La problématique terroriste, sous ses différentes formes d’expression, occupe une place importante dans le débat européen depuis 2004 et les attentats de Madrid. Ce début d’année 2015 avec le lot d’attaques terroristes qu’elle a apportées sur le continent a rendu ce débat d’autant plus vif et intense. A la suite des attaques de Paris, les dirigeants européens se sont concentrés davantage sur la lutte contre la radicalisation et le contre-terrorisme à la faveur des rapports faisant état d’un nombre croissant de citoyens européens partis combattre dans les rangs de l’Etat islamique. Ils ont plaidé pour le renforcement de la coopération des services de renseignement européens, ont appelé à la réouverture des discussions sur la Directive relative à la rétention des données personnelles et certains Etats membres de l’Union ont décidé d’accroître les ressources de la police et des services de renseignement quand d’autres ont choisi de se concentrer sur le volet prévention.
Déjà, le 15 janvier 2014, la Commission européenne avait, dans une communication intitulée « Renforcer l’action de l’UE face à la radicalisation et à l’extrémisme violent », appelé les Etats membres de l’Union européenne « à renforcer leurs actions respectives, en vue de prévenir toute forme d’extrémisme générateur de violence ». Le Parlement européen a, lui aussi, apporté sa pierre à l’édifice en adoptant une Résolution sur les mesures de lutte contre le terrorisme le 11 février 2015. Le 14 avril dernier, la commission LIBE (Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures) du Parlement européen organisait une audition publique sur le thème « Lutte contre le terrorisme et enjeux en matière de sécurité intérieure de l’Union ». Trois axes de réflexion ont guidé les discussions.
L’évolution de la menace terroriste et ses implications pour la sécurité de l’Union européenne. Les nouveaux conflits et bouleversements intervenus dans le voisinage de l’Union, les phénomènes de radicalisation ainsi que le développement de nouvelles technologies ont profondément impacté la menace terroriste et fait émergé de nouveaux défis. En réalité, cette menace est plurielle, internationale et asymétrique. Rob Wainwright, directeur d’Europol (Agence européenne chargée de la lutte contre la criminalité) a présenté quelques éléments de contexte issus du rapport annuel de l’Agence qui sera publié dans les prochaines semaines. En 2014, 201 attaques ont été recensées sur le territoire de l’Union européenne, faisant moins de 10 morts. L’une des tendances générale est l’augmentation nette des incidents causés par des extrémismes de droite et extrémismes religieux. Pour cette dernière catégorie – dont la légitimité a été contestée par certains eurodéputés – l’augmentation est de 80% par rapport à 2013. La principale difficulté soulignée par le directeur d’Europol est la prévention des attaques en Europe dans la mesure où celles-ci sont dorénavant le fait d’individus isolés. De même, Rob Wainwright incite les Etats membres à coopérer de manière plus approfondie, les flux d’échange entre Europol et les Etats membres révèlant une sous-utilisation des capacités de l’Agence. 3 600 individus sont suspectés de combattre pour l’Etat islamique quand les estimations révélées par Věra Jourová le 13 avril dernier (Commissaire européenne pour la Justice, les Consommateurs et l’Egalité des genres) se chiffrent à plus de 6 000 combattants européens. Il faut donc renforcer la coopération de manière à ce que ces chiffres convergent. Pour ce faire, un centre Europol du contre-terrorisme sera créé d’ici la fin de l’année 2015. Le 1er juillet prochain, un centre de référence sur internet sera également mis en place par l’Agence, en lien étroit avec les Etats membres et l’Union européenne, de manière à endiguer l’accroissement de l’utilisation des médias sociaux pour recruter, radicaliser et promouvoir des actes extrémistes violents.
Ceci étant, l’Union européenne n’est pas la seule concernée puisque la menace terroriste ne connait pas de frontières. C’est précisément ce qu’a tenu à souligner Dolgor Solongo de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) lors de son intervention. La menace est mondiale, complexe et le travail des services onusiens entend y répondre a-t-elle expliqué. L’UNODC a pour mission d’appuyer les Etats membres de l’ONU en leur fournissant une assistance technique dans les domaines de la drogue, la criminalité, la corruption et le terrorisme. Des instruments transversaux, tels que les conventions et protocoles sont négociés sur du long terme par l’ensemble des Etats membres de l’ONU et permettent de répondre aux nouveaux défis du terrorisme. A titre d’exemple, la Résolution 2178 (2014) entend lutter contre le phénomène des « combattants étrangers », la Résolution 2195 (2014) vise les profits réalisés par les terroristes tandis que la Résolution 2199 (2015) condamne la démolition du patrimoine culturel perpétrée par l’Etat islamique en Iraq et en Syrie et adopte des sanctions visant à combattre le trafic illicite d’antiquités et de biens culturels en provenance de ces deux pays.
Suite à ces deux interventions, la longue liste des eurodéputés souhaitant prendre la parole témoigne de l’effervescence du débat européen en matière de terrorisme. Sophie In’t Veld (NL, ADLE), Christine Revault d’Allonnes (FR, S&D) et Marie-Christine Vergiat (FR, GUE) ont insisté sur le besoin de définition. Qu’est-ce que le terrorisme ? Qu’est-ce que la sécurité nationale ? Parler de terrorisme religieux participe de l’islamophobie pour Marie-Christine Vergiat tandis que Christine Revault d’Allonnes parle d’une terminologie qui conduit au « dévoiement de la religion ». Certains de leurs collègues se sont en revanche interrogés sur les moyens dont disposait Europol pour mener à bien ses nouvelles missions et permettre le fonctionnement des deux futurs instruments évoqués plus haut. Pour réponse, Rob Wainwright a indiqué que chaque Etat membre de l’Union européenne avait une définition propre de ce qui relevait ou non de « terrorisme », en fonction de sa législation et de ses pratiques nationales. C’est d’ailleurs ce qui a posé problème à certains parlementaires présents. En matière de ressources, Europol compte 50 agents spécialisés dans le contre terrorisme, ce qui est insuffisant pour son directeur. Il s’agira donc de prioriser les objectifs et de travailler en étroite collaboration avec les services de renseignement et autorités compétentes des Etats membres.
Lutte contre l’extrémisme violent et prévention de la radicalisation. Le second panel d’intervenants s’est intéressé à la question des « combattants étrangers », ces ressortissants de l’Union européenne qui prennent le chemin de la radicalisation et, de plus en plus, des zones de conflit pour combattre aux côtés d’organisations terroristes. Peter Neumann, Directeur du Centre international d’études sur la radicalisation (ICSR) a présenté les résultats des travaux engagés par le Centre. Beaucoup de radicalisés de l’Etat islamique sont présents sur Facebook, Twitter et Tumblr, ce qui a permis aux experts d’obtenir des informations sur ces individus mais aussi d’entrer en contact avec eux, voire pour certains, de les rencontrer. Il y a quelques années, nous pensions que le djihadisme s’arrêterait avec les Printemps arabes et la mort de Ben Laden, a-t-il affirmé. Aujourd’hui, la menace est plus forte avec les « combattants étrangers ». Certains sont attirés par l’humanitaire quand d’autres sont radicalisés dès le départ. Au retour, ces individus constituent une menace très variable : certains sont désillusionnés, d’autres ont besoin d’un suivi, d’autres encore sont dangereux pour la sécurité. Cependant, Peter Neumann a souligné que la menace imminente ne venait pas de ces « combattants étrangers » comme on les appelle, mais des partisans de l’Etat islamique restés chez eux, en Europe ou ailleurs. Ces partisans constituent une menace s’ils sont sensibles au message diffusé par l’Etat islamique : Si vous pouvez tuer un Européen ou un Américain, faites le, de quelque manière que ce soit. Sur la base des travaux du Centre international d’études sur la radicalisation, Peter Neumann a proposé des solutions : créer de nouvelles prérogatives pour les agences de sécurité, accroitre la taille de ces agences de manière à ce qu’elles puissent faire des choix et agir immédiatement, et assurer que ces agences de sécurité aient moins d’individus à suivre. Une approche coordonnée est nécessaire, tout comme des mesures pour lutter contre la radicalisation des Européens.
A l’exception du rôle d’internet et des médias sociaux dans la radicalisation que Peter Neumann considère comme substantiel en ce qu’ils accélèrent le processus, ses arguments ont trouvé un écho dans les interventions de Francesco Ragazzi et Didier Bigo, co-auteurs de l’étude « Preventing and countering youth radicalisation in the EU », réalisée pour la commission parlementaire LIBE et publiée en avril 2014. S’intéressant aux politiques de contre-radicalisation, l’étude distingue les mesures administratives, judiciaires et les mesures dites « soft » prises par les autorités des Etats membres de l’Union européenne. Du point de vue administratif, des mesures telles que la confiscation du passeport, les fouilles et contrôles ou encore les mesures d’expulsion ont un impact considérable sur la vie des citoyens. En portant atteinte à leurs droits fondamentaux, ces mesures sont suceptibles de susciter un sentiment d’injustice et par conséquent de contribuer à l’escalade de la violence. De la même manière, les mesures judiciaires préventives – à savoir l’augmentation de la durée de la détention préventive, l’importance croissante des renseignements devant les tribunaux, l’extension des pouvoirs d’investigation en matière de terrorisme ou encore le contrôle de contenus informatiques – ont un impact sur les droits fondamentaux et libertés des citoyens ainsi que des effets pervers. Les combattants européens peuvent, pour certains, devenir de puissants symboles d’un militantisme musulman. Ce faisant, l’application de mesures répressives peut être perçue comme une injustice. Une troisième voie est envisagée par les autorités, celle des mesures dites « soft ». Des programmes de détection et de prévention de la radicalisation, y compris en prison, ont ainsi été mis en place dans différents pays européens. L’analyse des programmes PREVENT et CHANNEL du Royaume-Uni a montré que ce type de mesure crée un sentiment de suspicion à l’égard des communautés musulmanes avec le risque de stigmatiser une frange de la population européenne. Dans le cas britannique, cette voie a été abandonnée. Les auteurs de l’étude adressent donc au Parlement européen les recommandations suivantes :
- Appréhender la « radicalisation » comme un processus dynamique, lié à un contexte social et politique. La radicalisation ne doit pas être analysée comme une forme de pré-terrorisme. Il s’agit d’une étiquette que l’on colle et non d’un concept, a indiqué Didier Bigo.
- Lutter contre les effets pervers des politiques de contre-radicalisation en réduisant le champ d’application des mesures mises en place et en incluant une évaluation de leur impact sur les droits fondamentaux.
- Elargir les compétences de l’Union européenne dans le domaine de l’extrémisme violent, en créant un Réseau européen d’experts ainsi qu’un Observatoire des conflits, de la sécurité et de la liberté.
L’aspect religieux de l’extrémisme violent a été abordé par Mohamed Ajouaou, chef de l’aumônerie musulmane pour les établissements pénitentiaires des Pays-Bas. Ce dernier a insisté sur le facteur de l’intégration des Musulmans en Europe et fait valoir que les politiques conduites par les Etats membres de l’Union avaient une part de responsabilité dans le phénomène de radicalisation. L’importance de la dimension religieuse n’a pas suffisemment été prise en compte par les Etats membres, selon lui. Parce que certains pensent que l’Islam n’a pas sa place en Europe, aucune réflexion n’a été menée sur son développement. Cela a conduit à ce que beaucoup de Musulmans ne soient pas en mesure de se lever contre l’extrémisme. Pour Mohamed Ajouaou, ce n’est pas un hasard si beaucoup de musulmans se sont radicalisés en Europe, mais le résultat de la manière dont les autorités ont traité le paysage musulman. Pourtant, l’Islam c’est aussi l’Europe a-t-il ajouté. En ce qui concerne la radicalisation en prison, son expérience lui fait dire que l’accompagnement théologique peut être un moyen de lutter contre la radicalisation. A l’issue des questions posées par les eurodéputés, Peter Neumann a rappelé que les individus radicalisés formait un groupe hétéroclite et que la religion n’était pas la seule réponse à apporter dans la mesure où, certains ne sont pas religieux. Ceci étant dit, les Musulmans font partie de l’Europe et il faut qu’ils cessent d’avoir le sentiment de ne pas être européens, a-t-il ajouté.
Instruments de la politique de lutte contre le terrorisme : sommes-nous à la hauteur du défi ? Pour tenter de répondre à cette question, un troisième panel s’est présenté devant les parlementaires européens de LIBE. Les Etats membres partagent avec l’Union européenne, la responsabilité de la sécurité intérieure. Dans cette optique, un grand nombre d’instruments ont été mis en place pour lutter contre les menaces à la sécurité, parmi lesquelles figure en bonne place le terrorisme. La présidente d’EUROCOP (Confédération européenne de police rassemblant des syndicats de policiers depuis 2002), Anna Nellberg-Dennis, s’est ainsi érigée en porte voix des agents de police européens, en première ligne dans la lutte contre le terrorisme sur le terrain. Des ajustements budgétaires seraient nécessaires en Europe dans ce contexte sécuritaire particulier, de manière à permettre des investissements pour l’équipement et la formation des agents. Pourtant, les budgets aloués aux services de police européens diminuent depuis plusieurs années s’est-elle alarmée. Il faudrait également renforcer la coopération policière transfrontalière. En résumé, des ressources et un soutien politique sont indispensables pour rendre les instruments dont nous disposons efficaces et lutter contre le terrorisme.
En Belgique, c’est le parquet fédéral qui est compétent en matière de terrorisme. En qualité de procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw a ainsi exposé les principales difficultés rencontrées dans l’exercice de ses fonctions. Logiquement, le premier obstacle mentionné est celui de la langue. Les différents praticiens des Etats membres de l’Union, chargés de la mise en œuvre des politiques de contre-terrorisme doivent être aptes à communiquer, que ce soit pour partager des informations ou mettre en œuvre les instruments européens de manière efficace. De plus, des différences d’interprétation entre les autorités judiciaires des Etats membres peuvent entraver la coopération judiciaire en matière de répression, tout comme les pratiques diverses des services de renseignement. A titre d’exemple, des commissions rogatoires internationales sont parfois acceptées par certains pays et refusées par d’autres. Pour rappel, une commission rogatoire internationale est une « mission donnée par un juge à toute autorité judiciaire relevant d’un autre Etat de procéder en son nom à des mesures d’instruction ou à d’autres actes judiciaires » (France diplomatie). Autre difficulté citée par le procureur fédéral belge : l’absence de position commune face aux acteurs majeurs de l’internet et du cyberworld. La montée en puissance de l’usage des médias et d’internet dans les stratégies des groupes terroristes confronte l’Union européenne à de nouveaux défis. Pourtant, Frédéric Van Leeuw déplore le flou qui règne à ce sujet. Cela d’autant plus depuis l’invalidation par la Cour de Justice de l’Union européenne de la Directive 2006/24/CE sur la conservation de données, le 8 avril 2014. La Cour a justifié sa décision par le fait que la « directive comporte une ingérence d’une vaste ampleur et d’une gravité particulière dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel sans que cette ingérence soit limitée au strict nécessaire. » Enfin, le procureur a regretté que depuis la mise en place de la deuxième génération du Système d’information Schengen – système d’information contenant des signalements de personnes et d’objets à destination des gardes-frontières, des fonctionnaires des douanes et des autorités chargées des visas et du maintien de l’ordre dans l’espace Schengen – le signalement de mineurs risquant de partir combattre en Syrie ne soit plus possible.
Enfin, pour clôturer ce panel sur les instruments de la politique de lutte contre le terrorisme, Quirine Eijkman du Centre de recherche sur le terrorisme et l’antiterrorisme a insisté sur la nécessité d’un cadre dans un contexte où la répression est de plus en plus forte et populaire en Europe. Cette dernière a souligné que la surveillance devait être ciblée et qu’une surveillance de masse ne constituait pas une solution satisfaisante pour lutter contre le terrorisme. Sans compter que, si internet et les médias sociaux influencent les « combattants européens », la plupart d’entre-eux sont auto-motivés. Il s’agit donc de nuancer le rôle d’internet dans ce processus de radicalisation, a-t-elle dit. La plupart des publications dont nous disposons sur le sujet sont soit normatives, soit issues d’articles de presse dont les sources manquent de détails et parfois de pertinence. Des recherches empiriques sont donc nécessaires pour constituer une base de données fiables pour l’Union européenne. Quant aux politiques adoptées par les autorités des Etats membres, aucune réflexion sur leurs effets indésirés n’a été lancée. En cela, l’intervention de Quirine Eijkman rejoint les conclusions de l’étude sur la radicalisation des jeunes européens présentée par Didier Bigo et Francesco Ragazzi un peu plus tôt.
Si ces auditions ont le mérite d’exister et de contribuer à alimenter le débat européen sur les problématiques liées au terrorisme, rien de bien nouveau n’a été apporté par les différents orateurs. Parallèlement, le groupe des socialistes et démocrates du Parlement européen a organisé le 21 avril un événement intitulé « Progressive solutions to counter violent extremism ». Le 4 février 2015, le groupe S&D avait annoncé la création d’un « groupe de travail spécial pour contribuer à l’élaboration d’une réponse efficace et intégrée au terrorisme » co-présidé par les eurodéputés Tanja Fajon, vice-présidente S&D pour les libertés civiles, la justice et les affaires intérieures, et Knut Fleckenstein, vice-président S&D pour les affaires étrangères. Les propositions issues de ces travaux s’articulent autour des questions liées à la déradicalisation, notamment via l’éducation et l’intégration, mais aussi du respect des libertés et droits fondamentaux, du renforcement du dialogue avec les pays tiers comme la Turquie et l’Iran, et de l’amélioration des échanges avec le monde musulman. Chacun entend apporter sa contribution à la lutte contre le terrorisme en Europe et les débats prolifèrent à l’heure où la Commission européenne adopte son Agenda de sécurité intérieure.
Charline Quillérou
Pour en savoir plus
-. Interventions des participants à l’audition organisée par la commission LIBE le 14 avril 2015
http://www.europarl.europa.eu/committees/en/libe/events.html?id=20150414CHE00192
-. Communiqué de presse de la Cour de Justice de l’Union européenne, relatif à l’arrêt Digital Rights Ireland et Seitlinger e.a. Du 8 avril 2014
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2014-04/cp140054fr.pdf
-. Groupe de travail S&D sur le terrorisme