. Plus sévère a été le député Louis Michel, «on attaque systématiquement l’Union, mais les institutions agissent avec les politiques que les Etats membres autorisent. Il faut fustiger les Etats Membres qui empêchent l’unicité de traitement de cette question qui place l’Union européenne dans une incohérence totale par rapport à ses valeurs» a-t-il dénoncé.
En ce qui concerne le plan en 10 actions immédiates présenté par le Commissaire Avramopoulos en réponse à la situation de crise en Méditerranée, de graves reproches ont été adressés par les eurodéputés. Carlos Coelho (PPE) a regretté que les 10 points « mettent trop l’accent sur le mesures répressives et pas sur la nécessité de sauver des vies, cela doit être notre priorité». Egalement Birgit Sippel (S&D) a affirmé que ce plan en 10 points n’est pas la réponse adéquate à la tragédie en Méditerranée. En rappelant que les trafiquants comblent un vide de l’Union, elle a déploré «c’est préoccupant que personne n’a pensé à ouvrir des voies d’entrée légales dans l’Europe, cela n’a même pas été mentionné!».
Barbara Spinelli s’est dite très surprise par l’affirmation de Laurent Muschel selon laquelle tout le monde est d’accord que la priorité est la lutte contre les trafiquants. «Les institutions sont d’accord, mais pas les membres du Parlement» a-t-elle fait remarque. Puis en soulignant que les trafiquants ne sont pas la cause de ce qui se passe en Méditerranée, elle a demandé «quelle est l’utilité de la multiplication des agences et missions qui s’occupent de la même chose dont l’Ue est en charge, et ne luttent pas contre l’origine du problème? Ils n’entreprennent rien pour le sauvetage en mer, et encore moins au niveau politique». Egalement Marie-Christine Vergiat a affirmé : «je suis hallucinée par le fait que l’on est prêt à utiliser les moyens militaires contre les passeurs mais pas pour les sauvetages».
Tous les membres à l’unanimité ont souligné que la priorité doit être de sauver des vies humaines. Ils étaient étonnés de voir que les institutions sont prêt à financer la lutte contre les trafiquants mais «ils n’ont pas d’argent pour les opérations de secours», ni la disponibilité de financer une opération comme Mare Nostrum. A leur avis il ne faudrait pas seulement se concentrer sur les trafiquants, mais plutôt essayer de résoudre le problème à ses racines. «Nous devons faire que la situation change sur place et que les personnes puissent vivre en sécurité dans leurs pays»,a dit Mme Stevens. Une réponse concrète pour arrêter les tragédies en mer devrait comprendre l’ouverture de canaux légaux et sécurisés pour entrer dans l’Union, le déclenchement d’opérations de recherche et sauvetage et des politiques de réinstallation qui tiennent compte de la solidarité internationale et du partage des responsabilités.
Après le débat, Laurent Muschel a pris la parole. Il a constaté avec étonnement que les parlementaires avaient abordé toute autre chose par rapport à ce que devait être au centre du débat, l’équipe opérationnelle conjointe Mare visant à lutter contre les trafiquants. Il s’est dit opposé à l’analyse du plan en 10 points faite par les députés et, à ce propos, il a insisté vigoureusement: la priorité est de renforcer Triton et Poseidon et d’élargir leur champ d’application.
Puis il est revenu sur des questions posées par les députés. Quant à la coopération avec les pays tiers, le député Louis Michel avait déploré le fait que personne ne parle de la responsabilité des gouvernements des pays d’origine des migrants. « Ces pays sont une catastrophe, c’est pourquoi les personnes fuient », avait-il observé. En réponse à cela, le laurent Muschel a assuré que Frontex veut approfondir la coopération avec les pays tiers et surtout avec la Turquie, considérée comme un partenaire privilégié dans le contrôle des frontières. En outre M. Muschel a fait valoir que la seule voie légale existant pour les refugiés est la réinstallation, et il a demandé aux Etats membres d’y participer sur la base de leur population et leur PIB, afin d’accuellir plus de migrants et de manière équitable.
L’intervention du représentant d’Europol a clos la discussion. Il a répondu aux questions relatives aux coûts de l’opération en précisant qu’elle utilisera uniquement les capacités et les ressources d’Europol, et puis il a évoqué que même si seulement 12 pays ont souhaité participer à l’opération, les autres seront également impliqués dans les activités. Enfin le représentant de Europol fait connaître que des enquêtes sont en cours en Italie où il y a une équipe de Jot Mare pour identifier les personnes responsables de la catastrophe du 19 avril dernier.
«L’Union européenne a toujours progressé dans les périodes de crise» a déclaré le représentant d’Europol. C’est vrai que suite aux derniers naufrages mortels en Méditerranée une volonté d’agir immédiatement et concrètement s’est dégagée au sein de l’Union européenne, pourtant on est encore loin de progresser autant que l’on aurait souhaité.
Fiorenza Pandolfo
Pour en savoir plus:
-. Joint operational team launched to combat irregular migration in the Mediterranean : https://www.europol.europa.eu/content/joint-operational-team-launched-combat-irregular-migration-mediterranean
-. Archive of operations: http://frontex.europa.eu/operations/archive-of-operations/
-. Frontex joint operation Triton : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-566_en.htm
-. Plan d’action en dix points: http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-4813_fr.htm