Le 29 avril 2015 le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg, a adopté par 449 voix , 130 contre et 93 abstentions, une résolution pour répondre aux événements tragiques survenus récemment en Méditerranée et remédier aux lacunes des conclusions du dernier Conseil européen.
Au début de la réunion le président du Conseil Donald Tusk a présenté les conclusions du sommet extraordinaire convoqué d’urgence le lendemain de la tragédie en Méditerranée qui a coûté la mort à plus de 800 personnes le 19 avril. Il a fait connaître que les chefs d’États et de gouvernements des Vingt-Huit Etats membres de l’Union européenne s’étaient engagés à renforcer rapidement la présence européenne en mer en augmentant les capacités opérationnelles de Triton, l’opération de surveillance des frontières maritimes cordonnée par Frontex, et en triplant son budget, actuellement de trois millions d’euros par mois, comparés aux quelques 9 millions d’euros mensuels de l’opération italienne de sauvetage Mare Nostrum menée entre octobre 2013 et novembre 2014 . Le président du Conseil a déclaré que «sauver les vies de personnes innocentes reste notre priorité, mais il ne s’agit pas simplement de sauver des personnes en mer, il faut également mettre fin aux activités des trafiquants et des passeurs qui mettent en danger les vies des migrants ». A ce but il a annoncé que les États membres avaient décidé de renforcer la lutte contre le trafic des migrants et améliorer le contrôle des frontières. Il a rappelé la nécessité d’une coopération avec les pays d’origine et de transit pour éviter toute nouvelle perte de vies humaines en mer et pour s’attaquer aux causes profondes des flux migratoires.
«La réponse à la tragédie humaine à laquelle nous avons assistée dans la Méditerranée a été immédiate mais elle reste insuffisante» a regretté Jean Claude Juncker, président de la Commission européenne. En intervenant après M. Tusk, le commissaire s’est dit déçu par les conclusions du Conseil extraordinaire qui étaient «inférieures au niveau d’ambition qui aurait dû être le nôtre». «Il ne suffit pas de combattre les symptômes de la crise, comme Monsieur Tusk l’a dit, il est essentiel de tout faire pour éviter que des gens malheureux doivent prendre le bateau» a-t-il expliqué, en posant l’accent sur le besoin d’augmenter l’aide au développement (affichant une position assez différente de celle de ses collègues du PPE, le parti européen qui l’avait désigné pour représenter la droite.)
Le président de la Commission est ensuite revenu sur deux sujets sur lesquels les chefs d’État et de gouvernement n’étaient pas parvenus à un accord, celui de la répartition de la charge des demandeurs d’asile et celui de l’ouverture des frontières à une immigration légale. Il a plaidé pour la mise en place d’un système de quotas afin de régler la répartition géographique sur toute l’Europe des réfugiés. «On ne peut pas laisser aux seuls soins des États membres directement concernés la gestion de la relocalisation des réfugiés. Il s’agit de solidarité partagée» il a précisé.
Quant à la question de l’immigration légale M. Juncker a affirmé: «Si nous n’ouvrons pas, ne fût-ce qu’à moitié, la porte d’entrée, il ne faut pas faire le surpris lorsque des malheureux de la planète entière entrent par effraction par la fenêtre. Il faut ouvrir les portes pour éviter qu’on entre par les fenêtres.»
Le débat qui a suivi leurs interventions a été tendu et riche en polémiques. Il a mis en lumière la claire différence entre les priorités des trois institutions, en effet le Conseil veut concentrer son action sur la lutte contre les trafiquants, par contre la Commission et le Parlement sont convaincus que l’urgence est à la recherche et le sauvetage des migrants. Les députés ont sévèrement critiqué les conclusions du sommet européen, présentées comme « inadéquates et honteuses» puisque trop axées sur la sécurité et peu sur l’accueil, comme le député Gianni Pittella l’a remarqué.
Philippe Lamberts a parlé d’ «endiguement» en se référant aux résultats du Conseil extraordinaire. «Cette attitude est indigne! Indigne d’une Europe qui est, comme le président Juncker l’a rappelé, un des continents les plus riches du monde. Indigne aussi d’une Europe qui se targue souvent d’être le berceau des droits de l’homme et qui ne manque pas une occasion de donner des leçons au reste du monde. Nous attendons des chefs d’État ou de gouvernement une autre attitude» a-t-il reproché, en appuyant l’intervention du président Juncker.
Barbara Spinelli a accusé le Conseil, les gouvernements des États membres et la Commission d’être «directement responsables du crime qui tue de plus en plus de migrants qui fuient les guerres que l’Europe a facilitées et les persécutions qu’elle tolère». «Après les morts du 19 avril, l’Union aussi fait naufrage dans le déni et l’aveuglement. Elle déclare la guerre aux trafiquants, en feignant de croire que ce sont eux les seuls responsables de tant de morts. Ils ne sont pas responsables; ils sont là parce qu’il n’existe pas de voie légale d’accès pour les réfugiés» a-t-elle poursuivi.
La majorité des députés a plaidé pour une filière d’immigration légale et sûre. «Si vous voulez contrôler un processus, le meilleur moyen est de le rendre légal. Le rendre illégal c’est perdre tout contrôle» a affirmé M. Lamberts. Mais les critiques n’ont pas manquées. Le président du PPE, Manfred Weber, en évoquant que «un jeune sur cinq en Europe est au chômage», a déclaré: «quiconque affirme que nous allons ouvrir les portes du marché du travail à la migration légale et que c’est une façon de mettre un terme à la misère en Méditerranée se leurre».
A l’issue de la réunion les eurodéputés ont voté une résolution où le Parlement « prie instamment l’Union européenne et les États membres de développer la coopération existante et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que d’autres personnes ne périssent en mer».
A propos de l’opération Triton, les députés ont demandé que son mandat soit clarifié, afin d’accroître sa zone d’opération et d’élargir son mandat. La résolution adoptée insiste pour que Triton puisse ressembler «à une opération de sauvetage humanitaire européenne permanente et robuste, qui, comme Mare Nostrum, agirait en haute mer et à laquelle tous les États membres contribueraient financièrement et avec des équipements et des atouts». Sur ce point, toutefois, le Président Juncker s’est dit en désaccord. «Il n’est pas vrai que le mandat de Triton ne permet que le sauvetage dans les eaux territoriales des États membres, il est beaucoup plus large. Nous n’avons pas à changer le mandat mais à élargir ses moyens» a-t-il précisé.
La résolution appelle les États membres à s’engager en augmentant leur contribution aux budgets et aux opérations de Frontex et du Bureau européen d’appui en matière d’asile, et en leur fournissant les ressources nécessaires (en personnel et en équipements) pour répondre aux obligations qui leur incombent. En outre, conformément à l’article 80 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), elle met en évidence la nécessité d’une approche fondé sur la solidarité envers les États membres qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile, et demande le partage équitable des responsabilités, pour que les demandes d’asile, quel que soit le pays d’accueil dans l’Union, reçoivent un traitement équivalent. A ce sujet la résolution «invite la Commission à établir un quota contraignant pour la répartition des demandeurs d’asile entre les États membres».
D’ailleurs les députés ont demandé la délivrance de visas humanitaires dans les ambassades et les bureaux consulaires des États membres dans les pays tiers, l’activation de la directive « protection temporaire » de 2001 ainsi que d’avantage efforts sur la réinstallation et sur la possibilité d’un traitement rapide des demandes, en collaboration avec les pays tiers d’origine et de transit sûrs. La résolution souligne aussi la «nécessité d’encourager les politiques de retour volontaire, tout en assurant la protection des droits de tous les migrants et en garantissant un accès sûr et légal au régime d’asile européen, en respectant pleinement le principe de non-refoulement».
Une coordination plus étroite entre les politiques de l’Union et celles des États membres est requise en vue de traiter les causes profondes des migrations, tout comme une coopération renforcée de l’Union avec les pays partenaires du Proche-Orient et d’Afrique, afin de promouvoir la démocratie, les libertés et les droits fondamentaux, la sécurité et la prospérité.
Le Parlement invite les États membres à «collaborer étroitement avec l’agence Frontex, le Bureau européen d’appui en matière d’asile, Europol et Eurojust afin de lutter contre la traite des êtres humains et les réseaux criminels de passeurs», et à prendre des «
sanctions pénales les plus rigoureuses possible contre la traite des êtres humains et les filières de passeurs, au niveau de l’entrée comme de la circulation dans l’Union, mais aussi à l’encontre d’individus ou de groupes qui exploitent les migrants vulnérables dans l’Union».
Quant aux conflits et à l’instabilité en Libye et en Syrie le Parlement encourage les efforts diplomatiques et maintient son ferme engagement de créer une stabilité régionale dans les points chauds, étape essentielle pour réduire les flux de déplacement des personnes.
Comme le texte même le rappelle, cette résolution ne propose que des «mesures urgentes à adopter immédiatement», mais, dans l’attente du nouvel agenda de la Commission européenne prévu pour le 13 mai, elle plaide pour «un programme européen ambitieux dans le domaine des migrations, qui prenne en compte tous les aspects du phénomène».
Fiorenza Pandolfo
Pour en savoir plus:
-. European Parliament resolution on the latest tragedies in the Mediterranean and EU migration and asylum policies:http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=P8-RC-2015-0367&language=FR
Discours du Président Jean-Claude Juncker: http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-15-4896_fr.htm
-.Communiqué de presse: http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20150424IPR45723/html/Migration-le-Parlement-r%C3%A9clame-des-mesures-urgentes-pour-sauver-des-vies
-. Conclusions du Conseil extraordinaire: http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2015/04/23-special-euco-statement/
-.La commission LIBE débat de la situation en Méditerranée: http://europe-liberte-securite-justice.org/2015/04/23/la-commission-libe-debat-de-la-situation-en-mediterranee-et-egalement-du-besoin-dune-approche-holistique-de-la-migration/